Data : renforcer les capacités de gouvernance des collectivités par les collectivités

Le 3 juillet 2021

Durant un an et demi, cinq collectivités territoriales, une entreprise privée (avec deux filiales) et trois acteurs institutionnels ont participé à DataCités 21, un programme d’accompagnement destiné à renforcer les capacités d’agir des acteurs des territoires en matière d’intégration, d’usage et de partage des données numériques. Quelques enseignements issus de cette exploration.

DataCités 2 a été lancé selon le postulat qu’une collectivité doit développer et maintenir des capacités d’agir pour garantir la production de territoires et de services dits « intelligents », garants de l’intérêt général et favorisant la transition écologique, sociale et solidaire. Conséquemment, l’un des principaux objectifs de cette exploration collective fut d’accompagner les acteurs des collectivités à développer des capacités de discernement dans l’adoption de solutions numériques, des capacités internes quant à la production et au partage de données ou encore des capacités de coopération et de régulation pour la co-conception de services à l’échelle d’un territoire.

Data Cités 2

L’un des principaux enseignements de DataCités 2, parmi ceux et les seize préconisations consignées dans le rapport « DataCités 2 : développer les capacités des collectivités à concevoir des services numériques territoriaux » 2, est le besoin des collectivités de développer des capacités à coopérer entre elles, au-delà de l’échelle métropolitaine, départementale ou régionale, pour favoriser la montée en compétences des collectivités par les collectivités.

DataCités 2, une exploration pour développer les capacités d’agir des collectivités territoriales

Travail, mobilité, logement, énergie, santé ou encore culture et éducation, les outils numériques s’imposent depuis des années dans le quotidien des individus et couvrent désormais l’ensemble des champs du développement urbain. La récente période de crise sanitaire a accéléré la diffusion de ces outils et de leurs usages, qui se sont affirmés comme des piliers majeurs de la résilience des territoires au regard de la continuité des services essentiels qu’ils ont rendus possibles. Au-delà des individus, les collectivités ont-elles aussi un recours croissant à ces outils sur de multiples registres : connaissance des populations et des usages, administration en ligne et outils de dialogue citoyen, optimisation de la gestion des équipements et des infrastructures (transport, eau, énergie), développement économique et attractivité.

Mais, au-delà de leurs promesses et de leurs indiscutables apports, les transformations numériques à l’œuvre dessinent de nouveaux équilibres parmi les acteurs de la « fabrique » de la ville et des territoires (collectivités, évolution des opérateurs urbains historiques, acteurs et plateformes du numérique, start-up, etc.) et questionnent les postures et les compétences des collectivités. Pour assurer le développement de services garants de l’intérêt général et favoriser la transition écologique, sociale et solidaire des territoires, les collectivités doivent développer un large spectre de postures, de savoirs et de savoir-faire, qui sont au cœur d’un processus d’appropriation-autonomisation-capacitation (que les Anglais nomment « empowerment »), à commencer par des capacités de :

  • discernement dans l’adoption de solutions numériques, consistant à mettre en perspective les promesses véhiculées par certaines smart solutions vis-à-vis d’une analyse objectivée des besoins et des orientations de la collectivité en matière de politiques publiques (adéquation de la solution au besoin des usagers ; impacts social, environnemental, économique, etc. ; solution technologique dernier cri versus low tech ; durabilité et modularité de la solution, etc.) ;
  • coopération et de régulation pour la co-conception de services, c’est-à-dire d’agréger des données publiques, privées, voire personnelles (mais anonymisées), de structurer et d’animer des instances de gouvernance et des partenariats, de produire des règles (restriction, conditionnalité, incitations, etc.) permettant d’installer des cadres pérennes (chartes) de modalités d’action et d’échanges de données selon des conditions juridiques, économiques ou encore éthiques qui sont jugées satisfaisantes par les parties prenantes ;
  • et opérationnelles internes, afin de structurer les processus de production, de catalogage et de partage des données issues des différents services de la collectivité, que ce soit pour améliorer le pilotage des politiques publiques ou pour concevoir de nouveaux services numériques. Ceci implique l’acquisition de compétences par les agents de la collectivité et la création de nouveaux postes (chargé de mission smart city, chief data officer, etc.).

