Le biomimétisme pour penser la ville de demain

biomimétisme
Le 7 décembre 2019

S’inspirer de la nature pour mieux vivre dans nos métropoles surchargées et polluées : c’est le pari que font des architectes, urbanistes, bâtisseurs et décideurs, épaulés par des scientifiques.

Il fait toujours bon vivre dans une termitière. Quand les températures extérieures grimpent, il y fait frais. Quand elles chutent, l’atmosphère intérieure y est cosy. Le termite est un pro de la climatisation : lorsqu’il construit son habitat, il prend soin d’y intégrer un ingénieux système de ventilation naturelle. « Une cheminée centrale évacue l’air chaud attiré vers le haut tandis que l’air aspiré par de petits trous creusés à la base du nid est rafraîchi en circulant sous terre, au contact de puits très profonds qui atteignent la nappe phréatique », explique Jean-Philippe Camborde dans son très bel ouvrage Biomimétisme. Il y a du génie dans la nature ! 1. L’architecte Mick Pearce s’est inspiré de ce système de régulation thermique pour créer, en 1996, le centre commercial Eastgate Building, à Harare, au Zimbabwe. Le bâtiment absorbe la fraîcheur de la nuit et l’insuffle dans ses allées la journée. Pas moins de quarante-huit cheminées évacuent l’air réchauffé. Cette clim’ naturelle permet de réduire de 90 % la consommation énergétique.

Observer le vivant et s’en inspirer pour innover : tel est le principe du biomimétisme. « C’est une démarche d’innovation qui fait appel au transfert et à l’adaptation des principes et stratégies élaborés par les organismes vivants et les écosystèmes, afin de produire des biens et des services de manière durable, et rendre les sociétés humaines compatibles avec la biosphère », détaille Janine M. Benyus, la première à avoir défini le concept. Depuis 3,8 milliards d’années, la nature démontre son ingéniosité et sa capacité à s’adapter à l’environnement et au changement. Elle innove en permanence, en harmonie avec son écosystème. Appliqué à de nombreux domaines (médecine, industrie, chimie, etc.), le biomimétisme s’invite aussi dans l’architecture et l’urbanisme. Et de plus en plus, écologues et biologistes viennent épauler architectes et professionnels de la construction. Ensemble, ils conçoivent des solutions durables pour la ville de demain. Car il y a urgence : d’ici 2050, 70 % de la population mondiale vivra dans un écosystème urbain. « Ces espaces ne sont pas prêts, ils n’ont pas été conçus en intégrant ou en prévoyant les enjeux écologiques, climatiques, sociaux et de santé publique auxquels nous devons faire face aujourd’hui et demain. Ils doivent être repensés », soulignaient les organisateurs de la dernière édition de Biomim’Expo, en septembre 2019, consacré à la ville. « Comment la nature peut-elle nous inspirer pour repenser nos espaces de vie ? », s’interrogeaient-ils.

Pomme de pin météo-sensible, fourmi bien orientée

Déjà, des stratégies bio-inspirées se mettent en place pour repenser les métropoles sous l’angle du régénératif. La pomme de pin météo-sensible, les fourmis au système d’orientation unique, les algues mangeuses de carbone sont autant de réservoirs d’idées pour la conception de bâtiments, l’organisation des transports, la gestion de l’énergie dans des villes saturées, polluées et congestionnées. « Si le biomimétisme modifie de plus en plus notre manière de construire – ce que je pense qu’il doit faire – alors, dans les prochaines décennies, nous pouvons créer des villes saines pour leurs habitants et régénératrices pour leur arrière-pays, des bâtiments à la fois économes en ressources et agréables à utiliser comme lieu de vie ou de travail et des infrastructures intégrées aux systèmes naturels », parie Michael Pawlyn, architecte britannique et chef de file du courant biomimétique qui consacre un ouvrage à ce mode de conception2. La ville bio-inspirée de demain ne se contente pas de trois arbres plantés ici et là, aléatoirement, d’une toiture végétalisée ou de bâtiment en forme de ruche, de nid d’oiseau ou de baobab (« on parle alors de “biomorphisme” », explique Michael Pawlyn). Bien au-delà, cette ville-là intègre pleinement la biodiversité et est génératrice de services écosystémiques (pollinisation, photosynthèse, accueil des espèces, par exemple). « Le biomimétisme est transdisciplinaire et les scientifiques, qui ont la connaissance du vivant, sont de plus en plus intégrés dans les projets d’architecture et d’urbanisme », indique Eduardo Blanco, ingénieur de l’environnement et chargé de la mission Habitat et villes régénératrices au CEEBIOS3, le réseau de compétences en biomimétisme.

