Ruptures possibles à l’horizon 2040-2050

Rapport Vigie 2020
Rapport Vigie 2020
©Futuribles International
Le 14 mai 2021

La crise actuelle rappelle que l’histoire est rarement un long fleuve tranquille, que la prolongation des tendances en cours ne dessine pas toujours le futur le plus probable, que les ruptures sont fréquentes. Peut-on les anticiper ? Peut-on s’y préparer ? Comment se prémunir contre les ruptures menaçantes ? Comment favoriser celles qui nous semblent désirables ?

Le rapport Vigie 20201 propose un panorama de seize scénarios de rupture qui fournissent des esquisses d’un paysage mondial qui risque d’être en forte turbulence dans les trente années qui viennent. Il explore des ruptures profondes, parfois très probables (par exemple, celles liées aux modifications de l’environnement, aux changements de rapports de force entre puissances, etc.), et parfois moins (l’avènement d’une écologie de synthèse, le poids croissant des religions sur la politique, etc.). Ni prédictions, ni prévisions, ces scénarios de rupture visent à éclairer le monde dans lequel nous sommes pour nous permettre d’imaginer le monde vers lequel nous pourrions aller.

Les scénarios de ce rapport ont été écrits indépendamment les uns et des autres et peuvent être lus séparément. Ils sont complétés par des réflexions et des récits de fiction proposés par des artistes qui ouvrent ainsi ce rapport non seulement aux approches analytiques, mais aussi aux imaginaires. Parcourus ensemble, ces scénarios ne tempèrent ni la complexité ni l’incertitude du monde qui vient, mais ils composent une cartographie des ruptures possibles, plus ou moins probables, souhaitables ou inacceptables, bien utiles pour ordonner nos interrogations et nos controverses sur l’avenir.

Cette cartographie globale intègre les seize scénarios de rupture analysés dans le rapport et cinquante autres qui ne sont qu’esquissés. Elle positionne ces ruptures au regard de quatre grands champs et de six trajectoires d’évolution de l’économie mondiale et de la géopolitique.

Scénarios de rupture à l'horizon 2040-2050

Le centre de réflexion prospective Futuribles International explore, dans le Rapport Vigie 2020, 16 scénarios qui décrivent un paysage international, dans les 30 années à venir, transformé par des ruptures profondes, fort probables (modifications de l’environnement, changements de rapports de force entre puissances…), parfois moins (avènement d’une écologie de synthèse, poids croissant des religions sur la politique…).

Le premier champ où de profondes transformations sont en cours et attendues dans les trente prochaines années est évidemment celui de la disponibilité et de la qualité des ressources essentielles à la vie humaine. On parle ici au premier chef des dégradations de l’environnement (climat, biodiversité) et des catastrophes dont elles sont porteuses. On examine aussi différentes ruptures que peut entraîner l’adaptation aux changements irréversibles (les migrations de masse, la conquête de nouveaux territoires), pour apprendre à vivre dans les limites de notre écosystème, ou, au contraire, pour aller au-delà des limites physiques aujourd’hui constatées (grâce à la bio-ingénierie, en partant à la conquête de l’espace, etc.). Au total, les ruptures explorées dans ce champ ont été regroupées autour de deux grandes trajectoires d’évolution : la disparition progressive ou brutale des écosystèmes (en vert, p. 86-87), l’emprise croissante des technologies sur les sociétés (en gris, p. 86-87).

Le rapport Vigie 2020 explore des ruptures profondes, parfois très probables (par exemple, celles liées aux modifications de l’environnement, aux changements de rapports de force entre puissances, etc.), et parfois moins (l’avènement d’une écologie de synthèse, le poids croissant des religions sur la politique, etc.).

