L'intelligence artificielle, évènement mineur ou majeur pour le secteur public ?

Couverture maitriser l'IA au service de l'action publique
Illustration Vraiment Vraiment
©Édition Berger-Levrault
Le 24 janvier 2023

À l'occasion de la parution de l'ouvrage collectif Maîtriser l'IA au service de l'action publique. Une responsabilité individuelle et collective, sous la direction de Christian Paul et Daniel Le Métayer, et au moment où l'Intelligence artificielle générative, de type ChatGPT, fait la une de l'actualité, Horizons publics vous propose de prendre du recul en croisant deux regards. Daniel Kaplan, prospectiviste et co-fondateur du réseau Université de la Pluralité, se demande si l'IA est un évènement mineur tandis que Renaud Vedel, ancien coordonnateur de la stratégie nationale pour l'intelligence artificielle (IA), rattaché à Bercy, et aujourd'hui directeur du cabinet de Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications, considère que le secteur public peut tirer profit des avancées rapides de l'IA.

Daniel Kaplan : Et si l’IA était un événement mineur ?

Si l’on accepte que la fonction principale de l’IA consiste à optimiser l’existant – ce qui n’aurait rien de honteux –, alors on doit mesurer son succès aux gains de productivité obtenus. Dans ce cas, cependant, les données historiques (pré-IA) devraient nous inviter à la prudence : la vague d’informatisation depuis les années 1960 coïncide en fait avec un ralentissement constant des gains de productivité, qui, au moins depuis les années 2000, touche tous les secteurs, y compris l’industrie1. En ira-t-il autrement avec l’intelligence artificielle ?

Deux considérations permettent d’en douter. D’une part, les facteurs qui empêchent les incontestables apports de l’informatique à l’efficience de tel ou tel processus de se traduire en gains de productivité à une plus grande échelle n’ont pas disparu : qu’il s’agisse de la rigidité des organisations, de la tendance à réinvestir ces gains dans la création de nouveaux produits ou de produits enrichis en fonctions plus ou moins utiles, etc. D’autre part, certaines indications laissent penser que, là où l’on utilise le plus massivement l’intelligence artificielle, par exemple dans la publicité et la sécurité, les bénéfices ne justifient pas la débauche de moyens techniques et humains2 mobilisés. Les revenus supplémentaires qu’obtiennent les annonceurs grâce aux publicités personnalisées se limiteraient à quelques pourcents3 ; tandis que l’impact de la vidéosurveillance, dont l’IA augmente l’efficacité grâce à la reconnaissance de visages, formes et mouvements, continue d’apparaître modeste4 – on ne discutera pas ici de sa performance dans les régimes autoritaires.

Renaud Vedel : Comment le secteur public peut-il tirer au mieux profit des avancées rapides de l'IA ?

Dans un produit ou un service, les fonctionnalités d’IA ne sont pas forcément majoritaires. Ce sont des modèles intégrés dans du logiciel classique. Par ailleurs, l’IA peut proposer plusieurs solutions possibles, mais c’est un humain qui doit in fine prendre la décision. En matière policière, par exemple, un système de reconnaissance faciale ne décide jamais, c’est toujours un opérateur qui analyse les propositions de la machine. Au lieu de faire des recherches très fastidieuses dans des grandes masses de données, il va simplement vérifier si ce que la machine propose est la bonne solution ou pas. Le code ne doit donc pas prévoir une automatisation de bout en bout, mais prévoir des coupe-circuits décisionnels.

L’IA ne doit donc pas monopoliser le débat de la transformation numérique. Si on peut obtenir des gains de productivité ou améliorer les conditions de travail des agents ou les services aux usagers avec des technologies numériques plus simples et moins coûteuses que l’IA, il faut les privilégier. En revanche, ce serait une erreur stratégique que de ne pas explorer progressivement le potentiel de l’IA avec des pionniers de l’innovation dans l’administration. Certains vont maîtriser l’image, d’autres, le langage ou d’autres types de données.

 

La suite de ces deux extraits à lire dans l'ouvrage collectif

Couverture maitriser l'IA au service de l'action publique

Illustration Vraiment Vraiment

 

 

 

Ni ange ni démon : comment mettre l’IA au service de l’action publique ?

 

Dans d’innombrables organisations publiques ou privées réalisant des activités de production de services, l’intelligence artificielle prend une place inimaginable il y a encore dix ans. L’accélération, permise par des apprentissages engloutissant des masses considérables de données et d’images, n’est pas un mythe.

 

Mais qu’en est-il réellement dans le monde public ? Où trouver les promesses tenues et les expérimentations marquantes ? Et surtout, qui assume la responsabilité d’éclairer et de maîtriser le déploiement de ces nouveaux systèmes auxquels beaucoup prêtent un immense avenir sans pouvoir en identifier ni l’agenda ni les risques ?

 

C’est la question centrale de cet ouvrage : comprendre comment les autorités publiques à tous les niveaux, les développeurs numériques et les entreprises, les citoyens/usagers jouent – ou ne jouent pas – un rôle dans l’histoire de l’intelligence artificielle mobilisée pour la transformation de l’action publique. Quelles responsabilités individuelles et collectives doit-on affirmer pour que cette grande aventure humaine et technologique ne vire pas au fiasco ou au cauchemar ?

 

À l’heure où s’écrit ce livre, l’intelligence artificielle ne révolutionne pas – ou pas encore – le monde public. Les applications les plus communément expérimentées ou déjà déployées ont pour principaux objectifs l’automatisation de tâches bureaucratiques répétitives, la surveillance, l’aide à la décision ou le diagnostic en santé.

Mais qu’en sera-t-il demain ? Que l’on conteste ses bienfaits ou que l’on redoute ses risques, l’intelligence artificielle contient néanmoins d’immenses potentiels. Ange ou démon ? Le débat public sur l’IA doit avoir lieu sans retard et sans tabous, en considérant ses multiples facettes. Il doit impliquer tous les acteurs concernés et reposer sur des faits plutôt que des idées préconçues. L’enterrer ou l’édulcorer serait une faute démocratique majeure.

 

Ce livre est le troisième titre de la collection « Au fil du débat-Action publique », créée par la chaire Transformations de l’action publique de Sciences Po Lyon en partenariat avec les éditions Berger-Levrault.

 

Ouvrage disponible en librairie et sur la boutique en ligne Berger-Levrault.

 

1. Khder M.B. et Monin R., « La productivité en France de 2000 à 2015. Poursuite du ralentissement et hausse
modérée de la dispersion entre entreprises », INSEE Références 2019.
2. Casilli A., En attendant les robots. Enquête sur le travail du clic, 2019, Seuil.
3. Marotta V., Abhishek V. et Acquisti A., “Online Tracking and Publishers’ Revenues. An Empirical Analysis”, Workshop
on the Economics of Information Security 2019.
4. Le Goff T., « Le faux et coûteux miracle de la vidéosurveillance », Après-demain 2010, vol. 16, no 4, p. 28-30. 

×

A lire aussi