Gestion des crises : le rôle clé des CCAS

Luc Carvounas, le Président national de l’Unccas et maire d'Alfortville
Luc Carvounas, le Président national de l’Unccas et maire d'Alfortville au dernier congrès de l’Union nationale des CCAS (Unccas), organisé du 27 au 29 mars 2024 au Havre. Ce Congrès 2024 de l'Unccas avait pour fil conducteur le thème des "maires et leurs CCAS face aux crises", en particulier celles consécutives aux dérèglements climatiques.
©Max Pillet
Le 15 avril 2024

Inondation, incendie, effondrement d’immeuble, crise sanitaire, attentat… Dans toutes les crises, les centres communaux d’action sociale (CCAS) sont en première ligne, en particulier pour les plus vulnérables. Leur dernier congrès, organisé au Havre fin mars, a montré qu’ils ne sont pas assez pris en compte par les différents acteurs concernés et dispositifs de gestion de crise, en particulier les Plans communaux de sauvegarde (PCS). Leur rôle est pourtant essentiel en matière d’urgence mais aussi d’intervention sur le temps long. 

« Nous observons une installation très préoccupante de la pauvreté dans les classes moyennes ». Le dernier congrès de l’Union nationale des CCAS (Unccas), organisé du 27 au 29 mars au Havre, a été l’occasion pour son président Luc Carvounas de s’alarmer une nouvelle fois de « l’augmentation de la précarité et de la grande pauvreté dans notre pays ». Et de rappeler le courrier commun envoyé par l’Unccas, début février, avec plusieurs associations d’élus (1) et grandes fédérations de solidarité (2), à Catherine Vautrin, ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, pour alerter le gouvernement sur cette situation. Ces associations étaient présentes au Havre afin d’appeler à « une conférence de consensus pour impliquer tous les acteurs et construire une politique au long terme ». Luc Carvounas évoque un rendez-vous rapide entre la ministre et les différents signataires. Présente seulement via un message vidéo, Catherine Vautrin salue les CCAS comme « vigie de l’accès aux droits », « acteurs essentiels de l’aller vers » ou « sur la réponse à l’urgence sociale » mais sans faire aucune annonce.  

Impact social de la réduction des déficits publics

Invité au Havre, l’ancien président de la République François Hollande a plaidé pour « repenser l'équité de notre système social » ou « accompagner dans un parcours de formation et de qualification les personnes en situation de décrochage » en insistant sur « l’attention particulière à porter aux familles monoparentales ». Face à des besoins sociaux croissants, il préconise « d’aller plus loin en matière de déconcentration et de décentralisation des compétences et de garantir une plus forte péréquation entre collectivités ».

Le président de l’Unccas s’inquiète de l’impact de la réduction des déficits publics sur les politiques sociales avec 10 milliards d’euros d’économies déjà annoncés auxquels vont s’ajouter 10 autres milliards. Et l’annonce d’une nouvelle baisse de 20 milliards dans le budget 2025, « sans oublier les recommandations de la Cour des Comptes qui parle de 50 milliards d’économie à trouver » et l’évocation par Bruno Le Maire d’une TVA sociale, ne sont pas vraiment là pour le rassurer. « Nous pouvons déjà craindre que la grande loi de programmation pour préparer la société du bien-vieillir ne soit définitivement enterrée », pointe-t-il en soulignant que « 85% des Ehpad publics sont en déficit, conduisant à une fusion de lits alors que le besoin d’ici 2050 serait de créer 300 000 places ». Pour sa part, François Hollande regrette « l’absence d’un acte solidarité avec une contribution supplémentaire pour financer un 5ème risque », bien que ne l’ayant pas fait sous son quinquennat.

Alerte sur la crise du logement

Le maire d’Alfortville (Val-de-Marne) tire aussi la sonnette d’alarme sur la crise du logement, en citant le baromètre de l’action sociale de l’Unccas (lire encadré) selon lequel 72% des Français jugent le sujet comme un domaine d’action sociale prioritaire (+ 8 points depuis 2023) qui devance désormais l’emploi. L’Unccas prévoit de présenter prochainement une série de propositions (logement d’urgence, logement social, densité, adaptation de l’habitat à la perte d’autonomie des personnes âgées ou en situation de handicap) et organisera, le 3 octobre prochain, des Assises du logement à Montpellier.

