Revue

Dossier

Comment la LegalTech contribue à innover dans les métiers du droit

Le 9 octobre 2019

La LegalTech, qui consiste à avoir recours aux technologies permettant l’automatisation d’un service juridique, transforme progressivement les pratiques des acteurs juridiques. Ces nouveaux acteurs soulèvent de nouveaux enjeux liés à l’innovation dans le secteur juridique.

Résumé

Définies comme toute organisation – traditionnelle ou nouvelle – utilisant le numérique pour favoriser l’accès au droit et la justice, les Legaltech sont aujourd’hui devenues des incontournables du secteur juridique. Si elles bousculent et innovent, elles contribuent aussi à faire rayonner le modèle de la justice française à l’international.

Les LegalTech ont transformé les métiers du droit en proposant de nouveaux produits et services en matière d’information juridique, de robotisation d’actes ou encore de génération de documents juridiques. Plus encore, elles ont également transformé les pratiques des acteurs du monde du droit : facilitant la fédération et la mise en commun de connaissances et de savoirs interdisciplinaires pour créer un écosystème ouvert et innovant dédié au droit et aux nouvelles technologies.

Sans surprise, leur arrivée a soulevé de nouveaux enjeux liés à l’innovation dans le secteur juridique. L’encadrement apporté aux LegalTech, et en particulier à la réutilisation des données ouvertes par les institutions judiciaires, témoigne des évolutions à l’œuvre au sein du monde juridique. Il vient prouver que les professions juridiques évoluent en phase avec la société qui se numérise, et que le droit, fidèle à sa mission, accompagne ces changements et réinvente sa pratique.

Les perspectives de développement des LegalTech sont encore grandes, notamment en termes de sécurisation des données (signature électronique, paiements en ligne, espaces-clients et générateurs de documents) ou encore de médiation numérique. Des collaborations entre les métiers du droit et les différents réseaux juridiques se structurent à l’aune de ces évolutions : le numérique appliqué au droit a ainsi opéré comme un révélateur de nouveaux enjeux d’interprofessionnalité, de mise en commun de ressources et de logiciels. Cette convergence ne pourra cependant se réaliser pleinement qu’à la condition que les futurs juristes soient eux-mêmes formés afin d’exercer avec de nouvelles méthodes et de nouveaux outils.

 La LegalTech a aussi innové et impacté les métiers du droit en ce qu’elle a facilité la fédération et la mise en commun de connaissances et de savoirs interdisciplinaires des acteurs pour créer une communauté et un écosystème dédié au droit et aux nouvelles technologies. Elle a facilité, pour ces acteurs, la découverte et l’adaptation à de nouvelles méthodes de travail : plus horizontales, plus collaboratives, moins hermétiques.

La définition de l’innovation a longtemps été basée sur le seul progrès technique. L’usage, l’ergonomie, le retour de l’utilisateur n’ont que plus tardivement été considérés comme essentiels eu égard à l’adoption d’une invention technologique. L’expérience utilisateur (souvent appelée UX pour user experience) représente cette adaptation, la réception tant émotionnelle que cognitive face à une interface, un objet ou un service. Essentielle, sa prise en compte, aujourd’hui systématique, sonne le glas d’une période où la compréhension du besoin des utilisateurs et de l’usage envisagé étaient présupposés.

Avec l’arrivée du numérique, et le changement de paradigme qu’il induit, l’innovation s’est aussi formalisée par l’émergence de nouveaux modèles économiques, bousculant les modèles plus anciens. Paradoxalement, la démocratisation du numérique en a fait une commodité commune aux multiples acteurs des différents marchés, rappelant le rôle et l’importance des métiers en termes d’expérience et de savoir-faire. Embrassant les dimensions économiques, culturelles et sociétales, ce phénomène s’est naturellement étendu au secteur du droit : de l’établissement de la loi à l’ingénierie juridique organisant les relations sociales (contrats stricts ou encore soft law).

Objet d’innovation, le droit entretient néanmoins un rapport particulier avec cette même innovation en tant qu’objet de droit. Constructeur de confiance, le droit est un outil essentiel pour pérenniser les innovations portées par le monde juridique. Ainsi le droit, qui accompagne et/ou régule l’innovation, peut également être l’objet d’innovation et évoluer dans sa pratique et sa conception ; c’est ce que les LegalTech apportent depuis leur émergence il y a quelques années. Il s’agira ainsi de revenir sur les progrès techniques et sur les nouveaux modèles économiques des LegalTech, qui ont fait émerger de nouveaux enjeux juridiques et contribuent aujourd’hui à modifier en profondeur les pratiques professionnelles et la formation des juristes.

