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Revenus minimaux : les jeunes en première ligne

Le 11 octobre 2023

En France, la garantie jeunes (GJ) a fait place au contrat d’engagement jeune (CEJ) en 2022, avec déjà des résultats, mais un bilan incomplet. La réforme du revenu de solidarité active (RSA) s’appuie notamment sur la logique de droits et de devoirs de ce CEJ. Pour accompagner aussi les jeunes plus précaires, des collectivités locales testent des contrats moins engageants (revenu solidarité jeunes à la métropole de Lyon, revenu métropolitain jeunes à Grenoble Alpes métropole ou revenu écologique jeune à la région Occitanie). Dans la plupart des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les revenus minimaux intègrent les jeunes.

Les départements (avec l’État) n’octroient plus seuls des revenus minimaux. En vigueur depuis le 1er mars 2022, le CEJ, dispositif national mis en œuvre par Pôle emploi et les missions locales, s’adresse aux jeunes de 16 à 25 ans, non étudiants, ne suivant pas une formation et présentant des difficultés d’accès à l’emploi1. Le parcours dure six à douze mois (exceptionnellement dix-huit). Financé à 100 % par l’État, le CEJ donne droit à une allocation allant jusqu’à 528 euros par mois en fonction des ressources et avec respect d’engagements. Il a remplacé la GJ qui s’adressait aux mêmes jeunes, pour douze mois, un montant de 461 euros par mois en 2021 et un accompagnement exclusif des missions locales. Après extension progressive de l’expérimentation depuis 2013, la GJ fut généralisée le 1er janvier 2017. Elle était financée par l’État et l’Europe (Fonds social européen [FSE]).

Quinze à vingt heures d’activités par semaine

Alors qu’est-ce qui a changé entre la GJ et le CEJ ? Si en fin de GJ, 90 % du financement abondaient un budget globalisé et 10 % dépendaient des résultats, avec le CEJ, « l’État octroie 1 600 euros par jeune et par CEJ contre l’atteinte d’objectifs. Si ceux-ci ne sont pas atteints, on n’obtient pas les financements », précise Nathalie Besset, directrice de la mission locale Nord-Isère (MLNI). En Nord-Isère, les objectifs ont été fixés à 430 entrées de jeunes en 2022. De fait, l’objectif a été dépassé : cette année-la, 450 jeunes sont entrés en CEJ, soit 10 % de jeunes accompagnés par la MLNI (en CEJ, ou de manière globale). En outre, c’est beaucoup plus que les 270 jeunes insérés dans le dispositif GJ en 2021.

Le nouveau dispositif CEJ et les moyens accrus expliquent le succès : « Les conseillers de la MLNI accueillant les jeunes font d’abord un diagnostic pour chacun, puis proposent l’entrée ou non en CEJ. Le jeune entrant assiste d’abord à une information collective. En contrepartie de l’allocation, il s’engage dans un programme de quinze à vingt heures par semaine – grande nouveauté après la GJ –, et à un entretien hebdomadaire avec son conseiller. Ce programme est composé d’activités : ateliers d’élaboration d’un CV, d’une lettre de motivation, préparation et simulation d’entretiens d’embauche à la MLNI, par exemple. Chaque mission locale requiert aussi des partenaires. En Nord-Isère, par exemple, des membres de l’association PRO-BTP expliquent leur activité professionnelle aux jeunes et leur apprennent à gérer un budget. La méthode Ikigaï aide les jeunes à mûrir leur projet à partir de leurs compétences2. La MLNI finance aussi du théâtre d’improvisation (postures professionnelles, entretien d’embauche, etc.).

Financé à 100 % par l’État, le CEJ donne droit à une allocation allant jusqu’à 528 euros par mois en fonction des ressources et avec respect d’engagements.

Pour augmenter le nombre de jeunes pris en charge, la MLNI a étendu sa présence et son action à temps plein, de Bourgoin-Jallieu et Villefontaine à La Tour-du-Pin, Crémieu et Morestel. Surtout, « on fait de l’aller vers dans les quartiers prioritaires de la ville (QPV) », explique Nathalie Besset. Pour identifier ces « jeunes invisibles » très éloignés de l’emploi, la MLNI opère en trois phases :

  1. repérer ;
  2. remobiliser, c’est-à-dire redonner confiance, aider à ressortir de chez soi et à faire des activités ;
  3. sécuriser par une inscription à la mission locale et un parcours vers l’emploi.

