Comment se lancer dans des projets touristiques durables ?

Le 11 juillet 2021

La conduite de projets touristiques durables sur les territoires¹ n’est rien de plus qu’une bible à mettre entre les mains de tous les décideurs publics et privés. Rédigé par Jean-Pierre Martinetti, docteur en économie du tourisme, et Bruno Carlier, spécialiste du management des collectivités locales, l’ouvrage fait 500 pages dans lesquelles on trouve tous les outils pour élaborer une stratégie cohérente à l’heure où l’écosystème touristique se trouve au cœur d’une crise majeure et de changements.

Pour Isabelle Soulard, conseille départementale de la Vienne, « voilà le livre que nous, élus des collectivités – régions, agglos et communes – attendions ». La conduite de projets touristiques durables sur les territoires est, en effet, un manuel détaillé, qui présente et analyse les voies, les moyens et les pratiques d’une démarche d’intelligence territoriale du tourisme, accessible et efficace, pour concrétiser ses projets dans le cadre d’un développement touristique nouveau à échelle humaine et à forte valeur ajoutée locale.

Rien de plus difficile que de définir ce qu’est un tourisme « durable ». À cet adjectif Jean-Pierre Martinetti, l’un des auteurs, « 45 ans de tourisme » et expert membre du groupe de durabilité du tourisme auprès de la Commission européenne, préfère d’ailleurs les adjectifs de « soutenable » ou « intelligent », sans doute moins ambigus. « Durable » peut être compris comme « qui dure », c’est-à-dire un tourisme quatre saisons, alors que ce n’est qu’une partie du problème. « À chaque fois que l’on accole “durable” à tourisme, on y ajoute une béquille comme “tourisme responsable” », argumente l’expert.

La définition retenue dans l’ouvrage est la suivante : « On entend par développement durable toute forme de développement de cette activité qui respecte, préserve et met en valeur à long terme les ressources naturelles, culturelles et sociales d’un territoire. Le développement doit s’inscrire dans une dynamique qui articule les modes de production et de consommation responsables, tout en offrant aux populations qui vivent, travaillent ou séjournent sur cet espace des avantages socio-économiques équitablement répartis. »

Le tourisme, un coupable commode

Une définition qui n’a sans doute pas été de nature à clarifier le concept mais qui a le mérite de poser un cadre duquel il faut éviter de sortir sous la double pression du législateur et nouvelles exigences de visiteurs confortées par la crise sanitaire.

Le tourisme est sans doute un coupable commode, alors que même un mastodonte comme le parc d’attractions Disneyland Paris, première destination touristique européenne privée, travaille avec le territoire qui l’accueille. « Contrairement aux idées reçues, souligne notre expert, le tourisme, activités de services, porte moins atteinte à l’environnement que les pratiques et excès de l’agriculture intensive moderne ou celles de l’industrie. »

Sensibiliser les habitants aux bénéfices de ce projet est aussi l’un des aspects de la conduite d’un projet.

Néanmoins le surtourisme et ses conséquences néfastes à Dubrovnik, Barcelone ou à Venise, les polémiques autour de l’impact environnemental des compagnies aériennes ou des bateaux de croisière ou encore la dépendance de pays envers ces secteurs font qu’il reste sous surveillance et doit donc s’engager dans une troisième voie, celui d’un tourisme moteur d’un développement durable.

« Si le tourisme est un mouton, il faut un berger »

« Le surtourisme est surtout lié au sur-excursionisme qui sont tant le fait des locaux que les touristes, estime Jean-Pierre Martinetti, beaucoup de dégâts environnementaux pour de faibles retombées économiques. » Il pense, aussi, à tous ces passagers de bateaux de croisières qui débarquent par milliers sur des sites le temps de quelques heures, « un modèle qui doit se réinventer », estime-t-il. Tout cela doit se gérer localement par une structuration de l’offre qui commande la demande. La structuration de l’offre, par exemple, c’est le Louvre-Lens. Jean-Pierre Martinetti cite des auteurs pour qui caricaturer un tourisme forcément moutonnier : « Prenons cela au pied de la lettre, si le touriste est un mouton, il faut un berger. Et qui fait la règle et qui a le chien ? C’est celui qui reçoit. »

Peut-être en est-on arrivés là à cause d’un manque d’outils d’éclairage et de tableaux de bord : « Le tourisme a longtemps été considéré au mieux comme un “domaine scientifique léger” dans le domaine de la recherche, se remémore Jean-Pierre Martinetti, tant il est commun de penser que son développement est simplissime, il faut un potentiel local et des chefs d’entreprise. » Ce n’est évidemment pas si simple : c’est un écosystème qui nécessite de sortir des frontières de son territoire pour lancer des marques cohérentes. « Par exemple, il n’y a pas de destination Alpes de Hautes-Provence, on ne sait pas où l’on est. » Il faut coopérer entre départements ou régions pour lancer des projets comme l’a été pour la création d’itinéraires cyclistes comme La Loire à vélo.

