Revue

Dossier

Mathieu Lhériteau : « Un numérique responsable exige aujourd’hui un préalable de confiance et de sécurité. »

Mathieu Lhériteau, Directeur Général des Services d’Agglopolys, Communauté d'agglomération de Blois
Mathieu Lhériteau, Directeur Général des Services d’Agglopolys, Communauté d'agglomération de Blois
©DR
Le 3 avril 2024

Mathieu Lhériteau travaille depuis plus de vingt ans en collectivités territoriales. Depuis 2018, il est directeur général des services (DGS) de la communauté d’agglomération de Blois (Agglopolys). Il nous livre ici ses réflexions et ses préoccupations qui rejoignent parfois celles du numérique responsable, mais qui portent avant tout sur les réalités humaines, financières et techniques incontournables avec lesquelles lui et ses équipes doivent composer afin d’assurer la continuité des services publics aux citoyens du territoire.

Lorsque l’on tape « numérique responsable », le moteur de recherche affiche 104 000 000 résultats ! Institut, label, levier d’innovation, programmes, bonnes pratiques, chartes, kits de sensibilisation, guides d’appropriation, MOOC et bien entendu… formations. Le numérique responsable est difficile à ignorer. Néanmoins, s’agit-il d’une expression véhiculant pêle-mêle des concepts vagues pour quelques privilégiés éclairés, une simple étiquette à coller sur la moindre action ou est-ce un cadre de réflexion inspirant ?

Permettez-moi de replacer cette question dans un contexte plus large et de commencer par citer Jacques Lacan : « La réalité c’est quand on se cogne. »1 Ou encore Régis Debray : « Le réel, c’est ce qui nous résiste et nargue nos plans sur la comète. »2 Or, contre quoi nous « cognons-nous » aujourd’hui ? Quel est ce réel qui résiste et nous empêche de réussir nos plans sur la comète ? En matière de numérique, la communauté d’agglomération de Blois (Agglopolys) se « cogne » contre le risque cyber. Tout n’est pas encore réglé dans ce domaine, même si, jusqu’à présent, nos outils de sécurité, pilotés en interne, ont bien fonctionné puisqu’aucune attaque n’a réussi à endommager nos systèmes. Ce risque permanent concerne fortement les collectivités territoriales, comme le montrent les chiffres de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) qui, entre janvier 2022 et juin 2023, a traité 187 incidents3. Un numérique responsable exige aujourd’hui un préalable de confiance et de sécurité.

Nous sommes en veille sur le numérique responsable à travers divers réseaux de collectivités territoriales et via la région qui irrigue son territoire, notamment sur de tels aspects, mais nous n’avons pas encore pris l’ensemble des sujets à bras le corps.

Pourquoi avoir fait un tel choix ?

Il est essentiel que les concitoyens, dont nous détenons de nombreuses données personnelles, puissent avoir confiance dans notre capacité à en préserver l’intégrité et la non-dispersion. En outre, il s’agit d’assurer la continuité de nos diverses missions de services publics. Or, les effets d’une cyberattaque avec des ordinateurs qui restent éteints et des systèmes informatiques désactivés sont susceptibles, selon son ampleur, de nuire gravement, et parfois pour de longs mois, à la bonne marche des services publics, dont certains sont essentiels à la population. Je considère donc qu’un numérique responsable n’est possible que quand cette première étape de sécurité est assurée. Pour être responsable, le numérique doit, en l’espèce, avoir un bon fonctionnement sur le plan technique contribuant à la rapidité de réponse à des situations pouvant notamment présenter un caractère d’urgence.

Outre les cyberattaques, quel « réel » vous empêche de faire « faire des plans sur la comète » en matière de numérique responsable ?

À l’instar de très nombreuses collectivités territoriales de taille moyenne (Agglopolys regroupe 43 communes et compte près de 100 000 habitants), notre problème tient à la capacité à dégager des moyens financiers et de l’ingénierie dédiés au numérique. J’irai même plus loin en indiquant que le numérique ne constitue pas une politique publique en soi et a du mal à devenir un « budget prioritaire ». Il nous faut donc choisir avec soin nos nouveaux projets au service des politiques publiques conduites par la communauté d’agglomération, car nous ne sommes pas en mesure d’appréhender tous les sujets et d’ouvrir tous les chantiers.

