Le lanceur d’alerte et le conflit d’intérêts dans la fonction publique

Le 15 octobre 2018

Depuis le 9 décembre 2016[1], il existe un mécanisme de protection pour les lanceurs d’alerte qui auraient été témoins de faits potentiellement constitutifs d’un conflit d’intérêts. Pour renforcer la lutte contre les conflits d’intérêts et la corruption, l’État a mis en place l’Agence française anticorruption (AFA), qui a succédé au Service central de prévention de la corruption (SCPC), dans le but de lutter efficacement contre les conflits d’intérêts.

Qu’est-ce que le conflit d’intérêts ?

Pour un fonctionnaire, et depuis la définition donnée par la loi 2016-483 du 20 avril 2016[2], le conflit d’intérêts représente « toute situation d'interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif de ses fonctions. »[3].

La consécration du lanceur d’alerte

Avec la loi n°2013-907 du 6 décembre 2013[4], un cadre protecteur avait été institué pour les lanceurs d’alerte, concernant tout autant les salariés que les agents de la fonction publique. En effet, cette loi a permis de protéger les lanceurs d’alerte salariés de droit privé (article L. 1132-3-2), ainsi que les agents publics (loi « Le Pors » du 13 juillet 1983), en créant l’article 6 ter A. Cette loi permet une harmonisation, car il existait déjà des mécanismes proches :

  • La dénonciation des faits de corruption par les salariés privés (article L. 1161-1 du Code du travail) ;
  • La dénonciation des crimes et délits par ces mêmes salariés (article L. 1132-3-3) ;
  • Le droit d’alerte par toute personne dans le domaine pharmaceutique (article L. 5312-4-2 du Code de la santé publique) ;
  • De la même manière, toute personne peut alerter en matière de risques graves pour la santé publique et pour l’environnement (article L. 1351-1 du Code de la santé publique) ;
  • Même s’agissant du renseignement, une procédure spécifique de lanceur d’alerte a été instaurée avec la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement (article L. 861-3 du Code de la sécurité intérieure) ;
  • Pour ce qui nous concerne, à l’article 25 de la loi n°2013-907 du 11 octobre 2013, toute personne peut enfin alerter sur des conflits d’intérêts commis et, avec un cadre de protection conforté par la loi 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires[5].

Il a néanmoins fallu attendre la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016[6] relative à la transparence et à la lutte contre la corruption[7] (dite « loi Sapin II »)[8], pour observer l’instauration d’« un véritable statut général pour les lanceurs d’alerte »[9], hors cas de secret défense, secret médical ou secret professionnel, comme le montre d’ailleurs la rédaction de l’article 6 :

« Un lanceur d'alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice grave pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance. »

Le statut de lanceur d’alerte n’aurait cependant pas été efficace s’il n’y avait pas eu, en complément, un cadre de protection en matière d’alerte sur des conflits d’intérêts, avec la mise en place, depuis la loi du 20 avril 2016, d’un référent déontologue qui peut apporter au fonctionnaire concerné « tout conseil utile au respect des obligations et des principes déontologiques »[10].

Il semblerait donc qu’aujourd’hui un mécanisme efficient du lanceur d’alerte ait été mis en place, notamment pour ce qui concerne les faits susceptibles de constituer des conflits d’intérêts, mais ce mécanisme ne pourrait être complet sans la présence de l’Agence française anticorruption.

Un signalement d’alerte facilité avec l’Agence française anticorruption (AFA)

L’Agence française anticorruption a succédé au Service central de prévention de la corruption (SCPC), créé par la loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption[11]. C’était un service interministériel relevant du Garde des Sceaux, « chargé de centraliser les informations nécessaires à la détection et à la prévention des faits de corruption active ou passive, de trafic d’influence commis par des personnes exerçant une fonction publique ou par des particuliers, de concussion, de prise illégale d’intérêts ou d’atteinte à la liberté et à l’égalité des candidats dans les marchés publics »[12].

Intervenue avec la loi du 9 décembre 2016, et remplaçant le Service central de prévention de la corruption tout en gardant les mêmes attributions, la nouvelle Agence française anticorruption est une structure à compétence nationale de coordination dans la détection des faits de corruption[13]. Elle est une solution alternative préconisée par le Conseil d’État dans la coordination de la lutte contre la corruption.

Au final, cette nouvelle architecture juridique permet une passerelle plus efficace entre le lanceur d’alerte et l’Agence française anticorruption, afin de mieux déceler les conflits d’intérêt, avec cependant l’élément important qui doit être que le fonctionnaire sache garder son devoir de réserve et éviter toute dénonciation calomnieuse. Si cette procédure est bienvenue, elle ne doit cependant pas être une mesure de revanche ou de vengeance qui serait donc contreproductive.

[1]L. n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, JORF, n°287, 10 décembre 2016, texte n°2.

[2]L. n°2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, JORF n°0094 du 21 avril 2016, texte n°2.

[3]Cette définition a été inscrite dans la L. n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dite loi « Le Pors », JORF, 14 juillet 1983p. 2 174, art. 25 bis.

[4]L. n°2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, JORF, n°284, 7 décembre 2013, p. 19 941, texte n°4, art. 35.

[5]L. n°2016-483 du 20 avril 2016 préc.

[6]L. n°2016-1691 du 9 décembre 2016 préc.

[7]Cette loi a été expliquée plus en avant avec la Circ. du 19 juillet 2018 relative à la procédure de signalement des alertes émises par les agents publics dans le cadre des articles 6 à 15 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, et aux garanties et protections qui leur sont accordées dans la fonction publique, CPAF1800656C.

[8]Un décret d’application sur le cadre général du lanceur d’alerte a été par la suite édicté, v. D. n°2017-564 du 19 avril 2017 relatif aux procédures de recueil des signalements émis par les lanceurs d’alerte au sein des personnes morales de droit public ou de droit privé ou des administrations de l’État, JORF, n°93, 20 avril 2017, texte n°10.

[9]DORD (O.), « La rénovation du cadre déontologique de la fonction publique », RFDA, 2018, p. 411.

[10]L. n°83-634 du 13 juillet 1983 préc., art. 28 bis.

[11]L. n°93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, JORF, n°25, 30 janvier 1993, p. 1 588.

[12]Ibid., art. 1.

[13]« L’Agence française anticorruption est un service à compétence nationale, placé auprès du ministre de la Justice et chargé du Budget, ayant pour mission d’aider les autorités compétentes et les personnes qui y sont confrontées à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêts, de détournement de fonds publics et de favoritisme », L. n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, JORF, n°287, 10 décembre 2016, texte n°2, art. 1.

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