Celui qui fait tomber son pain aura un gage !

Le 19 novembre 2019

À défaut d’avoir fait l’annonce officielle sur les réseaux sociaux comme certains de mes camarades (et comme certains des vôtres, j’en suis sûr), je vous l’annonce en avant-première : ça y est, j’ai mangé ma première raclette de la saison !

C’est l’engouement général et démesuré pour cette spécialité suisse qui m’a poussé à faire cette annonce officielle. En réalité, je suis plutôt de cette minorité – souvent rejetée – qui préfère la fondue savoyarde à la raclette. Enfin, la situation aurait pu être pire. Certaines personnes, discriminées quotidiennement par leurs proches, n’aiment simplement aucun fromage. Que « ces autres » soient rassurés, ils n’y sont pour rien ! En effet, des chercheurs lyonnais, lauréats 2017 d’un IgNobel de médecine (contraction de « ignoble » et de « Nobel », parodiant le fameux prix suédois), en 2017, ont démontré scientifiquement les mécanismes cérébraux sous-jacents à l’aversion que certaines personnes ont pour « les fromages qui puent » 1.

Quoi qu’il en soit, ce grand événement (on parle à nouveau de ma raclette là, pas de l’IgNobel) a été l’occasion pour moi de réfléchir un peu à un des besoins fondamentaux de l’être humain (d’autant plus quand il est Français) : manger.

Pour le bon franchouillard, manger ne se résume pas à l’absorption d’aliments. En effet, le Français apprécie particulièrement le repas qu’il vit comme un moment de plaisir et de convivialité. Il l’apprécie tellement qu’il l’a fait entrer au patrimoine culturel immatériel de l’Humanité2.

Cela étant, si à une époque le Français pouvait être séduit par le simple slogan « Mangez des pommes », aujourd’hui il faudrait lui en préciser l’origine, la variété, la teneur en sucre, si la pomme est issue d’une agriculture biologique, etc. En effet, comme le dit très clairement une récente étude menée par le groupe BVA3, 57 % des Français se disent plus préoccupés par leur alimentation. Cette statistique est portée à 72 % chez les jeunes. Le problème c’est que « préoccupé » veut un peu tout et rien dire…

Côté alimentation, l’offre est considérable. Pas facile de s’y retrouver. Pour nous aider, il existe certains sigles officiels comme les AOC, AOP, IGP, etc. Encore faut-il connaître la signification de chacun de ces acronymes ! Cela dit, une fois qu’on s’y intéresse, cela n’a rien de bien sorcier. Voilà mon petit tour de table.

L’appellation d’origine contrôlée (AOC) désigne des produits répondant aux critères de l’appellation d’origine protégée (AOP) et protège la dénomination sur le territoire français. Elle constitue une étape vers l’AOP (son équivalent européen). Au total, en 2018, la France ne comptait pas moins de 470 AOC/AOP (dont 363 viticoles et dix-sept boissons spiritueuses ; le franchouillard n’aime pas que le fromage visiblement…)4. Concrètement, la reconnaissance d’une AOC/AOP permet de garantir au consommateur que le produit qui en bénéficie est fabriqué dans un terroir bien spécifique et selon un cahier des charges strict, supposé être gage de qualité.

Contrairement à l’AOC/AOP, qui impose que toutes les étapes de la fabrication soient réalisées dans une même zone, l’indication géographique protégée (IGP) impose seulement qu’une étape au moins ait lieu dans cette aire délimitée. Exemple d’IGP : la choucroute d’Alsace (les choux n’étant pas obligatoirement alsaciens).

Toujours dans le but d’offrir un gage de qualité au consommateur et une reconnaissance (ainsi qu’une protection) du savoir-faire des producteurs, l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO) délivre également le fameux « Label rouge », un signe national désignant des produits qui ont un niveau de qualité supérieur par rapport aux autres produits similaires habituellement commercialisés (par leurs conditions de production ou de fabrication).

Au-delà de la question du terroir, la qualité d’un produit peut dépendre de bien d’autres critères. Ainsi, outre ces signes officiels accordés et contrôlés par l’État, il existe un grand nombre de labels permettant d’éclairer le choix du consommateur. Notamment du fait de son ancienneté, on connaît bien maintenant le label Max Havelaar qui permet d’identifier les produits du commerce équitable ou encore le label MSC dont l’octroi est conditionné par une pêche durable respectant l’environnement.

Les consciences étant de davantage éveillées sur l’enjeu environnemental, ces labels ont tendance à se répandre et surtout à influencer de plus en plus les choix des consommateurs, bien que statistiquement les deux premiers critères d’achat restent le prix et la date de péremption du produit5.

