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L’hôpital sera force de proposition et d’organisation dans les territoires en 2030

Le 20 mai 2019

Président de la Fédération hospitalière de France (FHF), Frédéric Valletoux considère que le système de santé du futur reposera sur le concept de « responsabilité populationnelle » qui vise à assurer, de manière coordonnée entre l’ensemble des acteurs de soins, une prise en chargée partagée des patients. La territorialisation de la santé est aussi, selon lui, une nécessité sur le long terme pour mieux adapter le financement aux spécificités locales et mieux lutter contre les inégalités.

L’évolution du système de santé passe par notre responsabilité populationnelle

Vieillissement de la population, augmentation des maladies chroniques, multiplication des prises en charge ambulatoires, etc. Le système de santé est sans conteste en (r)évolution. Mais, avant de parler de la vision de la santé portée par la Fédération hospitalière de France (FHF), il est essentiel de regarder de près la perception qu’ont nos concitoyens de leur système de soins.

C’est la raison pour laquelle la FHF, fédération qui représente 4 800 établissements publics de santé et médico-sociaux soit plus d’un million de personnels, a en mars 2019 – avec l’institut Ipsos – lancé une consultation d’ampleur sur un panel de près de 6 000 Français. Pour 84 % d’entre eux, l’accès à de bons établissements de santé est le deuxième critère le plus important pour assurer à chacun une égalité des chances dans la vie. Ce critère vient juste après l’accès à de bons établissements scolaires (88 %) et loin devant le fait de pouvoir bénéficier d’une protection de sa personne ou de ses biens (53 %), de disposer de bonnes infrastructures de transport (49 %) ou d’un bon accès à la culture et aux loisirs (27 %).

Parce que nos concitoyens font état, année après année, enquête après enquête, de leur fort attachement à l’hôpital, ils témoignent de leur inquiétude pour son avenir. Près de 9 Français sur 10 (88 %) estiment que l’hôpital est aujourd’hui « en danger » et ce sans distinction en fonction de leur zone de résidence (rurale, périurbaine, urbaine). Nous avons en effet, dans notre enquête, cherché à étudier les différences de perception en fonction des territoires et des bassins de vie – un sujet essentiel à nos yeux – et sur le sujet de l’état de santé de l’hôpital public, les Français sont unanimes : leur inquiétude est massive, y compris sur les sujets liés à la perte d’autonomie (76 % des répondants estiment que l’accompagnement ne correspond pas à leurs attentes). Devant ce constat, les Français réclament à 94 % une hausse des moyens financiers pour l’hôpital. En tête de leur demande : plus de personnels (87 %), plus de budget (77 %), plus de proximité (61 %).

Les enseignements de cette enquête ont permis d’étayer, de consolider les orientations et prospectives que nous, FHF, préconisons pour transformer le système de santé. Nous avons d’ailleurs remis des contributions dans le cadre du Grand débat national en mars et du projet de loi Santé. Acteur majeur et incontournable sur ces sujets, la FHF a envisagé depuis nombre d’années ces évolutions et porte notamment un concept fort qu’elle a introduit en France : celui de la « responsabilité populationnelle ». C’est selon nous sur ce modèle que reposera notre système de santé du futur. Nous avons d’ailleurs souhaité inscrire ce concept dans la loi de santé en proposant un amendement qui a été porté et adopté à l’Assemblée nationale. Les députés ont donc été convaincus par ce principe qui vise à assurer, de manière coordonnée entre l’ensemble des acteurs de soins, la prise en charge des patients mais aussi de la santé des populations d’un territoire donné. Nous menons actuellement une expérimentation d’envergure de ce concept sur cinq territoires volontaires – l’Aube et le Sézannais, la Cornouaille, le Douaisis, les Deux-Sèvres et la Haute-Saône – qui représentent près d’un million et demi d’habitants. L’ensemble des acteurs de santé de ces territoires travaillent de concert sur l’insuffisance cardiaque et le diabète et les premiers travaux menés ont identifié environ 100 000 personnes hospitalisées en lien avec l’une ou l’autre de ces pathologies. Les territoires déploient une approche commune qui repose sur l’identification des populations atteintes ou à risque, la stratification de ces populations en fonction de leurs besoins, et l’élaboration de programmes cliniques dédiés avec des indicateurs partagés.