Si l’architecture fait figure de pionnière en matière de biomimétisme, ce n’est pas le seul aspect de la ville qui reproduit ce que fait la nature. Petit à petit, la démarche s’invite aussi dans l’urbanisme, la planification de quartier. « On s’inspire alors d’un écosystème complet, on étudie les relations entre les divers éléments qui le composent, comme une forêt », détaille Eduardo Blanco. En matière de transports et gestion des flux, le vivant s’impose également, doucement. Les déplacements des insectes et ceux des protéines font ainsi l’objet de recherches : tout y est parfaitement calé, sans embouteillage. « L’idée est de comprendre comment le vivant structure ses réseaux, trouve le plus court chemin d’un point à l’autre », poursuit Eduardo Blanco.

Performances énergétiques

La démarche biomimétique séduit. Régulièrement, les donneurs d’ordre l’intègrent à leur cahier des charges, attentifs à la transition écologique et aux performances énergétiques. En matière de coûts, les projets immobiliers biomimétiques semblent être légèrement plus chers. Un surplus rapidement amorti par l’efficacité énergétique de ces bâtiments. Ainsi, le Bullit center, à Seattle, « le bâtiment commercial le plus vert du monde », a estimé son coût de construction supérieur d’environ 25 % à celui d’un bâtiment standard. Mais les économies d’énergie pour la société sur toute la durée de vie du building atteignent 18,5 millions de dollars. À l’heure de la transition écologique et des préoccupations environnementales majeures, le biomimétisme apparaît comme une des solutions les plus durables pour l’avenir. D’un bout à l’autre de la planète, des réalisations sortent de terre. « Les premières applications intégrées et complexes du biomimétisme sont tout juste en train d’apparaître et indiquent qu’un marché plus important est sur le point d’émerger, dit Michael Pawlyn. Les projets biomimétiques achevés à ce jour ne dévoilent qu’une infime partie d’un potentiel qui commence tout juste à être exploré », poursuit-il. Quelque 1,7 million d’espèces sont aujourd’hui connues et décrites sur Terre, 300 000 dans les océans. Autant d’opportunités pour les villes de demain.

La nature au service de la ville de demain :
c’est déjà aujourd’hui !

Plusieurs villes françaises expérimentent déjà le biomimétisme en matière de bâtiments et d’équipements, tandis que des équipes de recherche travaillent à des applications futures.

Éclairage urbain. Allumez les bactéries !

Lampadaires, enseignes lumineuses, spots : la nuit, les villes sont inondées de lumière. Une mise sous les projecteurs gourmande en électricité (19 % de la consommation mondiale), émettrice de gaz à effet de serre et génératrice de pollution visuelle. Et si, plutôt que d’actionner le courant, on allumait… des bactéries ? Dans la nature, certains organismes produisent naturellement de la lumière (vers luisants, lucioles, créatures marines). Le phénomène s’appelle la bioluminescence. La start-up française Glowee s’est inspirée de cette propriété pour mettre au point un système d’éclairage naturel innovant, sans électricité, en faisant se rencontrer un calamar abyssal et une bactérie E.coli. Les gènes responsables de la bioluminescence du premier ont été extraits et introduits dans le génome de la seconde, lui permettant de devenir à son tour lumineuse. Plongées dans un environnement propice dans lequel elles peuvent se nourrir et se développer, les bactéries émettent une lumière bleue-verte en continu, capable d’illuminer une partie de la ville. Rambouillet (78) a signé une convention de deux ans avec Glowee pour expérimenter la bioluminescence dans certains quartiers.

