Repenser la politique culturelle à partir de la ruralité ? Dans les coulisses du Printemps de la ruralité

Printemps de la ruralité
À Montbard, une soixantaine de personnes sont présentes au cinéma le Phénix. La salle est composée pour l'essentiel d'acteurs culturels, de la sous-préfecture, des directeurs de théâtres et conservatoires, des maires et élus de la circonscription, de compagnies, des artistes, et de quelques habitants ou « usagers de la culture ». À la tribune se trouvent Aymée Rogé, directrice de la Drac Bourgogne-Franche Comté et Laurence Porte, maire de Montbard (DVC).
Le 6 mai 2024

Le 22 janvier 2024, la ministre de la Culture Rachida Dati, en déplacement à Nontron en Dordogne lance le « Printemps de la ruralité ». Il s’agit d’une concertation à la fois numérique et de terrain prévue pour durer deux mois, sur la place de la culture dans les territoires ruraux. Elle sera conclue par des Assises en mai. Nous avons suivi les échanges entre les acteurs de terrain dans le département de l'Yonne et interrogé le ministère de la Culture afin de mieux comprendre la méthode, les enjeux et la portée potentielle de cette initiative atypique.

L’esprit de la démarche et de la concertation

Il serait difficile de circonscrire les enjeux d’une telle opération, sans s’interroger sur ses objectifs politiques, mais aussi rappeler qu’elle n’est pas sans précédents. On pense notamment à l’initiative menée par la ministre de la Culture Françoise Nyssen en 2018. Elle déclarait à Ouest France : « 139 € consacrés par l’État par habitant et par an pour la culture en Île-de-France, et 15 € ailleurs. Il y a urgence culturelle » et la formule du moment était la lutte contre les « déserts culturels ». Il en était notamment ressorti le Plan La Culture près de chez vous autour du déploiement de 200 structures culturelles mobiles dans 86 territoires prioritaires. « Décrochons des chefs d’œuvres, sortons des pièces des réserves, faisons-les voyager en France » avait déclaré la Ministre à l’époque. 

Elise Herrmann[1] du ministère de la Culture nous explique que l’initiative du Printemps de la ruralité été prise très peu de temps après l’arrivée de Rachida Dati. « La ministre allait voir à Nontron, le projet « design des territoires ruraux », mené avec l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs. À cette occasion, elle a annoncé, la tenue de cette grande concertation, clôturée par des assises, avec l’objectif de se pencher sur les territoires ruraux et leurs habitants, en partant du principe que cela représente plus de 20 millions d’habitants ». La concertation s’appuie ainsi sur plusieurs volets. Le premier est un questionnaire en ligne destiné aux professionnels, institutions et collectivités, associations et habitants. Les parties prenantes avaient jusqu’au 31 mars pour y répondre. Plus de 35 000 visites ont été constatées. Par ailleurs les directions régionales des Affaires culturelles (Drac) et les Préfectures étaient conviées à organiser des rencontres sur les territoires. Elise Herrmann précise que plus de 40 événements se sont déroulés, sous des formats assez variés tels que des débats et tables rondes, des ateliers, qui ont rassemblé plus de 3 500 personnes. À cela s’est ajoutée la possibilité d’envoyer des témoignages sur une adresse email. « Nous avons eu une centaine de retours, beaucoup émanant d’associations » explique Elise Herrmann. « Enfin la Ministre a souhaité confier une mission à notre Inspection générale des affaires cultures (IGAC) sur l’action du ministère de la Culture en direction des territoires ruraux », et le cas échéant « dans la continuité du précédent rapport sur l’action des labels de la création dans les territoires ruraux ». Deux missions parlementaires enfin, sont conduites par la députée de Haute-Savoie Virginie Duby-Muller (Les Républicains) sur l’ingénierie culturelle des collectivités territoriales en milieu rural, et par la sénatrice des Pyrénées-Atlantiques Frédérique Espagnac (membre du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain) sur la mobilité culturelle dans les territoires ruraux.

Le ministère a proposé un cadre commun pour les rencontres de terrain, avec des axes thématiques et une trame de restitution autour des enjeux remontés, l’identification des points de divergence entre participants et les propositions. En ce qui concerne le traitement des données quantitatives et celles remontées du terrain, le ministère s’appuie sur les outils internes de son service numérique et a fait appel à un prestataire, le Credoc. Le service numérique utilisera « des algorithmes d’analyse syntaxique, afin de trouver des verbatims significatifs, de dégager des groupes de mots clés récurrents et de dessiner ainsi les axes majeurs de réponses ».