Renforcer notre lien à la médecine de ville

La territorialisation de la santé est nécessaire car on ne souffre pas dans les mêmes proportions des mêmes pathologies du nord au sud ou de l’ouest à l’est de l’Hexagone ou entre les territoires métropolitains et ultramarins, implique que tous les acteurs d’un territoire travaillent ensemble. CQFD avec notre approche par la « responsabilité territoriale et populationnelle ».

À mes yeux, il est aussi essentiel de renforcer le lien avec les acteurs de ville pour une prise en charge de qualité de tous les patients. Pour cela, j’ai confié au Dr Jean-Pierre Jardry, médecin libéral et administrateur de la FHF, un rapport sur ce sujet qui est paru en 2018. S’appuyant sur de nombreuses auditions de professionnels – libéraux et hospitaliers – il présente dix-sept propositions autour de quatre grands axes : faciliter les liens entre la ville et l’hôpital (avec, par exemple, la création d’un guichet unique avec un référent au sein de l’hôpital pour simplifier les échanges) ; investir pour la ville (parmi nos propositions, citons le rapprochement des systèmes d’information de la ville et de l’hôpital, la création de contrats d’objectifs entre la ville, l’hôpital et l’Assurance maladie) ; territorialiser les enjeux de santé (par exemple, le développement de l’exercice mixte des professionnels avec une évolution du statut) et organiser la gouvernance ville-hôpital (parmi nos propositions, mentionnons l’articulation de la gouvernance des groupements hospitaliers de territoire [GHT] avec les acteurs de ville). Le message est clair : l’hôpital s’ouvre, c’est un enjeu majeur pour la santé des populations.

Près de 9 Français sur 10 (88%) estiment que l’hôpital est aujourd’hui «en danger» et ce sans distinction en fonction de leur zone de résidence (rurale, périurbaine, urbaine).

Il y a également, bien sûr, le sujet des urgences. Je fais notamment référence à une étude cartographique commandée en septembre 2018 par la FHF, sur la base d’études populationnelles, qui montre clairement la corrélation entre la baisse du nombre de généralistes et l’augmentation du nombre de passages aux urgences sur un territoire. Une récente étude, menée par un géographe du CNAM, Jean-Marc Macé, démontre également qu’il existe une corrélation significative entre le nombre de consultations chez les médecins généralistes par habitant et le nombre de passages aux services des urgences sans hospitalisation par habitant. Les hôpitaux et les cliniques sont ainsi moins sollicités quand les consultations chez un médecin généraliste sont plus courantes. Ainsi, la constitution des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) va – à mes yeux – dans le bon sens, elle doit participer concrètement à fluidifier le parcours des patients en permettant un dialogue ville-hôpital facilité, même si, bien sûr, beaucoup reste à faire.

L’approche territoriale pour mener la transformation du système de santé à 2030

Concernant la gouvernance territoriale : force de propositions sur les sujets relatifs à la transformation du système de santé et à sa territorialisation, la FHF s’est, en début d’année, rapproché d’associations d’élus telles que l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF), l’Assemblée des départements de France (ADF) et deRégions de France (ARF) pour proposer aux collectivités et aux établissements publics de santé et médico-sociaux qu’un vœu soit adopté dans leurs instances délibératives puis transmis au gouvernement.

Avec François Baroin, Dominique Bussereau et Hervé Morin, nous avons demandé que la réforme du système de santé prenne en considération sept grands enjeux : la lutte contre les déserts médicaux ; la garantie d’un accès à des soins de qualité pour tous ; la fin des directives nationales technocratiques ; une vraie association sans délai des acteurs concertés par la mise en œuvre de la réforme de l’organisation territoriale des soins ; la mise en place d’outils, d’incitations et de financements propices à une implantation équitable des services de santé dans les territoires ; le maintien et le renforcement d’un service public hospitalier et médico-social au service de tous les patients et la reconnaissance du caractère prioritaire de mesures fortes pour renforcer l’attractivité des métiers hospitaliers, sociaux et médico-sociaux.