Modéliser et pérenniser l’innovation construite entre une multitude d’acteurs. La place du droit s’accroît ainsi au fur et à mesure que le numérique rend possible de nouvelles collaborations nouées entre des acteurs hétérogènes et dispersés à l’international, garantissant à la fois le respect des intérêts individuels et celui des droits fondamentaux.

Progrès techniques et nouveaux modèles économiques

Le marché a évolué et a amorcé une nouvelle phase où les professionnels du droit ont réussi à se saisir des services numériques juridiques développés par les LegalTech. Nous sommes désormais dans un système qui se définit moins sur un mode binaire qui opposerait les acteurs traditionnels et les nouveaux entrants, et se veut désormais plus inclusif, dans la mouvance de l’innovation ouverte1.

Ce n’est plus un marché nouveau, il est déjà bien ancré

À leur arrivée en France, les LegalTech ont effectivement marqué une rupture sur le marché du droit, abordant d’une autre manière la prestation juridique, l’organisation et la répartition des tâches mais aussi le rapport aux clients. Ces entreprises – que l’on appellera start-up jusqu’à ce qu’elles trouvent un modèle économique pérenne – se fondent également sur des technologies qui ont bouleversé de nombreux autres secteurs, et souvent nos vies personnelles et professionnelles : l’automatisation, l’intelligence artificielle (IA), la blockchain, la réalité virtuelle, la mobilité, etc. Mais le temps de la disruption est aujourd’hui passé, car la simple nouveauté aurait rendu le phénomène éphémère. Leur développement démontre qu’elles sont aujourd’hui nécessaires… aux professions du droit, pour commencer.

Entre rachat de start-up et levées de fonds, le secteur du droit s’affirme comme un marché en pleine croissance qui intéresse tant le secteur privé que public2.

Le marché du droit est aujourd’hui estimé en France à 32 milliards d’euros3 et devrait atteindre 1 000 milliards de dollars au niveau mondial en 2021 selon l’Observatoire des acteurs économiques du marché du droit4. « L’émergence de champions français de la LegalTech capables de se développer et de s’exporter rapidement représente un vivier très important en matière de croissance et de création d’emplois.5 » Avec près de 160 entreprises, la France compte la plus grosse communauté de LegalTech en Europe, le deuxième pays européen, le Royaume-Uni, ne comptant lui que quarante-sept LegalTech. L’innovation qui accompagne ce dynamisme prend très souvent la forme de plateformes d’optimisation de services juridiques (conseil juridique, exécution d’opérations juridiques courantes, création de documents, gestion de résolution des litiges amiable ou judiciaire, etc.), d’applications mobiles ou encore de logiciels experts.

S’il est nécessaire que le marché se consolide pour que les entreprises puissent pérenniser leurs actions, l’enjeu du développement des LegalTech n’est néanmoins pas qu’économique. Par leur tendance naturelle à s’étendre à l’international, ces LegalTech constituent un formidable moyen de participer à la diffusion du modèle français – et plus précisément du modèle de la justice française à l’international, ce qui constitue un enjeu sociétal en plus d’être un enjeu économique. Les deux visions convergent naturellement : la part de marché des LegalTech basée sur la conception romaine de notre droit sera d’autant plus grande que ce modèle restera adopté par d’autres. À l’inverse, ces mêmes LegalTech présentent un enjeu de souveraineté pour la France, et plus généralement les pays de culture latine, pour qui l’adoption de solutions intimement liées à la tradition anglo-saxonne de la Common law participe à l’affaiblissement de nos fondamentaux.

Les LegalTech ont contribué à l’innovation dans le secteur du droit, mais elles ont surtout contribué à démocratiser certaines pratiques.

Services développés par les LegalTech utilisés par les professions juridiques et les justiciables et perspectives de développement

Les services développés et proposés par les LegalTech sont désormais une réalité bien ancrée dans le quotidien des professionnels du droit ainsi que des justiciables et de nombreux annuaires les identifient aujourd’hui finement6. Historiquement, la rédaction automatisée d’actes juridiques a été le premier service proposé par ces nouveaux acteurs sur le marché – concernant parfois les acteurs traditionnels7. Captain contrat8 ou Demander justice9 proposent une automatisation des processus dans la création d’un dossier juridique en ligne, aux côtés d’autres acteurs spécialisés dans l’accès à l’information juridique comme Doctrine.fr10 ou Jusmundi11.