La préoccupation grandissante des Français pour leur alimentation et l’environnement cristallise parfois quelques tensions entre consommateurs et producteurs agro-alimentaires. Dernièrement, on a beaucoup entendu le mot « agribashing ». Ça veut dire quoi ?

Défini simplement comme le sentiment des agriculteurs de dénigrement systématique de leurs pratiques, l’« agribashing » est particulièrement mis en lumière par les récentes actualités : les arrêtés municipaux prévoyant des zones de non-traitement, la signature du CETA6 et les nombreuses accusations et actions de certains groupes militants opposés à l’élevage.

Encouragés par leurs syndicats, les exploitants agricoles ont mené plusieurs actions de protestation ces dernières semaines pour dénoncer leur mal-être. Dans ce contexte, on peut lire une interview courte, mais intéressante7, de Rémi Mer, consultant et auteur de Dans la tête d’un jeune agriculteur8, dans laquelle il relativise un peu ce terme d’« agribashing » en rappelant qu’« il masque l’image très positive de l’agriculture dans l’opinion française : les sondages montrent que les Français aiment leurs agriculteurs, et qu’ils en attendent beaucoup ». De quoi remonter le moral des agriculteurs en manque de reconnaissance, parce que si le terme « agribashing » est contesté, le spleen des paysans, lui, est bien avéré.

Révélant au grand public ce mal-être grandissant, le film Au nom de la terre9 a dépassé le milliond’entrées au cinéma en moins d’un mois (principalement en régions, hors de Paris). Réalisé par Édouard Bergéon, cette fiction (néanmoins largement inspirée de la vie du père du réalisateur lui-même) met en scène un éleveur céréalier (incarné par Guillaume Canet) dont l’histoire personnelle reflète au fond l’évolution du monde agricole de ces quarante dernières années.

Parmi d’autres éléments de réponse, conscient du désespoir de nombreux exploitants, le ministère de l’Agriculture a mis en place le numéro Agri’écoute10 joignable 24 h/24 et 7 j/7 permettant de dialoguer anonymement et de façon confidentielle avec des professionnels en cas de détresse émotionnelle.

Pour autant, pas d’apitoiement, les agriculteurs ont encore plus d’un tour dans leur sac. Certains passionnés parmi les passionnés vont même au-delà de la culture des terres ou de l’élevage et deviennent des « paysans-chercheurs ». Ce sont ces agriculteurs bien particuliers qui sont mis à l’honneur dans un récent Grand reportage sur France culture. Un podcast de 55 minutes à écouter et réécouter pour découvrir ou pour se rappeler que l’agroalimentaire français n’a pas fini d’innover11.

Enfin, dernier point, mais pas des moindres, quand on a un aussi beau terroir, on le partage et on ne le gaspille pas ! Le 16 octobre 2019, nous honorions la journée nationale de Lutte contre le gaspillage alimentaire. C’est l’occasion d’en parler brièvement. Le poids annuel du gaspillage alimentaire est estimé chaque année, en France, à 10 milliards de kilos (rien que ça) ! Par gaspillage alimentaire, on entend « toute nourriture destinée à la consommation humaine qui, à une étape de la chaîne alimentaire, est perdue, jetée, dégradée » 12.

Parce que chaque étape de la vie du produit alimentaire (production, distribution, consommation) entraîne du gaspillage, chaque acteur doit être impliqué et responsabilisé. C’est notamment en ce sens que plusieurs lois (deux, en fait) ont été prises. Dans un premier temps, la loi dite « anti-gaspi » 13 a prévu, sous peine de sanction, que les supermarchés de plus de 400 m2 ont désormais l’obligation de donner leurs invendus alimentaires s’ils sont sollicités par des associations. À cet égard, pour son travail moteur en amont de la loi anti-gaspi, Arash Derambarsh, avocat et élu français, vient de se voir décerner le prix Win Win, souvent présenté comme le prix Nobel du développement durable. Dans un second temps, plus récemment, la loi dite « EGalim » 14 a, d’une part, étendu le champ d’application des obligations de lutte contre le gaspillage aux opérateurs de la restauration collective et aux industries agroalimentaires. D’autre part, cette loi a porté deux autres mesures phares :

  • les opérateurs de la restauration collective (dont le nombre de repas préparés est supérieur à 3 000 par jour) doivent proposer la conclusion d’une convention de dons de denrées alimentaires à une association et de s’assurer de la qualité du don lors de la cession ;
  • concernant les invendus alimentaires encore consommables, les différents acteurs ont l’interdiction formelle de rendre délibérément impropres à la consommation humaine ou à toute autre forme de valorisation.

