Décarbonons l’action publique locale

Environnement
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Le 19 septembre 2018

« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs ». Ces mots de Jacques Chirac résonnent encore fortement. Couplées à la démission fracassante de Nicolas Hulot, ces interventions nourrissent l’idée que la question environnementale n’est pas au cœur du politique. La dynamique dans laquelle évolue le changement climatique questionne quant aux impacts immédiats auxquels vont devoir faire face les citoyens. Ceux-ci pourront s’appuyer sur les collectivités locales qui de part leur fonction de proximité ont et auront un rôle décisif afin d’amortir les effets de la transformation de notre écosystème. Nathanaël Duffit-Ménard, consultant en transformation des territoires et des organisations publiques, invite les collectivités territoriales à se transformer pour faire face aux bouleversements et aux pénuries de ressources.

Une centralité du carbone qui impacte les collectivités locales

Les collectivités vont être confrontées aux enjeux du changement climatique et aux risques de pénuries de ressources énergétiques qui ont pour dénominateur commun la centralité du carbone. Le bouleversement climatique en cours a pour source les gaz à effet de serre qui sont carbonés. Ceux-ci ont un caractère anthropique puisque l’homme est l’émetteur de ces pollutions. Notre action est telle que le programme des Nations Unis pour l’environnement indique que « même avec les engagements reçus dans le cadre de l’accord de Paris (COP21), les températures mondiales pourraient encore augmenter au cours du siècle, obligeant les citoyens à s’adapter à des nouveaux phénomènes météorologiques durables ».

Cette dynamique pourrait s’accélérer en cas de franchissement des effets de seuils[1]. Lorsque ceux-ci sont dépassés, la machine s’emballe conduisant à des transitions brusques, imprévisibles et s’autoalimentant (la dynamique de l’évaporation du permafrost est un exemple criant). Ces profondes mutations impacteront tous les aspects de notre quotidien : nourriture, eau,  santé, économie… Cette centralité du carbone est tout autant présente au niveau de l’activité économique. Celle-ci ne fonctionne que par le transport de marchandises qui nous place dans un rapport de dépendance face à l’énergie carbonée qu’est le pétrole. Le syndicat des transports routiers américains a réalisé une étude démontrant qu’au bout d’un mois sans transports l’eau potable ne sera plus disponible. Or l’énergie pétrolière semble avoir atteint son pic il y a 10 ans (les plus optimistes estiment qu’il le sera très prochainement). Cette ressource est donc mécaniquement amenée à décroitre. Ce phénomène purement physique est confronté à une hausse de la demande qui va raréfier les possibilités d’approvisionnement.

Les collectivités locales vont donc devoir faire face à des risques de pénurie ou de rationnement tout en continuant à poursuivre leurs missions de service public. Elles doivent donc se questionner sur leur rapport au carbone qui a le désavantage d’être en quantité suffisante pour impacter durablement notre environnement et en quantité insuffisante pour continuer à faire fonctionner notre système économique. Cette situation va donc obliger les collectivités à se transformer.

Transformer les politiques des collectivités territoriales : viser l’autonomie

Le monde que doit imaginer les collectivités territoriales de demain est celui d’un écosystème profondément transformé. Afin de répondre à ces problématiques environnementales et de ressources, la décarbonation doit être le cœur de l’action publique, si ce n’est son essence même. De façon péremptoire nous pouvons affirmer qu’à la lueur des enjeux, la transformation écologique des territoires ne peut être une politique publique parmi d’autres mais bien l’alpha et l’oméga de la réflexion des décideurs publics, un non-choix en somme. Il conviendra dès lors d’établir un diagnostic de son territoire en observant son rapport aux différentes énergies fossiles. Cette étape permettra d’identifier de façon systémique les actions et les politiques publiques à mettre en œuvre afin de baisser de manière significative et durable l’impact carbone. Dans le cas contraire,  elles doivent être retravaillées ou être écartées.

Il est important d’alerter les décideurs publics sur les solutions pouvant être présentées comme efficaces de prime abord comme le montre l’émergence de la voiture électrique (consulter l’article de Damien Detcherry) et la question de la dépendance vis-à-vis de la Chine[2]). Dans cet exemple  la question est plutôt de savoir quelle politique publique de transports individuels et collectifs permet la baisse drastique du carbone sur son territoire. Un rapport de Shift Project a démontré qu’il était possible d’éviter jusqu’à 70% des émissions de C02 dues à la mobilité des personnes en zone périurbaines.

Cependant penser décarbonation de l’action publique pourrait ne pas être suffisant dans le cas où les dynamiques environnementales amèneraient des ruptures par des effets de seuils ou si des pénuries de ressources interviendraient de façon brutale… (cf : Quand Edouard Philippe et Nicolas Hulot parlent d’effondrement ou le livre de Pablo Servigne et Raphaël Stevens[3]). Les collectivités locales seront en première ligne en cas d’effondrement qu’ils soient de faibles ou grandes importances. Elles pourront s’appuyer sur leur culture du risque pour anticiper ces phénomènes à travers les plans communaux de sauvegarde, les différents plans de préventions mais aussi en innovant en trouvant des outils d’anticipation.

La résilience territoriale[4] est aussi une des réponses majeures aux possibles transformations non voulues. Chaque communauté, territoire devra créer son modèle propre. La résilience d’une métropole ne peut être la même que celle d’une communauté de communes en milieu montagnard.

La première étape est de penser local afin d’essayer de rendre le plus possible autonome son territoire face aux facteurs de risques et aussi dans son rapport au carbone. Nous pouvons souligner ici la mise en œuvre d’une régie agricole dans la ville de Mouans-Sartoux. Un mouvement s’opère actuellement vers les économies circulaires qui ont un rôle à jouer en tant qu’amortisseur fort et peuvent se révéler être des outils de transformation écologique. La résilience et l’autonomie nécessitent de peser ses efforts et d’avoir une politique de réponse à des besoins moindres mais vitaux. La sobriété territoriale pourrait être une action immédiate et une réponse à un bouleversement. Penser low-tech en lieu et place de high-tech (la question des smart city doit se poser) est une mesure anticipatrice, émancipatrice et d’accompagnement à la transformation d’un territoire. Enfin autonomie ne veut pas dire indépendance car la résilience ne pourra passer que par une solidarité avec les autres entités avoisinantes. La création de liens avec l’environnement avoisinant servira d’amortisseur en cas de survenances de chocs.

En somme les potentielles crises à venir ne pourront être gérées que par des structures ayant anticipé les enjeux et leurs conséquences tout en ayant intégré les principes de sobriété, de solidarité et de résilience. Pour ce faire c’est toute une politique publique locale à transformer en misant sur la décarbonation des territoires.

[1] résumé du GIEC à l’attention des décideurs p85

[2] La voiture électrique, une aubaine pour la Chine – Guillaume Pitron - Le Monde diplomatique – Août 2018

[3] Comment tout peut s’effondrer – Pablo Servigne et Raphaël Stevens – Edition du Seuil

[4]Petit traité de résilience locale – Editions Charles Léopold Mayer – Agnès Sinaï, Raphaël Stevens, Hugo Carton, Pablo Servigne

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