Le deuxième champ examiné est celui de l’économie mondiale. La pandémie actuelle a profondément perturbé le fonctionnement de l’économie mondiale en 2020. Le choc est en partie conjoncturel, mais il a également servi de révélateur des dysfonctionnements ou des divergences profondes de vision du monde. Les ruptures envisagées dans ce champ explorent la remise en cause de la mondialisation marchande (l’essor des communs, la naissance de cités-régions autonomes, etc.), son extension (une reconfiguration du marché du travail mondial via l’intelligence artificielle), sa scission (deux zones de libre-échange), ou son inflexion sous l’influence croissante de la Chine. Aussi les deux tendances structurantes autour desquelles sont regroupées les ruptures sont-elles celles de « la mondialisation chinoise » et du « capitalisme mondialisé face aux nouvelles logiques économiques » ?

Le troisième champ de transformation présenté est celui de la géopolitique et de la gouvernance des enjeux mondiaux. L’effritement du multilatéralisme hérité de la Seconde Guerre mondiale et l’émergence ou le renforcement d’acteurs non étatiques, alors même que la gestion d’enjeux mondiaux (environnement, migrations, prolifération, santé, etc.) prend une acuité de plus en plus forte, ouvrent un large espace pour envisager des situations nouvelles de gouvernance de ces enjeux à une échelle globale ou plus locale. Dans ce champ, deux grandes évolutions contrastées se dessinent. La première est la structuration progressive du monde autour de blocs solides et concurrents, nous inscrivant dans une nouvelle Guerre froide. La seconde met au contraire en avant l’émergence de coalitions d’acteurs (États, organisations non gouvernementales, entreprises, religions, etc.) se fédérant autour d’enjeux spécifiques (telle ou telle situation de détresse humanitaire, l’accès aux vaccins dans les pays pauvres, etc.) et parfois éphémères.

Une partie de la cartographie propose également un panorama non exhaustif des ruptures qui peuvent intervenir à des échelles régionales, mais avoir des répercussions fortes à l’échelle mondiale (guerre du lithium, l’Iran proie des monarchies du Golfe, etc.). Ici particulièrement, les ruptures envisagées n’offrent qu’un aperçu de ce qui pourrait se passer. L’ambition n’est pas de proposer une cartographie exhaustive des ruptures possibles, et notamment pas des wild cards, ces événements à très forts impacts, mais largement imprévisibles, car leur probabilité est très faible et leurs horizons temporels aléatoires (un conflit nucléaire entre l’Inde et le Pakistan, par exemple).

Les ruptures présentées ici ont essentiellement pour objectif d’alerter sur des domaines de changement qui nous semblent majeurs et aujourd’hui insuffisamment pris en considération. « En situation de crise, la tentation est forte pour le décideur d’écarter les spéculations sur l’avenir et de se concentrer sur l’enchaînement des problèmes à résoudre. Mais quand la crise est à la fois planétaire et systémique, chaque maillon de la chaîne des décisions oriente insensiblement les choix qui engagent l’avenir. Ce n’est donc pas le moment de relâcher sa vigilance prospective. C’est à ce regain d’attention [qu’] invite le rapport Vigie 20202. »

Le schéma présenté (p. 86-87) est inspiré par la « toile prospective », un outil de représentation prospective développée par Michelin. La toile prospective permet de positionner les différents scénarios de rupture en fonction de l’horizon temporel auquel ils pourraient survenir. Ainsi, le cœur du schéma regroupe les ruptures possibles à l’horizon 2025, alors que l’extérieur correspond à celles possibles à l’horizon 2050. Cette différence de positionnement des ruptures s’explique par la nature des sujets abordés. Ainsi, il a semblé plus pertinent, en accord avec les auteurs, d’aborder les scénarios de rupture liés au changement climatique ou à la sobriété à un horizon plus éloigné (compte tenu des inerties et du rythme des changements) que ceux liés à la géopolitique ou au commerce.

Le premier champ où de profondes transformations sont en cours et attendues dans les trente prochaines années est évidemment celui de la disponibilité et de la qualité des ressources essentielles à la vie humaine.