Pour Elise Herrmann, l’usage de ces outils automatisés en première instance est indispensable, « car il est impossible pour un être humain d’analyser des milliers de réponses ». Le Credoc établira un score de fiabilité des données qui seront ensuite analysées sur le plan qualitatif par des spécialistes.

Focus sur la culture dans le département de l’Yonne

Nous avons suivi deux rencontres dans l'Yonne, à Montbard le 22 mars 2024 (une ville de 6 000 habitants), et dans le village de Noyers-sur-Serein, le 25 mars. À Montbard, une soixantaine de personnes sont présentes au cinéma le Phénix. La salle est composée pour l'essentiel d'acteurs culturels, de la sous-préfecture, des directeurs de théâtres et conservatoires, des maires et élus de la circonscription, de compagnies, des artistes, et de quelques habitants ou « usagers de la culture ». À la tribune se trouvent Aymée Rogé, directrice de la Drac Bourgogne-Franche Comté et Laurence Porte, maire de Montbard (DVC).

Dans son intervention introductive, la maire de Montbard reprend l’argumentation ministérielle en rappelant que la population rurale représente 22 millions des Français. Un changement de définition de l’INSEE a d’ailleurs fait passer de 25 à 33 % le décompte de la population rurale en 2021, ce qui n’est pas sans effet sur les considérations politiques. Ces territoires représentent 88 % des communes françaises, soit 30 000.

Laurence Porte précise d’emblée que l’offre y est « peut-être moins dense et diversifiée mais pas nécessairement moins qualitative que dans les métropoles ».

À Montbard, l’animatrice interroge les participants sur la qualité du « maillage de l'offre culturelle » dans le département. « À la campagne, il y a pléthore d'événements » explique un habitant. Pour ce dernier l'offre y est assez complète. Il explique même que l'avantage dont disposent les « ruraux » est que, comme il y a moins d’événements que dans les grandes villes, ils les ratent moins. Dans cette idée, le premier adjoint à la Culture de la ville de Semur-en-Auxois explique que « Semur a une offre culturelle très vaste. Le théâtre a une programmation exceptionnelle. On a un Musée, deux médiathèques, une école de musique, un tissu et une richesse d’associations exceptionnelle. On le voit dans le débat sur les subventions car c’est parfois un peu limite…».

À Montbard comme à Noyers, de nombreuses communes et associations auront l’occasion de présenter et défendre leurs offres culturelles. À l’instar de l’Association Patrimoine en Musique, du Ciné-Club François Truffaut d’Avallon, d’une initiative « Art au Village » qui se déplace dans les salles des fêtes depuis 30 ans pour proposer du théâtre. Or, assez rapidement, le satisfecit est pondéré par des intervenants. Une adjointe à la mairie de Flavigny, estime qu’il y a suffisamment de propositions,

mais la question est : « comment faire venir les gens dans les lieux...on a des salles vides... ». Plusieurs « néo-ruraux » vont partager ce point de vue.

À Noyers, Marianne, qui travaille pour le festival de danse et spectacle vivant la Scène Faramine, lance un pavé dans la mare : « Je viens de Marseille, pour moi ça reste un désert culturel ici. L’été il se passe plein de choses, mais l’hiver est long ». Un habitant de Noyers-sur-Serein explique avoir baigné dans la culture en étant jeune. « Et c’est vrai qu’en venant ici, on a un peu fait une croix sur l’accès à la culture pour nos enfants et pour nous-mêmes. À Noyers il y a beaucoup de choses qui se passent, mais ce n’est pas comparable avec les grandes villes ». Il met en exergue l’absence de liaisons de cars, et les lignes de chemin de fer abandonnées par l’État et les Régions.

La fameuse question de la mobilité s’invite rapidement dans les débats, car depuis l’Yonne, aller au Zénith de Dijon ou à l’Opéra par exemple, suppose de faire 200 kilomètres en voiture.

Le problème de la mobilité se pose aussi pour les scolaires et les artistes. Le dispositif Contrat Local d’Education Artistique (CLEA) permet à des artistes d'intervenir en milieu scolaire selon des modalités diverses, supposant parfois de nombreux déplacements dans l’année. À Noyers, une chargée de mission du Pays Avallonnais explique que « ces projets ont un vrai impact sur les élèves. Le seul frein c'est le transport. Pour compléter la proposition pédagogique, les établissements aimeraient amener les classes dans des spectacles. Malheureusement, le transport n'est pas pris en compte, ni dans le Clea, ni dans le Pass culture ». Antoine, co-porteur du Tiers Lieux Rhizome initialement installé à Ouroux-en-Morvan, explique que sa structure a dû se résoudre à se déplacer dans la ville centre d’Avallon. « Les artistes et designers (accueillis en résidence) ont de moins en moins le permis et pas de voiture. C'était très compliqué de faire venir de jeunes talents dans le Morvan. S'installer à Avallon, c’était répondre à une problématique de logistique et de mobilité. C’est pourquoi nous avons besoin de garder nos trains. Ce serait la catastrophe...». L'idée de créer des « navettes culture » est évoquée, même s’il s’agit d’un serpent de mer en ruralité. Pour un intervenant de Montbard, « c’est très compliqué de mettre en place des bus. Ce sont des initiatives qui font peur aux gens ».