Nous sommes en veille sur le numérique responsable à travers divers réseaux de collectivités territoriales et via la région qui irrigue son territoire, notamment sur de tels aspects, mais nous n’avons pas encore pris l’ensemble des sujets à bras le corps. Par exemple, l’intelligence artificielle (IA) n’est pas traitée sous le signe de l’éthique, mais plutôt sous celui des usages. L’éco-conception de logiciels n’est pas sur le haut de la pile des questions que nous nous posons et ces enjeux n’ont pas encore été intégrés par les équipes informatiques et communication. Nous n’avons pas la prétention d’être des leaders et nous regardons plutôt comment évoluent les très grandes collectivités territoriales dans certains domaines afin d’adopter, lorsque ce sera pertinent pour nous, des solutions qui seront devenues robustes.

La prolongation de la durée de vie des équipements existants et leurs réparations nous semble plus prioritaire que l’achat de matériels reconditionnés. Cela étant, des questions posées par le numérique responsable comme la souveraineté de la donnée, leur gestion ou l’énergie consommée par les outils numériques comme les serveurs, font partie de nos préoccupations et actions.

Faites-vous du numérique responsable « sans le savoir » comme monsieur Jourdain faisait de la prose ?

Non, je dis plutôt que certains de nos choix historiques s’avèrent finalement justes au regard des sujets d’aujourd’hui. Ainsi, nous portons une grande attention à la gestion des données, notamment leur durée de vie et aux effets sur la capacité de stockage afin de ne pas être obligés d’ajouter de nouveaux serveurs qui consomment de l’énergie. Par ailleurs, bon nombre de nos serveurs sont gérés en interne, car là encore les collectivités territoriales de taille moyenne n’ont pas les moyens de multiplier les prestataires externes. Concernant ces derniers, nous travaillons avec des prestataires de confiance dont les datacenter sont situés en France. Cela n’a jamais été un obstacle pour négocier avec des hébergeurs et n’a pas été effectué dans une conscientisation de « numérique responsable ». La réglementation européenne en la matière me semble adaptée et cela constitue une garantie solide. Nous avons donc un ensemble d’actions disparates et le travail qui s’amorce porte sur la formalisation d’une stratégie globale de sobriété numérique.

À propos de datacenter, certaines collectivités, notamment de taille moyenne, envisagent sérieusement de se doter de leurs propres infrastructures au niveau local. Avez-vous ce type de réflexion ?

Je n’en vois pas la pertinence en ce qui nous concerne. D’une part, la réglementation est la même sur le plan national, d’autre part, nous sommes très attentifs à la gestion foncière de notre territoire qui n’est pas extensible et privilégions le développement d’activités économiques intensives en emplois afin d’offrir des opportunités à nos concitoyens. Or, cela ne caractérise pas du tout les datacenter. Donc, des infrastructures purement locales ne m’apparaissent pas vraiment envisageables à l’heure du principe de zéro artificialisation nette (ZAN).

Pour poursuivre sur le sujet de la souveraineté et de la gestion des données, points communs avec le numérique responsable, quels sont aujourd’hui vos chantiers prioritaires ?

Ils sont moins d’ordre technique que managérial, avec un enjeu majeur d’acculturation des agents à la gestion sécurisée de la donnée sensible et au cycle de vie global de la donnée et à son archivage. À l’heure actuelle, la circulation des fichiers est trop grande : on utilise des outils sans se soucier de ce que deviendra la donnée envoyée, on partage des fichiers via des outils non sécurisés et non souverains. Nous allons donc interdire certains outils et définir une politique en matière de droits d’accès. Sur un plan général, il nous faut faire des choix entre ce qui peut être rendu public et des documents internes dont la diffusion n’est pas souhaitée. Il s’agit néanmoins de nous adapter aux nouvelles pratiques dans une société de la communication et du partage de l’information. J’ajouterai qu’en matière d’open data notre portail est un sous-domaine du portail open data de la région Centre-Val de Loire. La coopération entre collectivités est un volet important dans notre stratégie numérique. Sur l’archivage électronique, nous allons également travailler en partenariat avec d’autres collectivités de la région dans un groupement piloté par le conseil départemental d’Indre-et-Loire.

Dans votre cadre d’action, où se situe le logiciel libre ?

Il est très présent. Nous utilisons beaucoup de logiciels libres, et notamment, des suites bureautiques, à la fois pour des raisons financières et pour ne pas dépendre des GAFAM, qui dans certains cas accordent des outils gratuits dans un premier temps puis finissent par les rendre payants. J’observe que les suites bureautiques issues du logiciel libre fonctionnent bien et que, de toute façon, nous utilisons à peine 10 % de la capacité de ces outils.