De son côté, la gastronomie française s’engage, elle aussi, pour une cuisine plus responsable en élaborant sa feuille de route dans un livre blanc de mars 201915. Dans plus de cent cinquante pays, 5 000 chefs ont célébré la cuisine responsable. Repas, concours et rencontres ont permis aux chefs et professionnels de la gastronomie de prodiguer des conseils et faire prendre conscience au public du rôle environnemental de l’alimentation.

Ramené à l’individu, le gaspillage alimentaire représente un peu moins de trente kilos de nourriture par an, soit l’équivalent d’un repas entier par semaine. Pourtant quelques simples trucs et astuces permettent de réduire considérablement la note. Parce qu’il faut bien commencer quelque part, et que les petits ruisseaux font les grandes rivières, n’hésitez pas à tous aller consulter la liste des cinquante conseils de l’association France nature environnement16.

Tout ça m’a ouvert l’appétit, je vous propose donc de conclure comme on a commencé : c’est-à-dire sur une recette fromagère. Étant un peu chauvin, j’allais vous proposer la recette du Welsh, plat typique du nord de la France à base de pain de campagne, de jambon fermier et de cheddar fondu à la bière. Cela dit, vu les tous les rebondissements au Parlement britannique depuis trois ans, pas sûr de continuer à trouver du cheddar dans les supermarchés au 1er janvier 2020. J’ai finalement opté pour une autre recette néanmoins tout aussi fromagère et tout aussi locale.

Voici donc les ingrédients de la recette de la tarte au maroilles de nath59166 pour 4 personnes :

  • 1 pâte feuilletée ;
  • 1 grand maroilles ;
  • 40 cl de crème fraîche épaisse entière (35 % mat. gr.) ;
  • 1 jaune d’œuf ;
  • En option : paprika ou noix de muscade, salade.

Préparation :

  • Préchauffez votre four à 220 °C (thermostat 7) ;
  • Étaler la pâte dans un moule à tarte ;
  • Gratter au couteau la croûte orangée du maroilles (ne pas la retirer entièrement en découpant le fromage). Le couper en tranches. Déposer les tranches sur la pâte (pour cette étape, l’utilisation de gants est recommandée) ;
  • Mélanger la crème fraîche et le jaune d’œuf. En option : ajouter une pincée de paprika ou de noix de muscade selon les goûts.
  • Étaler le mélange sur le fromage et la pâte ;
  • En option : ajouter un peu de gruyère sur le tout pour un effet encore plus gratiné ;
  • Enfourner à mi-hauteur pour 10-12 minutes ;
  • Accompagner d’une petite feuille de salade (juste pour déculpabiliser) ;
  • Déguster.

Sur ce, bon appétit et à la prochaine !

  1. Cette étude initialement publiée dans Frontiers in Human Neuroscience a été décortiquée par Sciences et avenir : Jalinière H., « Cerveau : du plaisir de ne pas aimer les fromages qui puent », Sciencesetavenir.fr 23 oct. 2019, https://urlz.fr/aXKE
  2. Le repas gastronomique des Français a été inscrit en 2010 sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’Humanité, https://ich. unesco.org/fr/RL/le-repas-gastronomique-des-francais-00437
  3. Observatoire BVA, Presse régionale de la vie quotidienne, « Les Français et l’alimentation », 2018, https://www.bva-group.com/sondages/francais-alimentation/
  4. INAO, « Chiffres-clés 2019 », 2019, https://urlz.fr/aXKI
  5. Observatoire BVA, op. cit.
  6. Comprehensive economic and trade agreement.
  7. Pour retrouver l’interview, voir la lettre économique d’avril 2019 des chambres d’agriculture, p. 3 : https://urlz.fr/aXKL
  8. Mer R., Dans la tête d’un jeune agriculteur, 2018, Skol Vreizh.
  9. Bergeon É., Au nom de la terre, 2019, Nord-Ouest films.
  10. Agri’écoute : 09 69 39 29 19 (prix d’un appel local).
  11. Chouin A.-L., Brault A. et Kieffer A., « Paysans-chercheurs : ils régénèrent l’agriculture », Grand reportage 27 sept. 2019, France culture, https://www.franceculture.fr/emissions/grand-reportage/paysans-chercheurs-ils-regenerent-lagriculture
  12. Définition donnée par le Pacte national anti-gaspi de 2013 : https://agriculture. gouv.fr/sites/minagri/files/pacte_gapillage_alimentaire_3.pdf
  13. L. n2016-138, 11 févr. 2016, relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire, https://www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2016/2/11/AGRX1531165L/jo/texte
  14. L. n2018-938, 30 oct. 2018, pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, https://www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2018/10/30/AGRX1736303L/jo/texte
  15. https://urlz.fr/aXKP
  16. Pour les cinquante conseils, c’est ici : https://urlz.fr/aXKQ
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