Pour une intervenante du public du cinéma le Phénix : « Il y a le problème de la mobilité mais aussi de communication. Je suis toujours surprise d’entendre des gens me dire : ah bah si j’avais su, je serais venu ». Un habitant de Montbard rétorque qu’il s’agit d’un faux problème : « C’est à chacun de se renseigner, entre les panneaux, les affiches, on a accès à une assez bonne information ».

Le nerf de la guerre et la cohérence des politiques culturelles

Des consignes étaient données de ne pas trop se focaliser sur la question du manque de moyens dans les territoires ruraux, déjà bien connus des Drac. Seulement, elles restent le nerf de la guerre et vont s’inviter tout au long des débats.

Laurence Porte, maire de Montbard, nous explique au cours d'un entretien à part, que sa ville « est au taquet en ce qui concerne le budget culture. Une étude de 2020 a montré que les communes de notre taille (6000 habitants) mettent entre 4 et 7 % de leur budget annuel dans la culture. À Montbard, quand j’additionne le tout, en tenant compte de la masse salariale, sur 10 millions de budget, j’ai 1,3 million pour la culture, soit 13 % du budget de fonctionnement ».

Elle précise que le budget du Conservatoire de musique avec ses 25 enseignants prend presque la moitié de la dépense et ne reçoit que 67 000 € du département et 18 000 € de la Drac. Si elle reconnaît que le portage par un EPCI (Communauté de communes) peut avoir du sens sur certains territoires, elle explique que « le projet culturel et de préservation patrimoniale est en réalité au cœur de notre projet municipal », car l’attractivité culturelle est une pièce essentielle de l’attractivité globale. À la question de savoir ce que la ville attend du Printemps de la ruralité sur ce point, la maire de Montbard souhaite répondre en tant que Vice-présidente de l'Association des petites villes de France (APVF) : « Les petites villes de 2 500 à 20 000 habitants ne peuvent prétendre développer une politique culturelle avec les mêmes ressources qu’une grande ville. Ce que j’attendrais c’est une sorte de péréquation culturelle. Cela existe bien pour le reste. Cela pourrait être une bonne approche, parce qu’attention nous allons rentrer dans le dur au niveau des coupes budgétaires ».

Le principe de péréquation culturelle imposerait aux grandes villes de payer en partie pour les petites communes (horizontalité), ou de rééquilibrer les dotations de l’État (verticalité), afin de résorber l’écart des dotations par habitants entre les territoires urbains et ruraux (dont le facteur était de 1 à 10 en 2018).

Au cours de la rencontre de Noyers, le maire de Tonnerre, Cédric Clech, évoque la question des compétences territoriales sur la culture. « Les aides sociales, on sait que c’est le département. La compétence culturelle est l’une des seules qui reste aux communes, mais l’intercommunalité s’en saisit et le département aussi ». Il note que les aides de l’Etat pour les villes sont souvent dédiées à l’investissement et adresse un vœu à la sous-préfète de l’Yonne Pauline Girardot : « Si quelque chose doit remonter rue de Valois, c’est cette histoire de compétence (...) Dans nos villages, on a besoin d'avoir des petites actions qui vont vivre les villages et font participer tous les habitants ». Le représentant d’un collectif d’artistes à Noyers rappelle que l’Yonne ne dispose pas de Scène nationale pour le spectacle vivant, alors que le département limitrophe de la Saône-et-Loire (plus riche car notamment doté de vignobles), en possède trois. Pourtant, poursuit-il, « il existe 90 compagnies dans l’Yonne. Ce qui est énorme par rapport aux autres départements. Mais en terme de lieux, on peut beaucoup mieux faire ».