C’est un secteur complexe qui a interagit avec de nombreux autres, pour ne pas dire tous : le transport, bien sûr, mais aussi l’alimentation, la culture, l’urbanisme, le bâtiment, l’agriculture, le commerce et même la santé avec le thermalisme ! On le constate toujours et c’était vrai bien avant la pandémie : « Quand le tourisme s’arrête, on se rend compte que l’on en vit tous. Ce n’est pas un secteur mais c’est un écosystème », comme l’a qualifié le commissaire européen Thierry Breton, qui a donc toute légitimité pour être l’un des moteurs d’une transition écologique durable.

S’appuyer sur une méthodologie

De l’incantation à la concrétisation, il existe de nombreuses étapes que l’ouvrage détaille en proposant une méthodologie. Tout d’abord, connaître son champ d’action en actionnant, par exemple, l’outil du guide identitaire, mise au point par CoManaging, qui « analyse le territoire comme pourrait l’être une personne ». Il établit son physique et sa personnalité et tous les signes distinctifs sont repris dans une fiche pratique de synthèse. Ce travail fait, on peut ensuite concevoir un projet, « que voulons-nous ? », le formuler, les objectifs à atteindre avec l’élaboration d’une fiche projet, l’analyser, déterminer les solutions optimales et, enfin, passer à l’action, prendre les décisions définitives en fonction des différents scenarios. C’est la grande force de cet ouvrage que d’offrir une méthode et des outils d’évaluation pour appréhender le capital initial de son territoire, ses potentialités mais aussi ses limites dans une perspective de développement harmonieux et responsable.

Aujourd’hui, « grâce » à la crise, les régions ont compris que le tourisme de proximité était une solution d’avenir.

Sensibiliser les habitants aux bénéfices du projet

L’ouvrage foisonne aussi d’exemples comme celui de la mise en route des Sentiers du patrimoine de Corse qui a réussi le pari du tourisme durable. Le dispositif permet, en effet, une appropriation des lieux et des usages d’antan par les touristes mais aussi la réappropriation intergénérationnelle par les locaux dans le cadre d’une approche spatio-temporelle. Et, ce type de sentier permet de créer du lien entre littoral et montagne, entre des espaces touristiques et l’espace rural désertifié. Il permet de capter un flux qui n’aurait fait que passer sans s’arrêter, en rendant les espaces patrimoniaux accessibles et intéressants.

Sensibiliser les habitants aux bénéfices de ce projet est aussi l’un des aspects de la conduite d’un projet, comme l’a souligné Véronique Brizon, directrice du réseau ADN, la Fédération nationale des organismes institutionnels de tourisme : « L’heure est aux stratégies partagées. La pertinence d’une marque de destination renvoie à l’adéquation entre l’image, perçue par les clients, et l’identité vécue par la population. Elle renvoie aussi au partage d’une vision commune de l’avenir par les acteurs locaux. »

Retrouver les vertus du tourisme de proximité

En effet, tout change très vite dans cette industrie qui demande veille et vigilance de tous les instants : en 2018, le Gouvernement, sous l’impulsion de Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères visait en 2020, « cent millions de touristes ». En 2019, la presse spécialisée titrait « 2020, l’année de l’overtourisme ? ». Il n’est plus question de se féliciter, c’est un rituel chaque année, d’être le champion du monde du tourisme en termes de nombre de visiteurs étrangers reçus. Aujourd’hui, « grâce » à la crise, les régions ont compris que le tourisme de proximité était une solution d’avenir. « Il l’a, de fait, toujours été, estime Jean-Pierre Martinetti. Il n’y a que Paris et la Côte d’Azur comme destinations-marques qui accueillent, hors pandémie, plus de visiteurs étrangers que français. »

Les Sentiers du patrimoine de Corse ont réussi le pari du tourisme durable. Le dispositif permet, en effet, « une appropriation des lieux et des usages d’antan par les touristes mais aussi la réappropriation intergénérationnelle par les locaux dans le cadre d’une approche spatio-temporelle ».

Pierre Chaubon, maire de Nonza, président de la communauté de commune du Cap Corse, a rédigé une chronique pour les auteurs où il résume la pensée de l’ouvrage : « Il apparaît que le tourisme que l’on nomme “durable” n’est pas seulement un terme, un graal à atteindre à tout prix, mais un chemin et un processus rigoureux, constant et partagé d’amélioration, de recherche et de maintien d’un équilibre dans le développement local. » Un résumé qui pourrait servir de conclusion, on lui préfèrera celle des auteurs, qui espère que l’on conserve les trois S comme devise pour le tourisme, « sea, sex and sun » revisités en « smart, slow et sunstainable ».

  1. Martinetti J.-P. et Carlier B., La conduite de projets touristiques durables sur les territoires, 2021, Éditions Territorial.
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