Ces trois types de capacités ont servi de cadre d’analyse pour accompagner les partenaires de DataCités 2 dans le développement de leurs projets numériques : élaboration d’une stratégie numérique, renforcement du partage de données numériques avec les parties prenantes du territoire, identification de preuves de concepts (démonstrateurs) afin de sensibiliser élus et agents aux apports du croisement et du partage de données, structuration d’un écosystème territorial incluant citoyens, entrepreneurs, universitaires, etc.

Les acteurs des collectivités ont néanmoins exprimé le besoin de renforcer les interactions qu’ils ont entre eux, pour développer l’acquisition de savoirs et savoir-faire grâce à des échanges et des travaux collectifs entre pairs pour favoriser le « regard extérieur interne » 3, la réflexivité, le partage de bonnes pratiques, ou encore la rupture de l’isolement.

Notre proposition consiste à étendre le renforcement des capacités de coopération à l’échelle d’un territoire par le développement de coopération et de partage avec d’autres collectivités, à l’échelle nationale. Nous détaillons quelques principes fondateurs de cette proposition dans la dernière partie de cet article.

Il faut un cadre de confiance pour favoriser les échanges « sans filtre » entre les collectivités

Pour organiser cette coopération interterritoriale au sein de DataCités 2, Chronos a agi comme un tiers de confiance et un médiateur, capable de comprendre et de traduire les intérêts et les besoins de l’ensemble des partenaires cette exploration. En proposant notamment une méthodologie alliant accompagnement individuel et collectif des collectivités, et en traduisant les enjeux et problématiques des différents acteurs pour en révéler la nature transversale et commune à chacun, DataCités 2 s’est révélé être un cadre propice aux échanges « sans filtre » entre les partenaires de l’exploration favorisant le partage d’expériences, de problématiques, de bonnes pratiques.

« Il est particulièrement appréciable d’avoir un espace de discussion où présenter ses difficultés, douter de son projet. Lorsque l’on est en représentation (salons, conférences), on ne diffuse pas les doutes que l’on peut avoir, ce qui donne lieu à des échanges moins poussés », nous explique Virginie Steiner, administratrice générale des données, ville et communauté d’agglomération de La Rochelle.

« Les ateliers de DataCités 2 étaient un temps de travail idéal, car on était en pair-à-pair. On pouvait partager des problèmes, même individuels comme nos relations au sein de notre organisation. Toutes les formes d’échanges et de retour sur expériences sont à généraliser. C’est bien plus intéressant que d’écouter une personne présenter quelque chose toute seule », ajoute Alina Akhmerova, chargée de mission smart city, ville d’Antony.

Au-delà des traditionnels réseaux d’acteurs, benchmarks, formations et colloques, nous sommes témoins – au travers de nos différentes missions et recherche-action –, d’un besoin grandissant pour les collectivités d’échanger entre pairs, en dehors de cadres institutionnels.

À ce titre, Chronos accompagne actuellement un groupe de réflexion sur la gouvernance du projet rennais RUDI (Rennes Urban data Interface)4 qui est également fondé sur le partage d’expérience entre pairs et sur le fait de laisser émerger les problématiques de manière ascendante. Des échanges sont ainsi organisés entre des représentants du projet RUDI, ceux du projet Occitanie data5 et ceux du système d’information du territoire à Genève (SITG)6 afin qu’ils partagent les questions qu’ils se posent, les problèmes qu’ils rencontrent, les actions qu’ils testent, ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.

De même, l’appui que nous apportons à l’Association internationale des maires francophones fait la part belle à la facilitation d’échanges directs entre collectivités d’une même région (Maghreb arabe, Afrique de l’Ouest, Europe, Asie du Sud-Est) pour renforcer leurs capacités dans une perspective de souveraineté, de sobriété et d’efficience de la dépense publique appliquée au numérique.

Pour une montée en compétences des collectivités par les collectivités

Les collectivités ont un double besoin. Premièrement, celui d’échanger et de monter en compétences avec des acteurs d’autres territoires. Secondement, celui d’être accompagné dans leurs échanges par un tiers qui facilite, objective et met en perspective les différents projets, thématiques, arguments et problématiques de chacun, au sein d’un cadre ad hoc favorisant « le partage d’expérience ». Or, comme le déclarait Emmanuel Dupont7 dans le rapport DataCités 2, « une politique de coopération entre collectivités est encore à imaginer » 8.