La toile présente des ruptures de trois natures différentes. Dans le rapport de Futuribles International, seize scénarios de rupture à l’horizon 2040-2050 ont fait l’objet d’une analyse approfondie. Dans la toile, ils sont indiqués en gras, précédés du numéro leur correspondant dans le rapport (numéro en blanc dans un disque noir).

Par ailleurs, cinquante mini-scénarios ont été envisagés dans le cadre de l’élaboration du rapport. Ils sont mentionnés en maigre, eux aussi précédés du numéro qui leur correspond dans cette partie (numéro noir dans un cercle noir). Certains sont centrés sur des événements précis, d’autres sont plus complexes et résultent de la conjonction de plusieurs phénomènes. Ils sont issus des réflexions de l’équipe Futuribles, des enquêtes ou ateliers réalisés avec les membres de l’association Futuribles International, avec ses conseillers scientifiques, et avec un panel d’experts des relations internationales pour les ruptures géopolitiques.

Enfin, des wild cards sont représentées par des polygones étoiles gris clair. Elles correspondent à des événements à très forts impacts potentiels et à l’horizon temporel indéterminé. Seules quelques-unes sont mentionnées ici, de nombreuses autres pourraient bien évidemment être identifiées.

Extrait de deux scénarios de rupture à l’horizon 2040-2050 :

1. En 2050, le réchauffement climatique atteint 3 °C et modifie l’habitabilité de la Terre

À l’horizon 2050, la communauté internationale n’est pas parvenue à réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Au contraire, celles-ci ont continué à croître, accélérant encore le réchauffement climatique, qui a atteint 3 °C par rapport à l’ère préindustrielle, confirmant ainsi les scénarios les plus pessimistes. Les différentes mesures d’adaptation et les technologies testées (comme la géo-ingénierie) se révèlent insuffisantes et un nombre croissant de territoires de la planète deviennent inhabitables. Il s’agit principalement de zones côtières (y compris des grandes villes) submergées par la montée des eaux, ainsi que de territoires en Asie du Sud-Est, au Sahel et au Moyen-Orient, etc. Plus d’un milliard de personnes sont concernées.

Parallèlement, les modifications climatiques conduisent aussi à rendre de nouvelles terres habitables. Le Groenland et la Sibérie, ainsi que certains territoires des pays d’Europe du Nord deviennent de nouveaux eldorados, qui attirent à la fois des populations, des investissements pour exploiter les terres agricoles et les ressources géologiques rendues accessibles par la fonte des glaciers.

2. En 2050, la gestion des migrations de masse est devenue le problème mondial numéro un

En 2050, plusieurs zones ont été déclarées inhabitables par le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) à cause des conséquences du changement climatique. Face à la croissance des flux migratoires qui en résulte, une stratégie internationale de relocalisation des populations touchées est déployée par la plateforme sur les déplacements liés aux catastrophes (PDD : platform on disaster deplacement), à l’initiative de l’Union européenne. Entre 2045 et 2065, ce sont près de 850 millions de personnes qui sont ainsi déplacées de manière planifiée, principalement en Asie du Sud et du Sud-Est, en Afrique subsaharienne et dans l’océan Pacifique Sud. Bien évidemment, tous les acteurs ne soutiennent pas l’ensemble des initiatives d’artificialisation des écosystèmes. Cette situation génère de nombreux conflits éthiques, diplomatiques ou physiques. Les prises de position varient en fonction de la gravité des problématiques rencontrées par les territoires et des moyens à disposition des acteurs qui opèrent.

  1. Désaunay C. et Jouvenel (de) F. (dir.), « Scénarios de rupture à l’horizon 2040-2050. Rapport Vigie 2020 », Futuribles déc. 2020.
  2. Blanc Y., « Scénarios de rupture à l’horizon 2040-2050. Rapport Vigie 2020 », op. cit., p. 6.
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