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François Martial : « La pharmacie de demain sera le premier espace connecté en matière de santé dans les territoires »

Le 23 mai 2019

Explication d’un traitement, sécurité des patients, nouvelles compétences techniques et de dialogue, consultation de télémédecine en officine, le pharmacien sera, à l’horizon 2030, un professionnel de santé de proximité, à l’écoute du patient et capable de l’accompagner au quotidien. Le docteur François Martial, président de l’URPS pharmaciens Nouvelle-Aquitaine, projette sa profession dans le futur.

Quels sont les enjeux des pharmaciens d’officine à l’horizon 2030 ?

Notre rôle d’accompagnement personnel du patient est de veiller au bon fonctionnement du parcours de soins et de l’adhésion du patient à son traitement dans la vraie vie. Le pharmacien, toujours proche, est au cœur des questions que peut se poser le patient sur sa santé, son environnement.

Les patients cherchent sur Internet, demandent des informations sur les produits et les maladies et reviennent vers nous pour vérifier. On peut ainsi aborder en face-à-face leur véritable question et le pharmacien est là pour expliquer le traitement.

L’apport des technologies et de l’intelligence artificielle modifie l’adhésion au traitement par le malade. Pour pouvoir vraiment adhérer à un traitement, on a besoin d’une éducation thérapeutique, d’avoir une implication réelle du patient dans son traitement. Nous l’aidons à devenir acteur de sa santé. Dès lors qu’il se sent rassuré, il y a une compliance totale au traitement, à plus forte raison avec les médicaments innovants et coûteux, en immunologie ou cancérologie. De nombreuses études sur le traitement à domicile du cancer, montrent que s’il y a une bonne adhésion, il y a une meilleure réponse au traitement et une augmentation de la survie du malade car on positive la médication. Les entretiens motivationnels, voilà une activité que le pharmacien développe. Pour cela, nous faisons des formations de bilan de médications, ou conciliation médicamenteuse. Parfois nous nous heurtons à la résistance des pharmaciens à l’évolution de leur pratique, parce qu’on change de paradigme économique. On passe d’une économie par acte commercial à une économie d’honoraires. Il faut leur apporter des garanties et prendre en charge les formations.

Amazon pourrait à l’avenir proposer des téléconsultations en ligne en recrutant des pharmaciens, et ubériser ainsi les officines.

Quels sont les grands axes de l’évolution du rôle de pharmacien ?

Nous sommes une des dernières professions de santé en proximité et nous développons de nouvelles compétences techniques et de dialogue. Les observations et les études prouvent que nos conseils personnalisés ont des retombées en santé publique. Par exemple, les entretiens motivationnels à l’arrêt du tabac ont multiplié par trois l’arrêt du tabac. On trouve la façon d’impliquer le patient dans sa décision. À l’avenir, pour une bonne diffusion des innovations, nous serons obligés d’avoir un suivi au plus près des patients et de garder ce lien humain, parce qu’on l’implique lui, en tant qu’individu, personnellement. La relation d’homme à homme sait s’appuyer sur les ressources techniques que l’on a. Les accords de télémédecine en officine peuvent faciliter les téléconsultations et le maintien du lien avec le généraliste. Par exemple, à la pointe du Médoc, les médecins n’habitent pas sur place, et à Lesparre, il n’y en a plus. Lorsque les patients reviennent du travail le soir, les médecins rentrent chez eux et ne consultent plus. Nous pouvons alors accompagner les patients dans des téléconsultations. C’est aussi une demande des médecins, de faire du télétravail. La convention a été signée entre nos représentants et l’Assurance maladie. Une rémunération valorise le temps passé par le pharmacien à l’organisation de la téléconsultation : ces consultations pourront être rémunérées quel que soit le mode d’exercice du médecin, libéral ou salarié. Nous avons des pharmacies partout. Il faut que cet espace de santé corresponde à la vision d’une mission de proximité.

Je ne crois pas que des livraisons de médicament par Amazon ou Leclerc puissent rendre de tels services et pourtant, économiquement, ils nous menacent. Toute baisse de chiffre d’affaires des officines peut entrainer des fermetures, préjudiciables pour les patients et les territoires. Mais Amazon pourrait prendre des batteries de pharmacien pour faire du téléconseil en ligne, et ubériser les pharmaciens.

Quels sont les grands marqueurs de sécurité qu’offrent les pharmaciens ?

Nous travaillons depuis plus de trente ans la télétransmission, et depuis dix ans le dossier pharmaceutique. Nous avons un savoir-faire, en particulier en matière de risque de détournement des données, que nous savons protéger. Concernant l’élargissement des prescriptions aux pharmaciens, elle se fera sur l’établissement d’un protocole. Les associations de patients veulent leur médicament, pour résoudre des problèmes récurrents, telle que la cystite. La pharmacie de demain sera le premier espace connecté en matière de santé dans les territoires. Elle apporte de la sécurité, en nous permettant d’apporter des réponses aux nouvelles thérapies complexes. L’immunothérapie et les thérapies ciblées, les cellules tueuses, médecine personnalisée, nécessiteront de nouveaux outils, connus des pharmaciens. Ils assureront la sécurité grâce à l’observance sur mesure du traitement. Le patient va se confier plus facilement aux pharmaciens, car il lui parle des effets secondaires qu’il ne pense pas à dire à son médecin traitant. Il faut une prise de conscience de l’importance de son rôle en tant que thérapeute.

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