France Burgy: « En matière d’innovation, il faut toujours se demander si tout le monde peut monter dans le train»

France Burgy, directrice générale du CNFPT
France Burgy, directrice générale du CNFPT
©CNFPT – Agence Myop
Le 28 janvier 2019

Discours franc et idées claires. La nouvelle directrice du Centre de formation de la fonction publique territoriale (CNFPT) veut donner à la démarche de co-construction un véritable supplément d’âme. Pour elle, il ne sert à rien de se lancer dans l’innovation si la majorité des agents et des usagers ne suit pas. C’est ce défi d’une modernité à visage humain qu’elle entend défendre dans ses nouvelles fonctions.

Vous avez été directrice de Rouen Normandy Invest et ancienne DGS de la région Normandie. Quel regard portiez-vous alors sur le CNFPT ?
Je ne louvoie pas en vous assurant que j’avais la conviction que le CNFPT avait bougé ces dernières années. Peut-être que les agents, qui en sont les usagers, ne s’en sont pas encore complètement rendus compte mais c’était pour moi une évidence. C’est un outil incroyable qui vise à donner à tous la même formation. Sur le plan pédagogique, je trouve que le référentiel des formations a été revisité dans le bon sens, en se rapprochant des spécificités du territoire. On ne choisit pas les mêmes formations d’un bout à l’autre de la France. Le mix présentiel et formation à distance, notamment à travers les Mooc, fonctionne de mieux en mieux.

Le CNFPT a intégré le fait que les collectivités ne faisaient plus partir leurs agents en formation aussi facilement qu’avant et qu’il fallait donc trouver des modes alternatifs pour s’adapter à cette réalité.

Est-ce que le grand défi pour le CNFPT ne consiste pas à être à la proue de l’innovation publique ? Avez-vous le sentiment que c’est le cas ? Les agents publics sont-ils bien formés pour s’adapter au monde tel qu’il est, numérique et immédiat ?
Sur le plan numérique, l’administration publique locale a encore une marche à franchir mais je ne sens pas forcément que le privé ait vraiment pris une avance particulièrement marquante en la matière. Beaucoup de petites PME éprouvent les mêmes difficultés à s’adapter à l’innovation, au même titre que des petites communautés de communes, parce qu’elles n’en voient pas l’intérêt immédiat. Je m’en étais rendue compte quand j’étais directrice de Rouen Normandy Invest. L’industrie française éprouve aussi des difficultés à passer au 4.0.

Dans la fonction publique, sur l’écoute des usagers, la démocratie participative, nous sommes encore en retard. Le défi le plus fort à relever est celui de structurer une vraie co-construction, en prenant le temps de la réflexion.

Regardez Pôle emploi, qui a fait des efforts importants sur le numérique ! Il a été obligé de remettre des personnes au guichet, pour remettre de l’humain sur des problématiques complexes. L’innovation, c’est bien, mais elle doit toujours se faire dans le cadre d’un processus itératif où l’on interroge en permanence la capacité de tous à monter dans le train.

La nomination d’une femme à la tête de l’établissement public national est présentée comme un symbole. Ressentez-vous la force de ce symbole ?
Quand j’étais DG de Région, j’étais déjà la première femme à ce poste. Je ne dénigre pas le symbole mais parfois, on vous le fait comprendre de façon un peu lourde. C’est très étrange, je me demande dans ce cas si j’ai une cervelle (rires).

Redoutez-vous les recommandations de la mission parlementaire chargée de « réinterroger » les missions du CNFPT et des centres de gestion ? Le secrétaire d’État Olivier Dussopt assure qu’il entend « réinterroger » les missions et le fonctionnement des deux institutions.
C’est une mission menée très sérieusement et j’ai déjà eu à donner mon avis aux parlementaires. Une fusion des deux structures ? Je n’en vois pas l’intérêt pour les agents. Une clarification des rapports ? Oui, pourquoi pas. Les Centres de gestions (Cdg) sont sur des missions RH, proches des collectivités, mais leurs activités ne concernent en rien la formation.

En revanche, à l’instar de ce qui se fait dans le privé, je pense que nous pouvons franchir une étape en étendant la réflexion aux besoins des agents, aux bassins d’emploi public dans les territoires, en dépassent les frontières administratives telles qu’elles existent. Il n’y a généralement pas de liens entre les fonctions publiques sur un même territoire. Une directrice de CHU s’étonnait récemment de ces cloisonnements.

Je suis en fonction depuis quelques semaines, je ne suis pas sur la défensive. À Rouen, on m’a laissé monter une structure avec 7 institutions, dont 2 implantées sur des territoires politiquement opposés, 120 entreprises… Autant vous dire que ça a frotté au début, face à la méconnaissance des uns et des autres. Je suis certaine par exemple de l’intérêt de formations mixtes, public-privé, puisqu’il existe des contrats privés dans la délégation de service public. Aujourd’hui, la loi ne le permet pas. Mais cette ouverture à l’autre me paraît fondamentale pour faire avancer des projets essentiels pour le pays.

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