Vous l’avez compris, l’approche par les territoires est fondamentale. En termes de gouvernance, cela signifie que les agences régionales de santé (ARS) doivent évoluer et trouver un nouveau modèle pour leurs délégations territoriales. Ceci me semble encore plus nécessaire avec le nouveau découpage régional, avec des régions extrêmement vastes.

Concernant la gouvernance nationale : aujourd’hui, notre système de santé est à la fois ultra-centralisé et éclaté entre de nombreux acteurs, ce qui se traduit par un millefeuille bureaucratique inefficace et, parfois, insoutenable.

Dans ce contexte, nous avons proposé une mission de préfiguration visant à simplifier et unifier la gouvernance nationale de la santé, afin de mieux répondre aux besoins dans les territoires. Cette simplification, c’est aussi et avant tout une demande forte des Français qui ne comprennent pas bien le fonctionnement de leur système de santé. En effet, à travers notre étude Ipsos réalisée dans le cadre du Grand débat national, les Français avouent ne pas bien comprendre comment le système de santé français fonctionne (70 %). Son financement est un sujet qui leur semble encore plus complexe. Près de 9 Français sur 10 confessent ne pas savoir à quoi les différentes cotisations (sociales, CSG, mutuelle, etc.) servent (86 %). Aussi, ils demandent une refonte de la gouvernance avec, par exemple, une fusion du ministère de la Santé et de l’Assurance maladie souhaitée par plus des deux tiers des Français.

La territorialisation de la santé est nécessaire car on ne souffre pas dans les mêmes proportions des mêmes pathologies du nord au sud ou de l’ouest à l’est de l’Hexagone ou entre les territoires métropolitains et ultramarins, implique que tous les acteurs d’un territoire travaillent ensemble.

Les quatre conditions pour y parvenir

Je vois quatre grandes conditions : davantage de moyens pour l’investissement ; une régulation régionalisée ; une régulation par la pertinence ; une simplification administrative.

En effet, pour les hôpitaux publics, l’aggravation de la situation financière d’exploitation a entraîné une baisse des investissements, passés de 6 milliards d’euros en 2011 à moins de 4 milliards en 2017. Ce niveau d’investissement est insuffisant pour assurer à la fois le renouvellement des installations, les opérations de rénovation et le financement de l’innovation technologique. La FHF propose que les efforts réalisés par les établissements pour respecter leur enveloppe financière au sein de l’objectif national des dépenses d’Assurance maladie (ONDAM) ne soient plus utilisés pour combler les dépassements des autres enveloppes mais le soient pour le financement d’opérations d’investissements, en fonction des priorités des territoires de santé. Ce serait le juste retour des efforts faits par nos professionnels qui ont fortement contribué, depuis des années, aux économies réalisées par l’Assurance maladie : pas moins de 7 milliards d’euros ont en effet été demandés aux établissements de santé entre 2005 et 2012 !

Nous voulons également que soit sanctuarisé le financement de la recherche et de l’innovation. La FHF appelle aussi à une réforme de la régulation financière, qui doit être davantage territorialisée afin de mieux adapter le financement aux spécificités locales, mieux lutter contre les inégalités et les impasses que l’on constate trop souvent sur les territoires en matière d’efficacité en santé. La notion d’efficacité sanitaire est primordiale.

Nous plaidons également fortement pour une régulation par la pertinence. En suivant les estimations de l’OCDE, il serait théoriquement possible de récupérer 20 à 30 % du budget de la santé sans réduire le niveau de service. Cela représente 35 voire 40 milliards d’euros.

Enfin notre secteur souffre, je l’ai dit, de contraintes bureaucratiques qui multiplient les tâches chronophages et étouffent les initiatives. Une mission pourrait être dédiée à la lutte contre le poids des normes et des réglementations pesant sur l’hôpital et sur le secteur médico-social, afin de libérer de l’énergie et du temps « utile ». Il s’agira de limiter la bureaucratie, de débusquer les injonctions contradictoires, de renforcer la confiance placée dans les acteurs de terrain.

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