Elle appuie son accompagnement CEJ sur 9 conseillers à temps plein et 1,5 équivalent temps plein (ETP) administratifs, contre 4 conseillers et 1 ETP administratif pour l’ex-GJ. De plus, une infirmière, une psychologue et une éducatrice spécialisée – profils rares en missions locales – appuient les phases 1 et 2.

Taux d’emploi de 30 à 40 %

Le CEJ est-il efficace ? Selon l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS)3, il est trop tôt pour trancher. Les données sur les taux d’emploi étant incomplètes et la période de référence étant peu adéquate (marché de l’emploi porteur). Toutefois, fin janvier 2023, 301 725 jeunes sont entrés en CEJ, pour 300 000 annoncés et sur 900 000 jeunes potentiellement concernés, tandis que l’objectif en fin de GJ était de 100 000 entrées par an. L’IGAS préconise un suivi par le seul taux d’emploi, lequel est de 30 à 40 % à Pôle emploi. En Nord-Isère, 38,5 % de sorties étaient positives en 2022, vers la formation ou plus souvent vers le travail. Un succès en partie dû aux quinze à vingt heures d’activité obligatoires, selon Nathalie Besset, avec un bémol : « Cet engagement fait peur à certains jeunes qui ne signent pas. » Au niveau national, 40 % des bénéficiaires n’atteignent pas le seuil des quinze heures par semaine, selon l’IGAS. Alors qu’avec la GJ, il y avait peu d’exclusions, à la MLNI, 18,4 % d’exclusions étaient prononcées pour non-respect des engagements (non-participation aux activités), souvent après avertissement, sanction pécuniaire (diminution de l’allocation) : « Tout cela prend un temps administratif certain », déplore Nathalie Besset. Ce qui fait suggérer à l’IGAS un meilleur interfaçage de l’application nationale CEJ aux systèmes d’information des missions locales et l’adoption d’un mécanisme de sanction « plus souple et plus rapide », tout en permettant un recours auprès de l’État en cas d’exclusion.

Et ailleurs ?

Dans les 38 pays de l’OCDE, seuls quatre excluent les jeunes des minima garantis sur la base de l’âge : la France et le Luxembourg à partir de 25 ans, l’Espagne à partir de 23 ans et les Pays-Bas à partir de 21 ans. Dans les 34 autres pays, les conditions d’accès varient en fonction des revenus, des biens immobiliers ou voitures possédés, de la présence d’enfants à charge, etc. La couverture est, sauf exception, la même pour jeunes et adultes. Les étudiants sont exclus du minimum garanti, sauf en Finlande et en Australie. En France, l’absence de RSA jeunes explique le CEJ et l’expérimentation du CEJ « Jeunes en rupture ».

Pour un minimum garanti efficace, l’OCDE recommande de « toujours en conditionner la perception à la participation dans un programme d’insertion, au risque sinon de décourager le travail et de favoriser l’inactivité », selon Veerle Miranda, économiste au département Emploi, travail et politiques sociales de l’OCDE. Le bénévolat peut être une condition pour percevoir le minimum garanti (Belgique, Slovénie, etc.). Côté bilan, signalons qu’en 2018, 59 % des jeunes ayant quitté la GJ étaient en situation d’emploi ou de formation six mois plus tard en Belgique, 66 % au Danemark et 63 % en Autriche.

Veerle Miranda recommande de limiter le nombre des dispositifs : « En France, un adulte touchera le RSA, un jeune l’allocation CEJ, un autre jeune une aide locale. Mieux vaut un seul dispositif modulé (Belgique, Danemark, Luxembourg, etc.), avec un peu plus si on est handicapé, si on a un enfant, etc. » Pour éviter le non-recours aux droits, du fait de l’éparpillement des services (revenu minimum, logement, santé mentale, etc.), certains pays ou collectivités ont mis en place des guichets uniques dédiés aux jeunes, comme la ville d’Oulu (Finlande) avec son Ohjaamo.

