Changer le modèle de l’action publique territoriale pour faire face aux transformations

rapport ADGCF
Le 28 juin 2022

C'est ce que préconise l’Association des directeurs généraux des Communautés de France (ADGCF) qui vient de formuler 12 propositions pour « un mieux en matière de décentralisation », fruit d’un cycle de 13 séminaires organisées en régions d’octobre 2021 à janvier 2022. L’association plaide pour laisser plus de marge de manœuvre aux intercommunalités pour piloter les services publics et faire face aux quatre grandes transformations (écologique, sociale, territoriale et citoyenne).

Près de 150 ans après l’insurrection de la Commune de Paris, qui a mis en valeur les prémices de l’autogestion et de la participation citoyenne, l’échelon communal est toujours d’actualité. Le président de la République, Emmanuel Macron, s’intéresse aux potentiels des métropoles, et plaide pour « la création de communes nouvelles » dans les zones rurales. Le contexte actuel regroupe de « multiples crises [qu’elles soient] écologiques, […] sociales, énergétiques [ou] économiques ».

C’est dans cet environnement de crises que l’Association des directeurs généraux des Communautés de France publie ses propositions à l’intention « du prochain “locataire” de l’Élysée et de son Gouvernement ». En outre, la publication de ce rapport s’inscrit dans la lignée de l’université d’été de l'ADGCF qui se tient cette année du 6 au 8 juillet 2022 à Deauville sur le thème des relations État-intercommunalités.

Les 12 propositions de l'ADGCF

ADGCF

D’une “plus” grande décentralisation à une “meilleure” décentralisation : pour une plus grande souplesse aux territoires

Le constat est celui d’un empilement des lois en faveur d’une “plus” grande décentralisation (en particulier en favorisant les intercommunalités) : la loi du 22 mars 1890, la loi du 2 mars 1982, la loi du 13 août 2004,  la loi MAPTAM (loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles) de 2014, la loi NOTRe (loi portant sur la Nouvelle Organisation Territoriale de la République) de 2015,  et tout dernièrement la loi 3DS du 21 février 2022 (loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration), pour ne citer qu’elles.

Ce constat est corroboré par un accroissement d’outils en faveur de l’intercommunalité : qu’il s’agisse de la communauté urbaine (1966), des syndicats de communes (1990), de la communauté de communes (1992), des communautés d’agglomération (1999) et des dernières-venues, les métropoles depuis 2010 avec une réforme importante en 2014.

C’est ce que souligne l’ADGCF dans son éditorial en affirmant qu’ « au cours de cette dernière décennie, l’intercommunalité s’est progressivement affirmée comme l’espace où sont passées au tamis puis coordonnées afin d’être mieux territorialisées les différentes politiques publiques ». De plus, l’association indique que « ce sont les communautés et métropoles qui concentrent aujourd’hui l’essentiel des leviers en matière de lutte contre le changement climatique ». Qu’il s’agisse par exemple des compétences de travaux dans le domaine de l’eau ou de gestion de l'eau et des déchets, respectivement depuis 2014 et 2015. La toute récente loi 3DS du 21 février 2022 est venue apporter des compétences et conforter les collectivités territoriales dans de nombreux domaines selon  Jean-Claude Zarka, maître de conférences HDR à l'université Toulouse 1 Capitole.

Hervé Boulle, DGS de la Communauté de communes Beaucaire Terre d'Argence et vice-président décentralisation, institutions et pouvoirs locaux de l’ADGCF, « pense qu’il y a eu une accumulation de textes ces dernières années ».  Pour lui, « l’idée n’est pas de transférer forcément des compétences nouvelles, [mais de] laisser plus de souplesse aux territoires » sur des sujets « comme l’eau, l’assainissement, la mobilité, le logement [où] il y a de vrais enjeux structurants qui sont mieux pris en considération au niveau intercommunal ».

Donc s’il ne s’agit pas de nouvelles compétences, de quoi s’agit-il ?

Tout d’abord, le « mieux » peut se traduire par une simplification des formalités administratives. À ce propos, l’ADGCF propose de refondre « les documents de planification existants en un seul », qu’il s’agisse des PLUI, des PCAET, PLH et autres sigles. Ensuite, l’association défend une « remise à plat de [la] carte communale [ainsi que la] redéfinition des principes fiscaux et financiers qui structurent le bloc local ». Cela traduit un empilement et une confusion générés par l'effusion de lois et de réflexions à court termes sur l’intercommunalité. Dans ce cadre, elle propose d’« étendre les périmètres des villes centres des agglomérations urbaines et périurbaines pour donner de la centralité aux intercommunalités et faciliter ainsi leur gouvernance ». Cependant la remise à plat et le « mieux » ne font pas tout, l’aspect financier n’est pas négligeable. Il est même primordial.