Parmi les rares bonnes nouvelles, Luc Carvounas se réjouit du dépôt d’une proposition de loi par Patrick Kanner, sénateur (PS) du Nord et président honoraire de l’association, visant à créer une « Agence d’évaluation des politiques publiques dans les Outre-mer ». Elle reprend la première proposition du Manifeste pour les Outre-mer publié par l’Unccas en novembre 2023. Si elle voit le jour, cette agence serait conçue comme un outil d’analyse pour « évaluer en toute indépendance la mise en œuvre des politiques publiques conduites dans les Outre-mer, ainsi que leurs effets sur le développement de ces territoires » mais aussi formuler des recommandations jugées « utiles ». Son conseil d’administration comprendrait deux députés, deux sénateurs et des représentant de l’Etat, des collectivités ultramarines et des organisations patronales et syndicales.

Dérèglement climatique, le premier des risques

Spécificité et originalité du congrès 2024, il avait pour thème « Les maires et leurs CCAS face aux crises », en particulier celles consécutives aux dérèglements climatiques. Luc Carvounas explique ce choix car « les CCAS constituent un modèle de résilience et gèrent non seulement le dernier km mais aussi le dernier mètre de l’accès à tous les droits. C’est le lieu du travail en commun des services municipaux, des élus et des acteurs associatifs ». « Nous avons l’habitude de dire que nous sommes en crise. Mais nous y sommes vraiment ! », prévient pour sa part Edouard Philippe, maire du Havre et ancien Premier ministre, en affirmant à propos du rôle des CCAS : « on ne renonce pas au bien qu’on peut faire ».

Pour sa part, Agnès Buzyn, ancien ministre des Solidarités et de la Santé de 2017 à 2020, estime que « les gouvernants doivent se poser la question de la manière dont on gagne en agilité pour anticiper le danger, être réactif et créatif ». À ce sujet, Eric Landot, avocat au barreau de Paris, souligne le manque de cadre juridique pour traiter de questions par essence transversales. D’où son plaidoyer pour dépasser les silos institutionnels, notamment dans le domaine médico-social, pour mieux anticiper et gérer les nouvelles crises. Il plaide pour une approche plus intégrée, où le social ne serait plus relégué au second plan dans les politiques de prévention.

Des plans de secours pour les personnes âgées

Sandrine Runel, adjointe au maire de Lyon en charge des solidarités et de l'inclusion sociale, et vice-présidente de l'Unccas, met en avant l'interdépendance entre la transition solidaire et écologique, en soulignant que les crises climatiques ont un coût considérable pour les institutions publiques, les assurances et les collectivités. Selon l’élue, ces crises sont déjà bien là en citant, à Lyon la forte augmentation des jours de « vigilance canicule » ces dernières années. Et d’évoquer l'importance des politiques de transition écologique, notamment en matière de végétalisation, d'isolation des bâtiments et de mesures de santé publique, tout en mettant en lumière le rôle crucial du CCAS dans la gestion des populations vulnérables et la mise en place de mesures d'adaptation dans les établissements médico-sociaux.

En direction des personnes âgées, souvent les plus vulnérables en cas de crise, Joëlle Martinaux, vice-présidente de l’Unccas, insiste sur l’importance de bien se préparer. À Nice, elle a encouragé à mener des enquêtes ciblées - analyse des besoins sociaux - pour évaluer les besoins de ce public et élaborer des plans de secours appropriés. Elle recommande aussi d’« aller pousser la porte du directeur des urgences » pour « écrire un plan de secours des personnes âgées ».

« Le devoir impérieux de travailler ensemble »

Selon le baromètre de l’Unccas, 51% des Français considèrent que les générations à venir seront le plus exposées au dérèglement climatique, 46% à la pauvreté et 39% à la délinquance. En cas de crise majeure (incendies, inondations…), 63% jugent que l’Etat ou les collectivités sont les mieux placés pour les accompagner, contre seulement 20% pour les assurances privées.

Constat connu : les catastrophes naturelles dues aux dérèglements climatiques ne cessent de croître tant en nombre qu’en intensité. « Les personnes les plus vulnérables sont les premières touchées et payent double en se précarisant encore plus », estime Juliette Méadel, magistrate à la Cour des comptes et ancienne Secrétaire d’Etat chargée de l’aide aux victimes, en 2016 et 2017. « Après une crise, elles n’ont plus les moyens d’aller voir un médecin, de louer un logement ou une voiture, de faire garder ses enfants », souligne-t-elle en évoquant le rôle clé des CCAS mais aussi l’importance de bien préparer le suivi des personnes et d’anticiper au maximum. Elle regrette que les leçons des crises précédentes ne soient pas assez tirées avec des villes encore peu outillées et une volonté politique des élus pas toujours au rendez-vous. Et d’insister sur « le devoir impérieux de travailler ensemble » en rappelant que, suite à l’attentat de Nice, elle avait demandé que le CCAS participe aux réunions de la préfecture, ce qui n’était pas prévu initialement.