Nathalie Besset apprécie qu’il n’y ait plus de restriction d’entrée désormais : « Avec la GJ, le jeune devait appartenir à un foyer fiscal non imposable. Avec le CEJ, le foyer fiscal peut être imposable et le jeune peut ne pas toucher l’allocation, néanmoins être accompagné. » L’allocation CEJ varie de fait de 0 à 528 euros, avec un plafond de 200 euros pour les mineurs. Sur les cibles touchées, l’IGAS constate « une surreprésentation importante des jeunes non-diplômés », « conforme aux attentes », une bonne représentation des jeunes des QPV (en missions locales) et de la revitalisation rurale (en agence pour l’emploi). « En Isère, pour les missions locales, c’est plus facile de faire entrer des jeunes en CEJ dans les agglomérations (mobilité plus facile) que dans les territoires ruraux ou montagneux », tempère Nathalie Besset.

Au niveau national, les missions locales sont inquiètes sur la pérennité du CEJ.

Le CEJ a aussi ses inconvénients : « Avec la GJ a disparu le sas d’entrée de quatre semaines dont bénéficiaient les jeunes arrivants et qui permettait une bonne cohésion de groupe, c’est dommage », juge Nathalie Besset. L’IGAS préconise de son côté de renforcer l’accès précoce à un stage ou à un contact avec la vie professionnelle dans le cadre du CEJ et un travail commun entre Pôle emploi et les missions locales. Au niveau national, les missions locales sont inquiètes sur la pérennité du CEJ. La concurrence entre Pôle emploi (900 agences) et les 440 missions locales, chacun pouvant signer des CEJ et ayant des objectifs, était rude au départ : « De fait, nous attirons mieux les jeunes plus éloignés de l’emploi ou les mineurs », observe Nathalie Besset. L’IGAS confirme : « Il faut réorienter les jeunes présentant des freins périphériques vers les missions locales. » La transformation de Pôle emploi en France travail peut être l’occasion d’une meilleure coordination avec les missions locales, mais c’est aussi une inquiétude sur leur avenir : seront-elles absorbées ?

Occitanie : un revenu écologique jeunes

La région Occitanie expérimente en faveur des 18-29 ans ni en études, ni en emploi, ni en formation, un revenu écologique jeunes (REJ), pour financer une formation à un métier vert ou la création d’une entreprise dans le domaine de l’environnement. Le total ressources du bénéficiaire (CEJ, allocation chômage, travail, etc.) + aide ne doit pas dépasser 689 à 1 000 euros par mois selon l’âge. Un accompagnement est assuré pour les projets de création ou reprise d’entreprise.

Des « RSA jeunes »

En complément du Centre européen de formation (CEF), d’autres collectivités expérimentent d’autres types de revenus minima : « Plusieurs métropoles ou régions ont des financements en amont ou en aval permettant de stabiliser une situation », explique Marion Tanniou, conseillère Solidarités et cohésion sociale à France urbaine. Alors que les CEJ nécessitent un engagement que tous les jeunes ne veulent pas prendre, ces collectivités demandent des contreparties moins fortes. On peut parler de « RSA jeunes ». La métropole de Lyon expérimente ainsi depuis juin 2021 le revenu solidarité jeunes (RSJ), une aide de 420 euros par mois, maximum sur vingt-quatre mois, à des jeunes de 18-25 ans, vivant en dessous du seuil de pauvreté et n’ayant pas accédé au CEJ ou étant sorti de celui-ci. L’accompagnement est plus souple et plus adapté les six premiers mois, puis doit permettre de s’engager plus fortement dans l’insertion. 1 000 jeunes en ont bénéficié entre juin 2021 et mai 2022, via 10 missions locales et 6 associations. 5 000 jeunes sont ciblés d’ici 2026. En mai 2022, sur 335 jeunes sortis du dispositif, 42 % avaient retrouvé un emploi ou une formation, 17 % ont accédé à des dispositifs de droit commun type CEJ ou à des aides sociales, 13 % changé de statut administratif, 28 % n’avaient pas renouvelé leur demande ou pas respecté leurs engagements.

Le CEJ ne convenant donc pas à tous, l’État a lancé en mai 2022 un appel à projets « Jeunes en rupture ».

