Les Fabriqu’cœurs d’habitat de la Gironde

Fabriqu'coeurs d'habitant en gironde
Le 21 août 2019

En 2050, la terre devrait compter 9 milliards d’habitants dont les deux tiers vivront en ville et un cinquième aura plus de 60 ans. Ces données démographiques ont été, et sont toujours, au cœur de notre quotidien et poussent forcément, lorsque nous sommes en charge de conduire des politiques publiques, à parler d’anticipation, ne serait-ce que parce que nous devrions tous avoir un souvenir du Petit prince dans notre part d’humanité. Un enjeu collectif à l’échelle de la planète, un devoir individuel qui devrait réveiller les consciences et qui, en Gironde, est devenu un savoir-faire notamment sur l’habitat. En 2015, le conseil départemental de la Gironde invente les Fabriqu’cœurs. Retour sur un cheminement au cœur de la transition sociale et énergétique, de l’innovation et de la transformation publique.

Le 7 juillet 2017, Jean-Luc Gleyze, le président du conseil départemental de la Gironde et Martine Jardiné, présidente de Gironde habitat, OP-HLM du département, inaugurent six logements à vocation sociale dans la petite commune de Bernos Beaulac. À première vue, rien de bien exceptionnel et pourtant…

Sur cette opération, le bailleur départemental répondait aux besoins exprimés par la commune de reconstruire l’histoire « habitat » d’un ancien bâtiment auparavant destiné à loger les ouvriers de la fonderie locale. Ce bâtiment, en très mauvais état, portait une histoire locale ; un besoin de requalifier un bâti ancien dégradé, redonner du lien entre le passé, le présent et le futur des habitants du village et répondre à des besoins exprimés de logements sociaux. Cette opération était comme une histoire que l’on pouvait commencer par « il était une fois » et dans laquelle avait été incorporée tous les ingrédients complexes de la recette de la transition, de l’innovation et de la transformation. C’est dans ces histoires humaines et de politiques publiques qu’est née la politique des Fabriqu’cœurs d’habitat de la Gironde.

Le jour de cette inauguration dans son discours, le président Jean-Luc Gleyze a posé les fondations d’une ouverture essentielle pour la suite des politiques publiques de l’habitat portées en Gironde : « Cette opération, construite entre le département, Gironde habitat et la commune, dans le cadre de la délégation des aides à la pierre que nous a confié l’État, nous a permis de rendre possible ce qui ne l’était pas. Je voudrais que les opérations d’habitat, que nous allons construire ensemble dans l’avenir soient comme celle-là. Qu’elle soit porteuse d’innovation, de transformation, ancrée pleinement dans le quotidien des Girondins. En disant cela, je nous donne le droit d’expérimenter, de tester, d’apprendre et d’innover, nous aurons le droit de nous tromper, je vais prendre le risque que nous réussissions. »

Ne jamais transiger sur les valeurs et ne pas s’interdire d’être malin

Le cadre politique était posé, et les Fabriqu’cœurs d‘habitat sont progressivement entrés dans le paysage girondin. Il fallait maintenant construire un règlement d’intervention qui soit en adéquation avec cette commande politique, mais qui puisse aussi se frayer un chemin dans les méandres des réglementations notamment du Code de la construction et de l’habitat mais aussi de ceux de l’action sociale et familiale, de l’urbanisme, du Code général des collectivités territoriales et des lois arrivées ou annoncées. En effet, les droits et règlements de toutes sortes qui régissent l’habitat, tant dans son aspect technique qu’humain, ont créé au fil des ans, et ce en France depuis l’époque de Jules Siegfried, le père des habitations à bon marché, des « cases » dans lesquelles il fallait rentrer les situations de vie et ceux qui les vivent.

Pour anticiper les transformations futures, il faudra inventer et s’autoriser à expérimenter certainement beaucoup plus vite que cela n’est possible aujourd’hui.

Aujourd’hui 70 % de la demande sociale a un rapport avec le logement et plus largement avec l’habitat. En Gironde il y a 54 129 demandes de logement en attente au 31 décembre 2018 (Service national d’enregistrement) avec un apport sur cette même année de 38 475 nouvelles demandes. Sur cette même enquête réalisée à l’échelle de la Nouvelle-Aquitaine par la DREAL1 il a été noté que 25 100 demandes sont « non renouvelées ou abandonnées ». Ce dernier chiffre, même si les plus optimistes souhaitent y voir un eldorado, voire un Graal, pourrait bien être le révélateur de situations de vie qui ne correspondent plus du tout aux cases et donc aux habitats qui y correspondent.