Dans son livre, L’impasse collaborative9, Éloi Laurent distingue la collaboration de la coopération. La collaboration est notamment liée au travail (en entreprise), dans laquelle les individus partagent des ressources pour atteindre un objectif précis, dans une temporalité déterminée. La coopération, quant à elle, n’a pas d’horizon défini. Elle vise la découverte mutuelle et le partage d’un bien commun, comme la connaissance. DataCités 2 initia la perspective d’une coopération entre différents territoires, mais la fin du programme, liée à l’arrêt de ses financements, y mit un terme.

Plusieurs enseignements peuvent néanmoins être tirés de cette expérience. Ils nous permettent d’énumérer plusieurs principes pour la création de cadres propices à la coopération interterritoriale à l’échelle nationale, pour concevoir, notamment, des services numériques territoriaux :

  • développer les capacités des acteurs par l’acquisition de savoirs et savoir-faire par le biais d’échanges et de travaux collectifs entre pairs, grâce à des méthodes et modules de codéveloppement afin de dépasser la « simple » mise en réseau ou « connectivité » des territoires10 ;
  • organiser ce(s) collectif(s) selon une logique d’échange et de partage entre professionnels, plutôt qu’entre représentants de collectivités, pour désinstitutionnaliser et libérer le propos ;
  • favoriser l’émergence des sujets et thématiques traitées grâce à une logique ascendante, collaborative et non prescriptive ;
  • ne pas avoir d’objectif temporel défini a priori, hormis celui du développement des compétences ;
  • impulser et animer (au moins au début) ce cadre de capacitation via le recours à un tiers de confiance, qui aide les collectivités, au sein de petits groupes – plutôt que de grandes assemblées – à objectiver leurs positionnements, leurs choix, leur maturité, etc. ;
  • adopter un modèle d’animation frugal, pour ne pas conditionner l’activité des participants aux attentes de co-financeurs externes11, donc accepter des modalités d’implication et des objectifs variables selon les temporalités et les acteurs ;
  • faire des résultats de ces échanges des communs mis librement à disposition de tous, soit des ressources gérées collectivement par une communauté qui établit des règles et une gouvernance pour préserver et pérenniser cette ressource.

Ces premiers principes seront prochainement discutés et consolidés sous l’impulsion de Chronos, des partenaires de DataCités 2 et de différents territoires ayant déjà manifesté leur intérêt à contribuer à un tel cadre de coopération. Cette démarche, ouverte à tous, à besoin des contributions de chacun pour faire émerger les questionnements, problématiques et modalités d’échanges autour desquelles coopérer. Car, développer ses compétences et ses capacités réside en priorité dans le fait de trouver et d’affirmer son propre mode de développement.

  1. Ce programme, piloté par l’entreprise sociale Chronos, a reçu le soutien financier de la Banque des territoires, de l’Agence de la transition écologique (ADEME), de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), de Bouygues construction, de Bouygues énergies et services, de la république et canton de Genève, afin d’accompagner la ville d’Antony, la communauté de communes du Bassin de Pompey, le Grand Poitiers communauté urbaine, la communauté d’agglomération de La Rochelle et la république et canton de Genève.
  2. Téléchargeable sur le site www.datacites.eu
  3. Beaucher R., « Transformation publique : temps et contretemps des consultants », Horizons publics janv.-févr. 2019, n7, p. 36-41.
  4. https://rudi.datarennes.fr
  5. https://www.occitaniedata.fr
  6. https://ge.ch/sitg
  7. Emmanuel Dupont est expert-conseiller transformation de l’action publique et territoires, ANCT.
  8. Rapport DataCités 2, 2020, p. 67.
  9. Laurent É., L’impasse collaborative. Pour une véritable économie de la coopération, 2018, Les liens qui libèrent.
  10. Vanier M., Transition, relance et territoire : en avant toutes vers… ?, 2021, PUG, Le virus de la recherche, saison 2, p. 9.
  11. Dans le champ du développement social urbain, de telles démarches ont pu mener à la structuration d’associations telles que celles du réseau de l’association des missions d’aménagement et de développement économique urbain et social (AMADEUS) (entre professionnels de collectivités) ou GNIAC (mixant collectivités, associations, entreprises).
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