Vous avez mentionné plus haut que l’éco-conception de logiciels et l’utilisation de matériels reconditionnés, deux des crédos du numérique responsable, n’étaient pas dans vos priorités. Pourtant, Agglopolys a pris, dans d’autres domaines que le numérique, des engagements forts en matière de développement durable. N’y a-t-il pas là une contradiction ?

Nous abordons ces sujets par d’autres voies. Comment peut-on prolonger la durée de vie des équipements ? Telle est la question clé en ce qui concerne nos achats responsables. Nous avons donc fait le choix de la réparabilité et de la remodularité pour nos outils numériques, qu’il s’agisse des téléphones ou des ordinateurs.

S’agissant de la transition écologique dans son ensemble et du rôle du numérique, Agglopolys va intégrer le consortium Climate data hub piloté par la région Centre-Val de Loire. Cette coopérative des données climatiques a pour but de favoriser le partage et l’utilisation des données pour la lutte contre le dérèglement climatique et l’accompagnement portant sur ses effets. Ce consortium a bénéficié de l’appui financier du plan France relance. C’est une opportunité pour nous en termes de partage d’information, de cas d’usage, de conseil et d’apprentissage sur certains sujets. Seule, la communauté d’agglomération de Blois ne pourrait pas mener à bien ce type de projets en matière d’utilisation des données. Le même esprit nous a conduits à participer au projet européen LIFE_LETsGO4Climate, là encore porté par la région, dont l’objectif est d’accélérer la production d’énergie renouvelable et de diminuer la consommation énergétique collective et individuelle. La coopération avec la région sur ces sujets transverses rend possibles nos développements futurs notamment en matière de transition écologique.

La dématérialisation des procédures administratives met à mal la relation entre bon nombre de citoyens et les acteurs publics – dont les collectivités territoriales – avec pour conséquence la hausse des non-recours aux droits sociaux. Quelle(s) action(s) avez-vous mise(s) en place dans ce domaine ?

Notre conviction est qu’il faut offrir des services numériques, mais qu’ils ne doivent pas être le moyen exclusif de mise en relation avec la collectivité territoriale. Dans cet esprit, nous avons aidé les communes à solliciter l’aide de l’État pour financer des postes de conseillers numériques. Nous avons également répondu à un appel à projets lancé par L’État afin de devenir un territoire expérimentateur du « zéro non-recours » avec un plan d’action portant sur l’« aller vers » les citoyens. Toutefois, il nous faut résoudre un problème complexe sur le partage, entre acteurs publics, des données des habitants qui n’exercent pas leurs droits sociaux. Prenons l’exemple de l’aide au logement : beaucoup de personnes nous déclarent qu’elles n’ont pas les aides personnalisées au logement (APL). Or, pour savoir si une personne est éligible ou non, il faudrait croiser les données entre la caisse l’allocations familiales (CAF) et les bailleurs. Or, la CAF objecte qu’elle ne souhaite pas diffuser ses données dans ce but, et, de leur côté, les bailleurs sociaux refusent de divulguer des informations sur leurs locataires. Néanmoins, nous souhaitons avancer sur ce dossier et je suis convaincu que cela se résoudra par la confiance à établir entre partenaires. Pour cela, nous maîtrisons tels que les tarifs sociaux pour les transports publics sur le territoire, tout est bien plus simple, car d’une part l’information entre les habitants concernés circule vite et d’autre part nous disposons d’une agence en centre-ville avec un guichet et des agents.

En guise de conclusion, je souhaiterais aborder un sujet qui occupe le débat public, à savoir l’IA dont les avancées enthousiasment et/ou inquiètent, et nourrissent aussi des fantasmes comme le montre une étude4 menée par l’Institut français d’opinion publique (IFOP) : l’IA n’enthousiasme que 14 % des Français, tandis que 51 % des personnes interrogées se montrent inquiètes et que 35 % pensent que l’IA dirigera à terme l’Humanité ! De votre côté, comment appréhendez-vous ce domaine ?