Une transformation financière qui ne dit pas son nom

A priori absente des quatre transformations, la transformation financière peut être la cinquième et dernière transformation transversale. Celle-ci se retrouve aussi bien pour la transformation écologique que pour la transformation sociale ou encore la transformation territoriale. « La transformation financière, vu les propositions que nous faisons, ça sous-tend tout le modèle » défend Hervé Boulle. À ce propos, il propose « de regrouper toute la CFE (ndlr : cotisation foncière des entreprises) à une échelle supra communautaire qui corresponde aux bassins de vie, prendre en compte que le fait que le ZAN (ndlr : zéro artificialisation nette) va entrer en application, ça va générer une absence d’évolution des bases fiscales en foncier bâti ou en CFE et que cela mériterait d’être revu pour être plus cohérent. ça sous-entend les quatre premières qui sont plus structurantes, l'aspect financier n’étant que la conséquence ».

Pour la transformation écologique, l’ADGCF propose une « grande loi foncière visant à doter les territoires d’outils simples et opérationnels nécessaires à la mise en œuvre du ZAN » mais également d’ « engager une vaste réforme fiscale pour se mettre en cohérence avec la lutte contre l’artificialisation des sols ».

Quant à la transformation territoriale, sans appel l’association milite pour une « [redéfinition des] systèmes de compensation et de péréquation financière entre communes et intercommunalités ».

Il ne s’agit pas seulement d’une transformation financière à destination exclusivement des intercommunalités mais également des citoyens ou des entreprises. Ces derniers sont directement concernés par la transformation sociale prônée par l’ADGCF. Celle-ci dresse le constat de l’échec du modèle républicain et de l’ascenseur social. Dans le même temps, elle souligne que « la théorie du "ruissellement" est largement remise en cause ».

L’association plaide pour laisser plus de marge de manœuvre aux intercommunalités pour piloter les services publics.

Le “mieux” est l'ennemi du bien

L’ADGCF souhaite une meilleure décentralisation - un saut qualitatif - au lieu d’une plus grande décentralisation - un saut quantitatif -. Cependant, selon le célèbre dicton, le mieux est l’ennemi du bien. En effet, la toute dernière loi 3DS a mis en œuvre plusieurs réformes : qu’il s’agisse du principe de la différenciation territoriale, d’un assouplissement des relations entre les communes ou encore de la participation citoyenne, sans citer les apports en matière d’urbanisme, de logement, de transports ou encore de compensation financière lors des transferts de compétences. Malgré ces apports, « la [loi] 3DS a été un fantôme général » pour Hervé Boulle. Le DGS de la Communauté de communes Beaucaire Terre d'Argence indique que « ce n’était pas du tout l'objectif du Gouvernement dans un premier temps. Cette loi 3DS a été considérablement allongée à la sortie du Parlement avec des tas de mesurettes très ciblées et parfois très catégorielles ici ou là, ce qui fait que ça n’a pas forcément simplifié. Le premier étant de  déconcentrer, décentraliser etc… ça n'a pas joué forcément à ce niveau, elle n’a pas apporté de grands changements sur les textes qui nous régissent malheureusement ».  

Pour une plus grande prise en compte des territoires

Hervé Boulle plaide pour une plus grande « prise en considération des territoires au-delà du prisme très restreint de l’Association des maires de France (AMF) en termes d’égal». Il estime que « sur le premier mandat avec les gilets jaunes, le Gouvernement s’est fortement appuyé sur l’AMF avec succès, c’est très bien mais après il faut raisonner structurellement à plus long terme, il y a des éléments qu’il va falloir traiter : l’eau et l’assainissement. Cette association-là est fortement opposée au transfert de la compétence de l’assainissement aux intercommunalités pour des raisons diverses et variées, c'est un problème structurant pour les territoires »

Le DGS constate, en outre, que « plusieurs communes commencent à avoir des pénuries d’eau […] ou des communes qui vont batailler pour garder leurs sources d’eau qui sont à sec ». Il rappelle le fait qu’« on sait qu’il va faire de plus en plus chaud, ce n’est pas un secret, ça fait des années qu’on nous le dit et qu’on le mesure ». De plus, « il y a un vrai changement climatique qui se met en place, de vraies ingénieries pour distribuer de l’eau de qualité, pour recycler de l’eau assainie, mais ça ne peut pas se faire à l’échelle d’une seule commune ». Ainsi, Hervé Boulle propose de « mutualiser la ressource - l'ingénierie - pour garantir de l’eau potable au plus grand nombre en quantité suffisante, garantir des interconnexions de réseaux qui coûtent extrêmement chers qui ne peuvent pas être faites par une seule commune voire même par une seule intercommunalité, ça peut se faire à plusieurs ça existe […] ». Pour conclure, Hervé Boulle appelle à plus de « cohérence ».

Relations Etat-intercommunalités : partenaire particulier cherche partenaires particulières... É

Voilà le titre un brin taquin de la 14e édition des Universités d’été de l’ADGCF qui se tient les 6,7 et 8 juillet à Deauville. Avec comme fil rouge, selon la secrétaire générale adjointe Florence Cornier-Potin, « celui d’une intercommunalité devenue, à bas bruit, l’échelon territorial de référence pour la définition et la mise en oeuvre des politiques nationales de transition ».

Pour télécharger le programme détaillé : https://www.adgcf.fr/upload/programme-ue-2022.pdf

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