Le CEJ ne convenant donc pas à tous, l’État a lancé en mai 2022 un appel à projets « Jeunes en rupture ». Grenoble-Alpes Métropole, seul lauréat, en lien avec la mission locale, initie donc un revenu métropolitain jeunes, lequel vise les jeunes sans aucun accompagnement et le plus souvent sans aucune ressource (pas de CEJ notamment). C’est un revenu de 250 euros par mois avec accompagnement des jeunes, sur l’emploi, mais – c’est moins le cas du CEJ – aussi sur le logement, la mobilité, le soutien linguistique, etc. Plus de 200 jeunes devraient signer un CEJ « Jeune en rupture ». La métropole travaillera avec les acteurs de l’accompagnement des publics en difficulté : centre communal d’action sociale (CCAS) de Grenoble, Mutualité de l’Isère, Groupement des possibles, Association pour l’action sociale et éducative, etc. Pour une éventuelle généralisation ?

La transformation de Pôle emploi en France travail peut être l’occasion d’une meilleure coordination avec les missions locales, mais c’est aussi une inquiétude sur leur avenir : seront-elles absorbées ?

In fine, l’implication du jeune semble garantie dans le cadre du CEJ en raison de l’engagement demandé et des sanctions en cas de non-engagement. Pour les revenus expérimentés vis-à-vis de jeunes plus précaires, les résultats sont plus aléatoires, les exigences étant moindres. Logiquement, « tous les territoires ne sont pas favorables à un revenu jeune, selon Marion Tanniou, mais il s’agit parfois simplement de traiter l’urgence sociale », constate-t-elle. Et de défendre « une expérimentation rigoureuse de scénarios à géométrie variable, plutôt que de passer son temps à hésiter, passons-le à capitaliser, évaluer, démontrer »

Territoires zéro non-recours aux droits

34 % des personnes ayant droit au RSA ne le demandent pas, par manque d’information ou du fait de la complexité du système d’aides. L’aide personnalisée au logement (APL), la prime d’activité, le chèque énergie, etc., sont aussi concernés. Dans ce contexte, un appel à projets « Territoires zéro non-recours », lancé par l’État en avril-mai 2023, a retenu 39 territoires pour trois ans et avec 2 millions d’euros à l’appui. Parmi les lauréats, trois avaient déjà expérimenté : Lyon, Paris et Bastia. La ville de Bastia était en convention avec l’État entre 2020 et 2023. Résultat, sur un des quatre QPV accompagnés, les assistant·es sociaux·les ont informé 1 363 foyers de leurs droits éventuels par courrier ou boîtage, puis en ont contacté 1 340 au téléphone ou en porte-à-porte. 505 étaient intéressés dont 245 ont vu leurs droits s’améliorer et 350 de nouveaux s’ouvrir : « Le nombre de droits ouverts concernait à 9 % le RSA et à 30 % le logement et la santé », commente Françoise Filippi, présidente du CCAS de Bastia. Pour accélérer les déblocages de dossiers entraînant des non-recours, un comité de pilotage associe les référents des administrations concernées (CAF, caisse primaire d’assurance maladie [CPAM], impôts, etc.), qui échangent leurs informations. Pour cette seconde expérimentation 2024-2026, Bastia a ciblé quatre nouveaux QPV et a recruté une chargée de mission, financée par l’État. Et l’insertion ? « Nos assistant·es sociaux·les suivent ces personnes et les mettent en relation avec Pôle emploi », assure Françoise Filippi.

À noter que le regroupement des droits fait diminuer le non-recours. Ainsi, en Grande-Bretagne, le crédit universel qui agrège différentes aides (crédit d’impôt pour enfants, aide au revenu, allocation logement, etc.) en un seul paiement avec une seule application et un seul ensemble de critères d’admissibilité, diminue le non-recours. Certains pays tentent eux des paiements automatiques, mais faut-il encore disposer des données des foyers des différentes administrations. L’Autriche teste actuellement l’envoi de formulaires de demandes pour distribuer des chèques-énergie aux ménages modestes.

  1. Ce sont les Neet : Not in employment, education or training.
  2. Une méthode inspirée du Japon pour trouver sa voie et ses motivations au travail, pour en savoir plus : « Comment trouver sa voie grâce à la méthode ikigaï ? », 2020, EDHEC Business School (https://online.edhec.edu/fr/blog/comment-trouver-sa-voie-grace-a-la-methode-ikigai/).
  3. Évaluation d’étape de l’accompagnement des jeunes dans le cadre du contrat d’engagement jeunes, rapport, mars 2023, IGAS.
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