En mars 2017, Martine Jardiné, vice-présidente du conseil départemental en charge notamment de l’habitat, ouvre les deuxièmes Journées girondines de l’habitat par cette phrase : « Il va nous falloir ensemble rendre possible l’impossible. » Elle propose alors à plus de 500 partenaires de l’habitat et de l’urbanisme de créer des ponts, des liens entre les Girondins, les métiers, les usages et de garder précieusement l’équilibre entre le rural et l’urbain. Elle porte la volonté de s’autoriser à penser pour interroger les pratiques et les croyances, échanger et partager les expériences, les réussites et les échecs. La transformation publique poussée aujourd’hui par la direction interministérielle de la transformation publique prenait racine en Gironde.

Un règlement d’intervention à la carte

C’est donc sur ce champ des possibles que les élus du département votent le règlement d’intervention des Fabriqu’cœurs d’habitat en décembre 2016 pour ouvrir les voies de l’innovation. Malgré les efforts engagés depuis 2006, le territoire girondin ne comptabilisait en cette fin d’année 2016 pas plus de 12 % de logements aidés. Le phénomène de métropolisation à l’œuvre autour de l’agglomération bordelaise s’accompagnait d’une pression foncière et immobilière intense et, en dépit d’une production importante de logements, le département devait toujours faire face à une situation de crise du logement : le marché de l’habitat restait très tendu, faute d’adéquation entre les prix d’une production à dominante privée et la réalité des ressources des ménages. Garant de l’équilibre entre l’urbain, le périurbain et le rural, toujours soucieux de lutter contre une Gironde à deux vitesses, le département continuait à prendre en compte les besoins en logement de l’ensemble du territoire où ils demeuraient prégnants.

La volonté départementale était d’adapter ses politiques aux spécificités territoriales et contribuer à l’émergence locale du pouvoir d’agir. Il voulait promouvoir l’innovation publique en favorisant les expérimentations et en diversifiant l’offre. Adaptation, innovation, diversification devenaient les piliers de la politique d’habitat et d’urbanisme, se voulant fermement garant du vivre ensemble et de la proximité indispensable aux Girondins.

Le département avait déjà, en juin 2015, adopté son Plan départemental de l’habitat de la Gironde (PDH) et proposait ainsi une stratégie habitat partagée entre l’État et les territoires mais aussi les acteurs locaux, associatifs et citoyens, porteur d’un projet de développement solidaire de la Gironde.

Le département s’engageait à accompagner les porteurs de projets innovants et expérimentaux à la condition que cela permette de créer la transposition ou la généralisation d’opérations d’habitat notamment sur le logement social et la validation de critères de faisabilité et de durabilité.

Dans ce dispositif, pas d’appel projet mais une co-construction initiale qui réunit des volontés d’agir et qui au fur et à mesure confectionnent des prototypes qui sont testés, revus, retravaillés jusqu’à ce que la phase d’expérimentation puisse être lancée et financée. C’est en fin de compte un règlement d’intervention basé sur l’intelligence collective, l’anticipation sociétale.

D’abord sur les logements d’urgence sociale et solidaire

Le logement d’urgence sociale et solidaire girondin a été conçu avec cette méthodologie. Après l’avoir expérimenté, avec Emmaüs Gironde, dans la construction de « maison en bois », le département a créé une aide pour des logements sociaux réalisés notamment par une entreprise retenue dans le cadre d’un marché réservé afin de préserver le caractère totalement solidaire de l’opération. Il faut que le logement soit construit par des personnes en insertion, ou reconnue travailleurs handicapés, pour des logements qui accueillent des personnes relevant du Plan départemental d’actions pour le logements et l’hébergement des personnes en difficultés (PDALHPD.) Grâce à ce dispositif des PLAI adaptés ont été imaginés pour permettre la sédentarisation des voyageurs du Chemin des limites à Castres et ainsi leur permettre enfin de sortir des régimes dérogatoires des aides de la CAF. C’est aussi avec cette innovation que la Gironde a pu commencer à proposer des logements pour répondre aux besoins des saisonniers du littoral l’été et à l’urgence l’hiver au Teich ou encore au Haillan pour répondre aux situations de l’urgence et du mal logement des familles.