Plan communal de sauvegarde, un outil important

Parmi les retours d’expériences présentés, celui de La Teste de Buch (Gironde) est emblématique de l'intensité de la crise climatique avec, en juillet 2022, des mégas-feux ayant ravagé sur la commune plus de 6000 hectares. Dès le départ, tous les services de la ville ont été mobilisés et le CCAS plus particulièrement en direction des plus vulnérables. « Ouvert durant onze jours, le centre des expositions a accueilli 6000 personnes, explique Laurent Cacciatore, le directeur du CCAS. Nous y avons aussi installé un hôpital de campagne pour prendre en charge les personnes âgées les plus dépendantes ».

Très souvent cité tout au long des débats du congrès du Havre, le plan de communal de sauvegarde (PCS) apparaît comme un document essentiel pour faire face à la crise sachant que deux tiers des communes sont exposées à au moins un risque naturel. Il vise à améliorer la prévention et la gestion des crises pour protéger la population en confortant rôle des communes. Son objectif ? Planifier les actions des acteurs de la gestion du risque (élus, agents municipaux, bénévoles, entreprises) en cas d'évènements majeurs naturels, technologiques ou sanitaires.

Des PCS pas assez opérationnels

Sur les 21 000 communes devant posséder un PCS, 15 000 seraient dans les règles mais avec des documents de qualité très variable, parfois pas vraiment opérationnels. Selon Paul-Henri Richard, administrateur de la Chaire Gestion de crise à l'UTT de Troyes - École nationale des officiers de sapeurs-pompiers (ENSOSP), il constitue « un document d’attractivité territoriale, dont l’essence est l’entraide et le partage d'expertise ». L’universitaire insiste sur « le rôle important des cadres territoriaux pour porter le sujet et impliquer tous les services dont le CCAS ».

À La Teste de Buch, le PCS s’est révélé très utile même s’il a dû être révisé ensuite avec également plus d’exercices pour se préparer. « Nous l’avons amélioré avec un CCAS beaucoup plus associé et mobilisé en cas de crise. C’est une reconnaissance du rôle et des compétences de ses agents », indique Laurent Cacciatore. Le CCAS de la commune girondine participe également à la création d’une réserve communale de sécurité civile, avec déjà 40 volontaires validés. À noter que ces réserves, pouvant être très utiles en cas de crise, restent à ce jour peu mises en place par les villes même si aucune statistique n’existe sur le sujet.

Baromètre Unccas :

La légitimé des acteurs publics face aux crises

Lors de son congrès, l’Unccas a présenté les résultats de son second baromètre, intitulé « Le regard des Français sur l'action sociale » et réalisé en partenariat avec l'Ifop (1). L'action sociale apparaît majoritairement associée à la solidarité et à l'aide aux personnes vulnérables. 66% des Français estiment que son objectif principal est d'accompagner les plus fragiles en cas de crise, tandis que 54% considèrent qu'elle doit réduire les inégalités.

Les publics prioritaires sont les personnes vulnérables (43% des réponses), suivies loin derrière par les sans-abri (28%), les personnes âgées (28%) et les personnes isolées (22%). Les domaines prioritaires de l’action sociale (au sens large) demeurent la santé (88%), l'éducation (81%) et l'alimentation (74%). Partenaire du baromètre, la Fondation Jean Jaurès estime qu’il confirme « une forte attente sociale » en constatant que les personnes vulnérables sont les premières citées, suivies par les jeunes (enfance, étudiants, jeunes actifs et lycéens) qui cumulent 40% des citations.

Bien que la satisfaction à l'égard de l'action sociale ait légèrement augmenté depuis 2023 (+ 3 points), une majorité de 59% des Français reste insatisfaite. Pour mettre en œuvre l’action sociale, comme en 2023, le service public domine nettement face au secteur privé, notamment sur les domaines sociaux jugés prioritaires. Ainsi, 84% (78% en 2023) le jugent mieux placé que le privé pour assurer la mise en oeuvre de l’action sociale concernant la santé. Ils sont 80% à le penser pour l’éducation, 69% pour la dépendance, 68% pour l’emploi et la formation (+8 points en un an) ou 61% pour l’alimentation (+ 7 points). Par ailleurs, les Français plébiscitent autant l’État que les collectivités locales pour les accompagner en cas de crise (37% et 36%), loin devant les assurances privées (20%) et le secteur associatif (6%). Enfin, l’érosion de la confiance dans le personnel politique continue d’épargner le maire, qui obtient 64% de confiance contre seulement 43% pour les députés, 36% pour les sénateurs et 34% pour le président de la République.