Une responsable d'une compagnie de spectacle d’Arcy-sur-Cure, fait part de son expérience à son tour. Elle bénéficie du Clea, du Pass Culture et d’aides du Département, mais s’interroge sur la pérennité de ces dispositifs « L'art en ruralité c'est bien, mais avec quels budgets ? Cette année, seules quatre compagnies bénéficient d'un budget de fonctionnement de 5 000 euros par an, de la part du département de l’Yonne. Et la suppression du dispositif est en discussion. Par ailleurs, le Clea et le Pass culture c’est très bien. Je travaille avec deux écoles et un collège. Je fais lire Shakespeare et Victor Hugo à des gamins. Mais le Clea de l’Avallonnais pourrait disparaître l’année prochaine. Et je me demande comment je vais continuer à faire ça ». Un adjoint de la Mairie de Toucy explique par ailleurs, que le Pass culture n’est pas assez adapté aux petites structures. « Quand une association ne propose que 5 ou 6 manifestations dans l’année, on lui dit qu'elle ne programme pas assez et qu'elle ne peut pas accéder au Pass culture ». Le conseiller de la Drac lui répond sur ce point : « sur le Pass culture, je ne voudrais pas que vous pensiez que les associations rurales ne peuvent pas entrer dedans », et explique que « 95 % des demandes effectuées sont référencées ».

L’organisateur d’un Festival à Montigny-en-Puisaye déplore enfin que désormais pour obtenir des aides : « il faut faire de la médiation culturelle » comme organiser des événements avec la médiathèque, proposer des stages de clowns.

C'est très chronophage de remplir des dossiers. Et par moment, on en oublie de créer, de répéter avec des comédiens professionnels, de s'user sur le plancher. On peut perdre en qualité et tomber dans l'amateurisme ».

À Noyers, une conseillère régionale apporte des éléments de réponse à ces interrogations : « Oui, en effet nous demandons qu'il y ait de la médiation. Pour les artistes, vous manquez de lieu, mais il y a des résidences qui existent, qui vont de la création à la diffusion (…) ». Elle explique pour finir que la région a pris conscience de ces sujets et « prévoit de mettre davantage l'accent sur des projets pluri-annuels, adossés à des intercommunalités ».

Et si la ruralité était un point de départ (et non seulement d’arrivée) de la politique culturelle du futur ?

À Montbard, la directrice de la Drac Aymée Rogé, après avoir écouté de premières doléances, interpelle les participants afin de leur rappeler l’esprit du Printemps de la ruralité. « Plutôt que de commencer par définir la vie culturelle du milieu rural comme étant « l’endroit du manque », je serais intéressée d'entendre vos motifs de fierté ». Ce rappel donnera lieu à de nombreux témoignages. Ils permettent de remarquer qu’à la campagne les dispositifs itinérants sortent souvent du lot, à l’instar des Bibliobus, des Cinémas itinérants. Dans le département limitrophe de la Nièvre, le camion d'Alimentation culturelle générale est un dispositif unique en France. Créé par l’auteur Jean Bojko il y a plus de dix ans, il propose des offres culturelles « surprise » chaque été à travers des tournées dans les granges et salles de villages. Par ailleurs, des Tiers Lieux ruraux commencent à se déployer, comme celui de Semur-en-Auxois (le Bahut) ou Rhizome à Avallon. 

Thierry Leonard, Chef du service de la médiathèque de Département de l’Yonne explique comment des coopérations s’établissent entre les petites structures rurales, autour d’animations communes et pour la circulation de documents. L’Association Yonne en scène met à disposition du matériel à très bas pris pour les compagnies et travaille à la mise en réseau des acteurs du spectacle vivant. Le Pays Avallonnais, la FDFR 89 et Culture Action BFC animent cette année une initiative de rassemblement des acteurs culturels autour de leurs problématiques communes, appelée CACAO.

Ainsi, à un premier niveau de lecture, il apparaît que les leviers d’innovation culturelle en milieu rural portent sur les dispositifs mobiles innovants, la mise en réseau des acteurs et la singularité des programmations. Mais au fil des témoignages, des indices un peu plus profonds apparaissent.

À Montbard, la maire Laurence Porte évoque la beauté patrimoniale des paysages, la place de l’art dans l’espace public et dans la nature, et explique aimer « se promener et se perdre dans les paysages ». Une artiste-chanteuse, raconte comment le confinement a amené sa compagnie à organiser des spectacles dans les forêts, avec l’aide du CNM« Comme c'est aussi dans nos centres d'intérêt d'interagir avec les espaces naturels, leurs acoustiques spécifiques, on s'est mis à organiser des chemins sonnants avec des déambulations ». Elle dit regretter que ces aides à l’expérimentation n’aient pas été maintenues après la pandémie. Pour Laurent Bourdereau, directeur du Muséo-Parc Alésia « Ce qui me semble intéressant dans nos départements, c’est l’expérimentation du temps long. Il faut que ce milieu rural nous donne l’occasion d’expérimenter ce temps long avec les jeunes, ce temps de transmission, qui ne peut pas avoir lieu dans les grandes villes ». Au cours de la rencontre de Noyers, Christophe Cheysson, cinéaste et maire de la commune de Sainte-Vertu, constate que les néoruraux viennent beaucoup du monde de l’art, mais que « le mot culture fait peur à nos concitoyens, qui estiment que ce n’est pas pour eux, que c’est cher et inaccessible ». Il explique comment la commune essaye de faire de la culture « un moteur de la vie sociétale ».