Surtout pas sous l’angle du fantasme ou de l’inquiétude ! Nous regardons quels usages et quelles applications nous pouvons introduire concrètement dans notre fonctionnement tant en interne qu’avec l’externe. En effet, l’IA nous pousse à réfléchir sur l’adaptation de nos organisations, sur les métiers de demain ou sur la prévention des usages non maîtrisés. Par exemple, nous examinons l’introduction de l’IA afin de faciliter la rédaction des délibérations de la communauté d’agglomération pour que les visas juridiques soient à jour et non pas des « copiés/collés » des délibérations antérieures. Pour nos usagers, nous faisons porter nos efforts sur l’accès à l’information en adossant à un nouveau site Internet à destination des habitants des robots conversationnels en IA générative. Nous effectuons actuellement une série de tests et nous apercevons que nombre de nos documents en ligne sont peu lisibles et parfois tellement complexes que l’IA ne parvient pas à distinguer la norme et les cas particuliers !

Envisagez-vous des applications de l’IA en matière de « villes intelligentes » ?

Oui, mais, là aussi, on ne décrète pas « la ville intelligente » au global. On construit progressivement de petites briques pour y parvenir. Il faut donc trouver un équilibre entre une stratégie large et des applications concrètes. Je vais prendre l’exemple de la gestion de l’eau : si vous n’avez pas des compteurs intelligents dans tous les foyers, ce qui est le cas sur notre territoire, l’IA ne permettra pas la gestion globale du réseau. Une fois de plus nous nous « cognons » à des réalités incontournables et il faut commencer par la base. Les sauts technologiques sont également un questionnement pour les collectivités moyennes puisque la crainte de l’obsolescence et l’impression d’avoir « gaspillé » des budgets est forte. Pour un DGS, il faut équilibrer l’ambition et la stratégie avec la capacité réelle financière et en ingénierie de la collectivité locale dans laquelle on exerce.

Le point de vue des Interconnectés

Créé en 2009 par Intercommunalités de France et France urbaine, le réseau des Interconnectés a pour mission d’accompagner la transformation numérique des collectivités à travers des solutions concrètes fondées sur le partage, l’intelligence collective et la proximité de l’usager. Nous avons demandé à Céline Colucci, sa déléguée générale, et de partager sa vision du numérique responsable et comment accélérer sur cette question d’un autre numérique pour l’action publique.

Propos recueillis par Philippe Guichardaz, journaliste

Qu’entend-on par « numérique responsable » ? N’est-ce pas une notion par trop foisonnante ?

Il existe plusieurs manières d’aborder le numérique responsable. La loi REEN5, par exemple, le fait sous l’angle de la sobriété numérique. Cependant, nous estimons que ce seul aspect est insuffisant. Nous défendons une approche large du numérique responsable qui englobe un volet social, environnemental et éthique. Il s’agit de redonner de la cohérence à divers dispositifs, à des feuilles de route qui se sont accumulées, télescopées au fil du temps, telles que celles portant sur l’open data, l’inclusion, la sobriété, etc. Cette perte de sens progressive a pu être vécue comme une obligation « hors sol » d’aller vers le numérique responsable. Au lendemain des dernières élections municipales, nous avons donc engagé des réflexions sur la manière de faire du numérique qui est, rappelons-le, au service des politiques publiques et des habitants des territoires. Certes utile, le numérique a besoin d’être questionné sur ses divers impacts et pas seulement environnemental.

Ainsi, sur le volet social, les services numériques ne doivent pas dispenser, par exemple, d’assurer une présence humaine, d’implanter des guichets pour répondre aux besoins de tous les citoyens. Le numérique ne doit pas non plus être l’apanage de quelques-uns dans l’optique d’une capacité à être égaux par rapport à la société numérique. D’où la montée en compétence des différents acteurs d’un territoire et la participation citoyenne dans les choix : c’est la voie choisie par Rennes et Montpellier par exemple, avec l’instauration d’un conseil citoyen du numérique. Il faut également veiller à ce que la technologie, tels que les algorithmes, ne conduise pas à imposer des décisions dont on ne sait pas d’où elles proviennent !

Quel est le rôle des Interconnectés par rapport au numérique responsable ?

Nous portons une vision qui a pour objet de donner du sens à un ensemble au service des territoires afin que le numérique soit utilisé à bon escient. C’est ainsi que nous avons mis à la disposition des collectivités territoriales en 2021 un manifeste pour des territoires numériques responsables qui pose les bases d’un parcours inspirant, respectueux des spécificités territoriales. Il contient trois ambitions déclinées en neuf engagements, à savoir : le numérique responsable, un enjeu d’égalité avec, par exemple, l’organisation de l’accès de tous aux services publics, le numérique responsable, un engagement environnemental, avec, notamment, la généralisation de la commande publique responsable et enfin le numérique responsable, le projet d’un territoire intelligent et durable afin, entre autres choses, de mobiliser infrastructures et technologies au service du territoire durable.