En décembre 2016, les opérations présentées à l’éligibilité Fabriqu’cœur devaient être portées par les organismes HLM, les sociétés d’économie mixte et les associations bénéficiant d’un agrément au titre de l’article L. 365-1 et suivants du Code de la construction et de l’habitation. Aujourd’hui les Fabriqu’cœurs sont ouverts aux propriétaires bailleurs privés qui s’engagent dans les programmes sociaux thématiques et les actions portées par l’Agence nationale de l’amélioration de l’habitat (ANAH), aux communes rurales qui veulent réhabiliter leur patrimoine bâti pour, par exemple, construire des habitats pour les seniors en habitat participatif et ainsi anticiper le vieillissement de la population tout en préservant une mixité sociale.

C’est avec ce règlement que la Gironde a engagé, dès 2018, les premières solutions habitat dans le cadre de l’appel à manifestation d’intérêt dite « logement d’abord » 2, pour laquelle la Gironde a été sélectionnée par la délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement comme territoire d’accélération avec une collaboration sans faille avec Bordeaux Métropole.

C’est encore avec ce dispositif que le département développe l’habitat inclusif, l’habitat partagé ou celui intergénérationnel. C’est dans ce cadre d’actions que le département s’est engagé dans le financement de la restructuration, ou la démolition-reconstruction, d’établissement d’hébergement pour personnes âgées à condition que ces résidences soient agréées avec des PLUs afin de répondre aux besoins en logement des personnes âgées non dépendantes à faibles ressources.

Une première mondiale pour la transition énergétique

Se chauffer gratuitement, en respectant l’environnement et en protégeant la planète, c’est ce que la Gironde propose aujourd’hui aux habitants des quarante-neuf logements de la résidence Florestine de Gironde habitat, à Bordeaux, dans le quartier du Grand-parc et dans les locaux du nouveau pôle territorial solidarité du conseil départemental de la Gironde. Cette nouvelle technologie inédite « Q. rad » développée par la société Qarnot computing est un système unique de radiateurs qui repose sur la récupération de la chaleur générée par des processeurs informatiques en faisant des calculs de données, en l’occurrence ici ceux du secteur bancaire. Ce système intelligent permet de lutter concrètement contre la précarité énergétique avec ce chauffage totalement gratuit. Avec le Q. rad, Qarnot propose aussi une expérience unique de la smart home avec un système intégré, intuitif et évolutif. Concrètement, il propose déjà des services de la qualité de l’air, le déclenchement d’alertes, l’accès à internet via le Wi-Fi, la recharge sans fil et des interfaces domotiques.

Ce pari technologique au service de l’innovation sociale est aujourd’hui une réalité et il répond tant à la transition énergétique qu’à celle sociale. Le pari était osé, il avait un coût financier que la Gironde a relevé et c’est devenu une innovation qui se teste grandeur nature pour pouvoir se développer.

C’est là le défi que les Fabriqu’cœurs d’habitat de la Gironde vont avoir à relever : se développer assez vite pour être dans l’anticipation sociale. Aujourd’hui le parcours résidentiel est tout sauf monochrome, marqué par des cycles qui sont de moins en moins linéaires tant le ménage peut se structurer d’une multitude de manières. Il existe une telle diversification des besoins que l’adaptation de l’offre de logement devrait être en mutation perpétuelle.

Pour anticiper les transformations futures, il faudra inventer et s’autoriser à expérimenter certainement beaucoup plus vite que cela n’est possible aujourd’hui. Sophie Piquemal, présidente de la commission habitat du conseil départemental lorsqu’on lui pose la question de savoir quel est son rêve d’élue déclare : « Je voudrais qu’on nous laisse innover ! »

« Inventer c’est penser à côté », disait Albert Einstein.

  1. Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement.
  2. Le ministère de la Cohésion des territoires a lancé, le 20 novembre 2017, un appel à manifestation d’intérêt, visant à identifier quinze territoires auprès desquels l’État s’engagera pour une mise en œuvre accélérée de la politique dit « du logement d’abord ». Le plan quinquennal pour le « logement d’abord », axe structurant de la stratégie logement du Gouvernement, vise une réduction forte et durable du sans-abrisme en France, http://www.cohesion-territoires.gouv.fr/lancement-d-un-appel-a-manifestation-d-interet-pour-selectionner-15-territoires-de-mise-en-oeuvre-acceleree-du-logement-d-abord
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