Cette intervention amène à souligner que les fameux « publics éloignés » de la culture dont il est souvent question en arrière-plan de ces débats, ne sont pas présents. L’entre-soi culturel est un écueil connu de tous, mais il peine à s’énoncer et donc se déconstruire.

 Nous intervenons alors à ce sujet lors des débats de Montbard et de Noyers, en rappelant que la politique culturelle fut historiquement élitiste et descendante, comme si elle avait postulé qu’il existe « un bon savoir » à transmettre et d’une certaine manière « des têtes vides » à remplir. Nous évoquons le film Louise Violet qui sortira en novembre 2024 et raconte l’histoire d’une institutrice envoyée dans un village en 1889 pour imposer l’école de la République, laïque, gratuite, et obligatoire. Elle aura toutes les peines du monde à faire venir les enfants à l’école. Le film nous rappelle comment à ce moment de l’histoire une passe d’arme entre « deux cultures » s’est jouée ; la culture des travailleurs de la Terre et celle des travailleurs de la Tête, des gens de la Campagne et de la Ville, des gens du Faire et ceux du Dire. Les réticences exprimées par les paysans résonnent étrangement avec notre époque. « Et si mon enfant s’en va, qui va m’aider au champ ? Et si mon enfant en sait plus que moi, comment je vais garder de l’autorité ? ». Mais surtout : « Nous aussi on pense. Nous aussi on a une culture » disent-ils à l’institutrice persuadée au départ, d’avoir à apporter du plein là où il y a du vide.

La crise environnementale et climatique met en évidence les conséquences d’une surconsommation des pays les plus industrialisés, mais plus fondamentalement un « éloignement anthropologique » devenu excessif avec la culture du monde vivant.

Nous demandons à la maire de Montbard si un paysan qui sait encore lire le ciel, ce n’est pas de la culture ? « Pour moi, un paysan qui sait lire le ciel, c’est un poète… » répond t-elle. Interrogée aussi sur ce sujet, Elise Herrmann du ministère de la culture, souligne en effet l’importance de prendre acte de la vitalité des territoires ruraux. « Cest en cela que les Drac sont à même d’avoir des connaissances sur ces sujets. Cela renvoie à l’idée d’ascendance, plutôt que de politique descendante ».

Cependant, on sent bien que le saut à faire pour remettre la culture et la nature sur un pied d’égalité est encore vertigineux et tout à fait contraire aux héritages etprésupposés intellectuels. Les Assises du Printemps de la ruralité auront lieu en mai. Aussi, que cette question inattendue puisse y être placée à l’ordre du jour, voici des citations célèbres nous rappelant que ce sujet n’a eu de cesse de traverser notre histoire. Léonard de Vinci : « Scrute la nature, c'est là qu'est ton futur ». Albert Einstein : « Tout ce que vous pouvez imaginer, la nature l'a déjà créé ». Jean-Jacques Rousseau : « La nature a fait l'homme heureux et bon, mais la société le déprave et le rend misérable ». Et Voltaire de lui répondre à l’époque : « Je suis sensible à votre invitation, et si cet hiver me laisse en état d'aller au printemps habiter ma patrie, j'y profiterai de vos bontés, mais j'aimerais encore mieux boire de l'eau de votre fontaine que du lait de vos vaches, et quant aux herbes de votre verger, je crains bien de n'y en trouver guère d'autres que le lotus qui convient mal aux bêtes, et le mollé qui empêche les hommes de le devenir ». 

Fort possible que Voltaire ait eu en grande partie tort, de se pincer le nez avec tant de sarcasme devant le pis des vaches, et que nous payons cher aujourd’hui, le fait d’avoir tenté de remplacer notre Culture millénaire de la nature, par les « sunlights » d’une conception somme toute « bourgeoise » et « marchande » de la Culture. En prendre acte, ne serait-ce pas ouvrir la voie à un Printemps du monde vivant, tout simplement ?

[1]Cheffe du département des territoires à la délégation générale à la transmission, aux territoires et à la démocratie culturelle du ministère de la culture 

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