(1) Enquête menée en ligne auprès d’un échantillon de 1205 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, du 31 janvier au 1er février 2024.

L’expérience ultra-marine

Plusieurs témoignages ultra-marins furent éclairants en montrant une conscience du risque et une organisation adaptée beaucoup plus fortes que dans l’hexagone compte tenu de l’ancienneté et de la récurrence des risques majeurs naturels (cyclones, séismes, inondations…) sur ces territoires. Judith Laborieux, adjointe au maire du Lamentin (Martinique) en charge de la sécurité, décrit un dispositif qui s’appuie sur un PCS « central » et un PCS dans chacun des 14 quartiers. « Depuis le départ, le CCAS y est associé et un de ses agents est affecté à chaque PCS de quartier, explique-t-elle. De plus, des journées d’exercices sont organisées plusieurs fois par an dans chaque quartier avec aussi l’objectif de former le maximum d’habitants à la culture du risque et d’actualiser leurs connaissances ». Cette culture du risque reste encore très peu développée en France, reconnaît Gaël Musquet, météorologue et fondateur de l’association Hand (Hackers Against Natural Disasters) dédiée à la prévention des catastrophes naturelles.

De même, David Belda, maire-adjoint aux affaires sociales à Saint-Denis de La Réunion, souligne dans sa ville une démarche transversale entre services, dont le CCAS, notamment à travers la création de structures dédiées à la coordination des actions en faveur des populations fragiles. Malgré cette expérience, il reconnaît le besoin de repenser les infrastructures et les processus d'intervention pour mieux faire face aux événements climatiques extrêmes.

Coordination nécessaire entre SDIS et CCAS

« Tout le monde doit absolument travailler ensemble », insiste Hripsimé Torossian, experte en matière de réduction des risques et ancienne responsable du master « Prévention et gestion territoriale des risques » à l'Institut national du service public (INSP). Et d’ajouter : « Les acteurs du social devraient toujours être associés. Les CCAS ont une approche très différente des professionnels du risque car la prévention et la gestion de crise font partie de leurs missions. Il faut tisser plus de lien entre le social et la sécurité civile ». Sur le même registre, Olivier Richefou, président du département de la Mayenne mais aussi de la conférence nationale des Sdis (services départementaux d’incendie et de secours), reconnaît la nécessité d'une meilleure coordination entre les Sdis et les CCAS, notamment pour améliorer la prévention et le signalement des situations à risque.

La nécessité d’un travail en commun est également mise en avant par Eric Chenut, président de la Mutualité française, évoquant « l'urgence d'une coopération entre secteurs public et privé pour une approche résiliente face aux risques climatiques ». De plus, il insiste sur l'importance de la prévention et de l'implication des populations dans les politiques les concernant, alors qu’elles sont trop souvent délibérément oubliées. « Il faut leur expliquer que tout le monde est concerné et les intéresser sur l’endroit où elles vivent, souligne Hripsimé Torossian. Elles doivent se réapproprier et améliorer leur lieu de vie pour recréer du lien social, utile pour se préparer ensemble ».

La nécessité de plus associer les CCAS

Elus et cadres territoriaux du social se rejoignent pour mettre en avant le rôle particulier des CCAS afin de gérer l'urgence avec les autres acteurs mais aussi assurer une présence sur le temps long, « une fois que les caméras sont parties ». Il s’agit d’accompagner les personnes et les familles, notamment sur le relogement, les besoins de la vie quotidienne ou le soutien psychologique, sans oublier « les invisibles ». « Quelle que soit la crise, il est essentiel d’avoir une action au long cours mené par l’Etat et les collectivités pour une prise en charge sanitaire et psychologique des victimes », avertit Juliette Méadel.

Malgré plusieurs exemples positifs exposés au Havre, les CCAS restent encore trop peu associés à l’élaboration et l'actualisation des PCS sans parler des exercices (indispensables pour tester et améliorer leur opérationnalité) où ils ne sont presque jamais présents. Le congrès de l’Unccas aura eu le mérite de mettre le sujet sur la table, avec la présence de différents acteurs (CCAS, départements, sécurité civile, services de l’Etat, experts, universitaires…) partageant le même constat. Il s’agit à présent de s’organiser différemment, plus en transversalité entre services des villes et avec les partenaires extérieurs, pour mieux anticiper et s’organiser face aux crises dont l’intensité ne cessera de croître. Il y a là aussi urgence.

(1) Association des maires de France (AMF), Association des maires ruraux de France (AMRF), Association des petites villes de France (APVF), France Urbaine, Intercommunalités de France, Régions de France, Ville & Banlieue, Villes de France.

(2) Collectif Alerte, Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), Secours catholique.

×

A lire aussi