Sénégal : le numérique au secours de l’accès aux soins

valise senegal
Le 20 août 2019

Au Sénégal, de nombreuses initiatives d’e-santé se sont mises en place. Des applications mobiles, des solutions de télémédecine, etc., autant de programmes innovants qui permettent de pallier les manques. Une source d’inspiration pour la France ? Reportage exclusif de notre journaliste dans la région de Kolda, au sud du Sénégal.

Un sourire jusqu’aux oreilles. Une petite larme. Une bouche bée. Lorsqu’elles découvrent sur l’écran de la tablette leur enfant, encore dans leur ventre, les patientes du poste de santé de Sikilo Ouest, dans la région de Kolda, au sud du Sénégal, ne peuvent cacher leurs émotions. Depuis quelques mois, les femmes enceintes qui vivent dans cette zone rurale ont accès, souvent pour la toute première fois, à un échographe. L’appareil, mobile, transmet ensuite les clichés à un centre de référence. Et les futures mamans de ce territoire, faiblement doté en équipements et personnels médicaux, peuvent désormais être suivies et prises en charge au mieux tout au long de leur grossesse.

De la valise de télémédecine à l’application de rappel de rendez-vous médicaux, de nombreuses initiatives se sont montées au Sénégal.

Une cinquantaine d’initiatives innovantes dans le pays

Le numérique au secours de l’accès aux soins : à Sikilo et ailleurs, un peu partout dans le pays, des initiatives innovantes se mettent en place pour rapprocher la santé des populations, à l’aide des nouvelles technologies. Selon une estimation des pouvoirs publics, il en existe déjà plus d’une cinquantaine. Des solutions de télémédecine, des plateformes de e-learning, des applis mobiles, de la e-santé, de la m-santé, qui tentent de combler les manques et suscitent un réel espoir (voir encadré). Dans un pays où la quasi-totalité des habitants possède un téléphone portable (le taux de pénétration du mobile était de 103,25 % en mars 2017, avec plus de 15 millions de lignes1), où l’on compte près de 9 millions d’abonnés Internet (taux de pénétration de 57,59 % en juin 2017), où la 2G/3G couvre 92 % de la population, chacun ou presque peut avoir un auxiliaire médical dans la poche – où en tout cas, moins loin.

« La santé digitale est un instrument puissant pour permettre à tous un meilleur accès à la santé et ainsi contribuer à l’atteinte des objectifs de développement durable des Nations unies », souligne le ministère de la Santé et de l’Action sociale dans son plan stratégique santé digitale 2018-2023. Une cellule de la carte sanitaire et sociale, de la santé digitale et de l’observatoire de la santé a été mise en place afin de coordonner et faciliter le développement de tous ces projets dans le même sens. « La kyrielle d’initiatives e-santé fragmentée devra être cartographiée et évaluée en vue d’en améliorer la cohérence et l’efficience, précise le plan. Cette harmonisation permettra un alignement plus précis avec les objectifs et les besoins prioritaires du Sénégal en matière de santé. »

Dans un pays où la quasi-totalité des habitants possède un téléphone portable où l’on compte près de 9 millions d’abonnés Internet, où la 2G/3G couvre 92 % de la population, chacun ou presque peut avoir un auxiliaire médical dans la poche.

Des outils qui ne peuvent pas fonctionner sans les patients et les soignants

Car si les technologies de l’information et de la communication permettent de créer des outils adaptés et soutenables pour la santé, elles ne peuvent fonctionner sans les patients et les soignants, sans prendre en compte leurs attentes et leurs besoins. Leur utilisation « doit répondre aux priorités des politiques nationales de santé, être développée, pensée et financée dans une logique de long terme », souligne le Livre blanc des premières rencontres de la santé numérique en Afrique de l’ouest, qui ont eu lieu en décembre 2018. « Le numérique ne doit pas être un mirage, mais une solution durable, insiste Henri Leblanc, délégué général de l’AMREF3 en France, très impliqué sur ces questions. L’innovation doit être un levier robuste au service des priorités des systèmes de santé, au service de la population. Les solutions doivent être simples et solides, dans un contexte où il fait chaud, où les coupures de courant sont fréquentes, où on dispose de la 3G et pas encore de la 4G… », poursuit-il.