Urbanisation. Les protéines bâtisseuses de la ville

Surpeuplées, congestionnées, les villes étouffent. Les piétons, les cyclistes, les automobilistes et les transports en commun se marchent sur les pieds et les roues. Les réseaux d’eau, d’électricité et de gaz se chevauchent dans un espace réduit et contraint. L’harmonie semble impossible. À moins de confier l’urbanisation aux protéines. Plus petites briques fonctionnelles du monde vivant, elles font preuve depuis plus de trois milliards d’années de capacités de flexibilité et d’agencement inégalées. Chacun des acides aminés qui compose les protéines est disposé d’une manière bien précise, qui permet de parer les imprévus. Un système de gestion de l’espace que des chercheurs des laboratoires Ampère (CNRS/Centrale Lyon/
université Claude-Bernard/INSA Lyon), du laboratoire de mathématiques (LAMA, CNRS/USMB), du laboratoire d’informatique en image et systèmes d’information (LIRIS, CNRS/université Lumière Lyon 2/Centrale Lyon/université Claude-Bernard) et de l’Institut rhônalpin des systèmes complexes (IXXI, CNRS/INRIA/ENS Lyon) ont modélisé et appliqué à des villes comme New-York, Lyon ou Barcelone. Le projet « GO-Pro, gestion optimisée : protéines urbaines » prend les bâtiments à la place des acides aminés puis quantifie et qualifie l’espace disponible autour. Une fois cette cartographie établie, il est possible de comprendre comment chacun pourrait mieux circuler en ville et comment l’espace urbain pourrait être optimisé.

« Chercher dans le vivant la solution, tel est le principe du biomimétisme », selon Eduardo Blanco, ingénieur de l’environnement et chargé de la mission Habitat et villes régénératrices au CEEBIOS. 

Architecture. Un bâtiment qui imite la nature

À la termitière, il emprunte son système de ventilation naturelle. À la pomme de pin, ses écailles qui se rétractent ou s’ouvrent en fonction de la météo. Le futur Ecotone, vaste ensemble de 82 000 m² qui doit sortir de terre à Arcueil (94) en 2023, se veut comme la vitrine du biomimétisme architectural. Pour concevoir ce bâtiment durable et auto-suffisant, les spécialistes de l’architecture ont travaillé avec les experts du CEEBIOS et du Muséum national d’histoire naturelle. « Ecotone montre ce que le biomimétisme peut apporter à l’architecture en termes d’efficacité énergétique, de qualité esthétique, de pérennité, de qualité d’usage, et ce que l’application d’une démarche biomimétique bouleverse dans le déroulement habituel d’un projet urbain : implication de scientifiques très tôt dans le travail de réflexion, renouvellement de la manière de penser des questions telles que celles des usages, des structures, des matériaux, etc. », explique le porteur du projet, La Compagnie de Phalsbourg. En 2017, Ecotone a été lauréat du concours Inventons la métropole du Grand Paris.

Air. Des micro-algues contre la pollution

La nature a inventé ce qu’il y a de mieux en matière de captation du carbone : les océans. Le phytoplancton qui y vit a la capacité d’absorber le CO2 puis de le transformer en oxygène et en biomasse, génératrice d’énergie. Dans les villes, même loin de la mer, il peut offrir aux citadins une oasis bienvenue d’air pur. La société SUEZ et la start-up Fermentalg ont développé des puits de carbone urbains, vastes colonnes remplies d’eau et de micro-algues, qui captent la pollution (particules fines, dioxyde d’azote notamment) et purifient ainsi l’air. Le périmètre autour de ces puits devient alors une zone préservée, où chacun peut respirer. Et ce n’est pas le seul cadeau que fournissent ces micro-algues : la biomasse qu’elles génèrent produit du biogaz qui alimente le réseau de gaz naturel. « La pollution se transforme en énergie », souligne Pierre Heurtaux, chef de projet puits de carbone chez SUEZ. La solution innovante et naturelle a démontré son efficacité : les études réalisées par SUEZ et l’INERIS concluent à un taux d’abattement des poussières de 66 à 99 %, et de 76 à 97 % pour les dioxydes d’azote. Après une phase d’expérimentation à Paris, le puits de carbone de SUEZ est actuellement en test à Poissy (78) et pourrait prochainement se multiplier dans les métropoles.

  1. Camborde J.-P., Biomimétisme. Il y a du génie dans la nature !, 2018, Éditions Quae.
  2. Pawlyn M., Biomimétisme et architecture, 2019, Éditions Rue de l’Echiquier.
  3. Centre européen d’excellence en biomimétisme de Senlis.

 

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