Outre ce rôle de réflexion, nous accompagnons également les collectivités territoriales dans la mise en œuvre du numérique responsable. Ainsi, les élus viennent partager leur savoir-faire comme cela a été le cas pour Rennes à propos de l’initiative du conseil citoyen du numérique. Nous disposons également de plusieurs groupes de travail permanents au sein desquels sont déclinées différentes thématiques. Lors de webinaires les agents peuvent également partager leurs expériences. Nous jouons aussi un rôle de concertation avec l’État afin d’attirer l’attention sur une problématique, par exemple les moyens humains nécessaires aux collectivités territoriales pour absorber le déploiement du numérique responsable. Enfin, nous mettons à disposition de ces dernières des outils pour les aider dans ce déploiement tels qu’une aide à l’auto-évaluation de l’empreinte environnementale du numérique sur leurs territoires ou encore un guide méthodologique de la « stratégie numérique responsable de la collectivité en 10 étapes ».

 La mise en oeuvre du numérique responsable est avant tout une affaire de temps et non d’expertise technique.
C’est un marathon, non un sprint !

La fonction publique territoriale, comme les autres fonctions publiques, a bien du mal à recruter. Or, la mise en œuvre du numérique responsable ne suppose-t-elle pas de pouvoir recruter des compétences souvent rares et chères que le secteur privé s’accapare ? Dès lors, est-ce un obstacle majeur pour le déploiement du numérique responsable dans les territoires et que peuvent faire les collectivités ?

Je ne le pense pas. En effet, la mise en œuvre du numérique responsable est avant tout une affaire de temps et non d’expertise technique. C’est un marathon, non un sprint ! Du temps, en premier lieu, pour se poser et établir un bilan avec les différents services, car en réalité les collectivités territoriales disposent déjà d’un certain nombre de briques en la matière. Il faut ensuite du temps pour insuffler le numérique responsable au sein de ces mêmes services, car ce chantier est l’affaire de tous, qu’il s’agisse des achats pour le matériel durable, du centre communal d’action sociale (CCAS) pour le volet social du numérique responsable ou encore pour intégrer le numérique dans la gestion des risques, domaine que les collectivités territoriales connaissent bien par ailleurs. Du temps, enfin, nécessaire pour embarquer les élus. Il n’est donc nul besoin d’être un data scientist pour être en charge du numérique responsable : il s’agit plutôt d’un profil « d’animateur éclairé », opérationnel, capable d’embarquer les autres, de communiquer avec eux, avec l’envie de monter en compétence et de se former. Un profil qui peut très bien exister en interne tel qu’un responsable de plan climat-air-énergie territorial (PCAET), un archiviste ou encore un responsable du système d’information géographique (SIG).

Quel est selon vous le rôle de la région en matière de diffusion du numérique responsable au sein de son territoire ?

Si la charge de la mise en place du numérique responsable revient à chaque territoire, la région en revanche, a un rôle d’impulsion, d’appui, notamment en termes financier et d’ingénierie, aux différents acteurs. Par exemple, en matière de recyclage, le niveau régional est intéressant afin d’assurer un volume de traitement suffisant. S’agissant des données environnementales, l’action au niveau régional permettra de rationaliser l’usage des bases de données. La région peut également agir sur la prise de conscience citoyenne. Une stratégie du numérique responsable portée par la région insufflera une logique commune.

  1. « Conférences dans les universités nord-américaines, le 2 décembre 1975 au Massachusetts Institute of Technology », Scilicet 1975, no 6-7, p. 53-63.
  2. Debray R., Éloge des frontières, 2010, Gallimard.
  3. ANSSI, Synthèse de la menace ciblant les collectivités territoriales, rapport, oct. 2023.
  4. Campenon R., « Intelligence artificielle : les salariés inquiets et méfiants. Une enquête exclusive de l’IFOP pour LearnThings », LearnThings févr. 2024.
  5. L. no 2021-1485, 15 nov., 2021, visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France, dite « loi REEN ». Dans ses articles 34 et 35, la loi REEN s’adresse spécifiquement aux collectivités ; l’article 35 rend obligatoire pour toutes les communes et intercommunalités de plus de 50 000 habitants l’adoption d’un programme de travail au 1er janvier 2023 et d’une stratégie numérique responsable au 1er janvier 2025.
×

A lire aussi