L’enjeu du passage à l’échelle

L’autre défi à venir est celui de la généralisation. De nombreuses expériences sont en cours, mais sur des périmètres limités. Au Sénégal, entre 2005 et 2011, une augmentation de 30 % des projets en santé numérique a été enregistrée ; deux tiers d’entre eux sont toujours à l’état de pilote, constate l’AMREF. « Le numérique est un outil de santé, note Awa Marie Coll Seck, ancienne ministre de la Santé et présidente d’Afrivac, une fondation pour le financement innovant de la vaccination en Afrique. Notre problème aujourd’hui, c’est que nous avons beaucoup d’idées, nous sommes pionniers. Mais il nous faut désormais passer à l’échelle. » Sans oublier, non plus, un outil indispensable au bon fonctionnement de tous ces projets innovants : l’humain, sans qui rien ne peut se faire.

L’e-santé au service des patients

De la valise de télémédecine à l’application de rappel de rendez-vous médicaux, de nombreuses initiatives se sont montées au Sénégal. L’ONG Action santé mondiale et le Conseil présidentiel pour l’Afrique ont sillonné le pays et, plus largement, le continent africain, à la rencontre de programmes innovants favorisant l’accès aux soins dans le cadre du projet Carnets de santé en Afrique3. De son côté, la fondation Pierre-Fabre a mis en place un observatoire de la e-santé dans les pays du sud4, qui récompense depuis 2016 des actions pertinentes. zoom sur certaines de ces initiatives innovantes.

Cellal e Kisal, faire voyager les informations plutôt que les patients

À première vue, cela ressemble à une grosse malle. En réalité, c’est un véritable petit hôpital ambulant et connecté. Tout y est soigneusement rangé, sur deux niveaux : électrocardiographe, otoscope, thermomètre, échographe et sonde, tablette, etc. Dotée d’appareils médicaux performants, cette valise de télémédecine permet de réaliser les examens les plus pointus et d’offrir aux futures mamans de la région rurale de Kolda, au sud du Sénégal, les mêmes chances qu’aux autres. Leurs résultats et leurs données de santé sont enregistrés dans leur dossier médical numérique et transmis à un centre de référence. « Cette valise nous permet d’interagir avec des spécialistes à Dakar, d’obtenir des expertises, d’être guidés pour mieux faire les diagnostics, détaille Aïssatou Dieng Lo, sage-femme au poste de santé de Sikilo Ouest. Avant, il fallait référer la patiente ailleurs. Maintenant, ce sont les informations qui voyagent plutôt que les malades. »

Cette valise de télémédecine est l’un des volets du programme Cellal e Kisal (« Santé et bien-être ») soutenu par l’AMREF. Dans une région où l’offre de soins est faible (plus de la moitié de la population vit à plus de cinq kilomètres d’une structure de santé) et le nombre d’accouchements à domicile est élevé, le but du projet est de favoriser l’accès à des services de qualité et contribuer ainsi à réduire la morbidité et la mortalité maternelles et infantiles. Le dispositif repose sur les technologies de l’information et de la communication, mais aussi l’humain, indispensable. Au sein des communautés, des relais interviennent, recensent les femmes enceintes, les mères et les enfants, font le lien avec les structures de soins, assurent un premier suivi. Une application mobile leur est dédiée, avec des SMS de rappel de rendez-vous, des cours en ligne pour une formation en continu, etc. En 2018, 9 899 grossesses et 67 662 enfants de moins de 5 ans ont été suivis grâce au programme Cellal e Kisal. La quasi-totalité des femmes enceintes intégrées ont accouché dans une structure, avec du personnel qualifié.

Parsyl, pour des vaccins sûrs

Respecter la chaîne du froid du premier au dernier kilomètre. Produits de santé fragile, les vaccins doivent être conservés entre 2 et 8 °C afin de garder leur efficacité. Pour éviter la surchauffe ou la congélation, la start-up américaine Parsyl, spécialiste de la gestion de données pour le transport de produits sensibles, a mis au point de petits boîtiers surveillant la température et le niveau d’humidité aussi bien dans les glacières de transport que dans les congélateurs des établissements de santé. Le « trek » émet une lumière verte lorsque tout va bien, passe au jaune quand il est temps d’agir, et vire au rouge avec des signaux sonores en temps d’alerte. Depuis novembre 2018, le centre de santé de Popenguine, dans la région de Thiès, à une heure trente de Dakar, est équipé de deux « treks ». Matin et soir, Abdoulaye Diallo, infirmier, transfère les données de monitoring sur une plateforme dédiée, en bluetooth, intervient en cas d’alarme. « Quand je vaccine un enfant, je suis sûr que c’est avec un produit de qualité, je n’ai aucun doute : la chaîne du froid a été respectée. Cela rend l’acte de vaccination plus facile, permet de rassurer les mamans », dit-il.

PRECIS, des sages-femmes et infirmiers formés en ligne

Valoriser les ressources humaines disponibles pour offrir un meilleur accès aux soins à tous. Mêlant e-learning et tutorat de proximité, le programme de renforcement des capacités des infirmiers et sages-femmes (PRECIS) offre aux infirmiers et sages-femmes une mise à niveau certifiante, en dépit des distances. Les paramédicaux exerçant en milieu rural, loin de la capitale, ont ainsi autant de possibilités de se former que leurs confrères de Dakar. Une formation continue sur une durée de 15 mois, qui contribue à la réduction de la mortalité et de la morbidité maternelles et infantiles : de bons professionnels, ce sont des services de qualité. Développé par l’AMREF, le PRECIS a déjà diplômé trois cohortes d’apprenants professionnels, une quatrième est en cours de recrutement.

M-diabète, des SMS pour la santé

En quelques années, le nombre de cas de diabète a explosé au Sénégal, et plus largement en Afrique subsaharienne. En 2014, le pays a lancé le programme m-diabète, déclinaison de l’initiative mondiale Be healthy, be mobile de l’OMS et l’UIT. Les personnes inscrites à ce service gratuit reçoivent régulièrement sur leur téléphone des SMS contenant des conseils personnalisés pour mieux gérer la maladie au quotidien, pour accompagner un proche, un patient. En 2018, une étude publiée dans le British Medical Journal constatait les bienfaits du système. « Les interventions de santé utilisant les téléphones portables devraient être développées pour faciliter les échanges entre les personnes ayant un diabète et les équipes médicales, ceci pourrait réduire les complications liées au diabète », notaient les chercheurs. Le tout pour un faible coût : 2,50 € par patient.

Jokkosanté, médicaments et économie circulaire

Des boîtes de comprimés qui s’empilent dans les armoires à pharmacie familiales, jusqu’à péremption : le gâchis est immense. Plutôt que de les laisser s’accumuler, l’application Jokkosanté propose de les déposer dans des centres de santé affiliés. En échange, la personne reçoit un certain nombre de points sur son téléphone, qui pourront être réutilisés pour récupérer, une prochaine fois, d’autres médicaments, sur ordonnance. Grâce à ce système d’économie circulaire, l’accès aux médicaments est facilité et sécurisé. L’initiative, pensée et conçue par Adama Kane, a été récompensée en 2016 par l’Observatoire de la e-santé dans les pays du Sud de la fondation Pierre-Fabre.

  1. Plan stratégique santé digitale 2018-2013, ministère de la Santé et de l'Action sociale, République du Sénégal
  2. Avec 9 millions de personnes aidées chaque année, l’AMREF Flying doctors est aujourd’hui la première ONG de santé publique en Afrique. L’organisation mène plus de 160 programmes dans une trentaine de pays africains, jusque dans les zones les plus isolées et avec une priorité donnée aux femmes et aux enfants. Pour favoriser des changements durables en santé publique, l’AMREF travaille toujours main dans la main avec les gouvernements et les communautés et axe ses programmes sur la formation de personnel de santé local.
  3. Action santé mondiale est une ONG française spécialisée dans le plaidoyer pour la santé mondiale. Elle agit auprès des décideurs français et européen avec pour but de renforcer le soutien politique et financier à la santé dans le monde. Le site www.carnetsdesante.cpafrique.fr sera lancé en 2019."
  4. La conférence 2019 de l’Observatoire de la e-santé dans les pays du sud s’est tenue le 1er juillet 2018, https://www.odess.io/accueilhtml
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