Par ailleurs, les perspectives de développement des LegalTech sont encore grandes, notamment en termes de sécurisation des données12 (signature électronique, paiements en ligne, espaces-clients et générateurs de documents) ou encore d’interopérabilité. Des collaborations entre les métiers du droit et les différents réseaux juridiques se structurent à l’aune de ces évolutions. La création du Réseau national des incubateurs des barreaux (RNIB), en 2018, proposant aux avocats une aide au développement de solutions juridiques innovantes est une excellente illustration de cette structuration avec parfois des relations nouvelles entre acteurs autrefois peu enclins à collaborer13.

Le domaine de la justice prédictive – soit de l’IA appliquée au droit et permettant de déterminer l’aléa judiciaire – est certainement celui qui aura le plus suscité de collaborations et d’oppositions entre les acteurs du marché. Source de nombreux débats au début de l’émergence de ces nouvelles technologies14, ce sujet se traduit aujourd’hui par une collaboration accrue entre les différents acteurs afin de soutenir les démarches de big data juridique15. Récemment, la mission de recherche Droit et justice (GIP Justice) a publié un rapport portant sur la transformation introduite par le numérique sur le droit et la justice, sur les nouveaux usages induits et sur les bouleversements de la prise de décision. La mission revient ainsi sur l’utilisation de l’IA pour « prédire » des décisions de justice et souligne que ce projet est « fondamentalement erroné », en précisant qu’aucun set de critères ne peut complètement décrire une situation juridique donnée. La mission rappelle ainsi que l’application des techniques d’IA au droit nécessite une collaboration et un dialogue étroits entre juristes et mathématiciens.

Ce même rapport souligne l’enjeu plus concret des modes algorithmiques d’analyse de décisions (MAAD). Ces algorithmes servent principalement à étudier les relations portant sur des problématiques juridiques similaires et à établir des référentiels. Ces référentiels sont définis et s’appuient sur les données présentes dans les décisions de justice rendues disponibles grâce à l’open data.

Compte tenu des enjeux, le programme « IA et droit » mené au sein de l’association Open law durant l’année 2017, en partenariat avec la mission « Éthique et algorithme » de la CNIL, a démontré l’intérêt des approches ouvertes et collaboratives pour répondre collectivement aux enjeux éthiques, techniques et organisationnels de l’IA16.

Ce ne sont plus des « start-up juridiques » : lorsque l’on parle de « LegalTech » aujourd’hui, on parle d’un écosystème inclusif, qui contribue à innover tant sur les pratiques juridiques que sur les modes de collaboration entre acteurs

Aujourd’hui, on ne parle plus simplement de « start-up juridiques ». L’enjeu n’est en effet pas tant de créer de nouvelles start-up, mais de pérenniser un environnement qui favorise leur création et leur pérennité.

La réponse repose sur la création d’un écosystème ouvert et inclusif qui se structure au gré des initiatives collectives, globales – telles que les différentes initiatives menées en faveur des LegalTech au sein de l’association Open law* – ou spécifiques – tel le pôle dédié à la LegalTech au sein de France Digitale. Dans ce modèle, la diversité des approches les renforce toutes. Comme le constate Fabrizio Papa Techera, directeur général délégué de Lexbase pour l’Usine digitale17 : « Nous sommes partis du constat que chacun avait sa définition et que cette dernière n’englobait jamais tout le monde. » Cette position peut également se retrouver à travers la création de Legal F au début de l’année dernière. Il s’agit de l’association de quatre start-up de la LegalTech qui ont intégré Station F dès son ouverture, rejointes tout récemment par Fair Makers, une autre start-up du Founders program de Station F. Dans l’idée que l’union fait la force, Legal F, en regroupant des LegalTech aux offres complémentaires, veut permettre à chacune de proposer plusieurs services18.

Open law* a également contribué à structurer des réseaux et à faire en sorte que les acteurs et parties prenantes du monde juridique (LegalTech, éditeurs juridiques, cabinets d’avocats, acteurs publics, etc.) puissent appréhender et apporter leurs contributions sur la LegalTech. À ce titre, nous renouvelons aujourd’hui pour la quatrième édition le village de la LegalTech19. Le format de conférences et ateliers sur deux jours, qui a fait ses preuves, sera à nouveau déployé à la Cité des sciences et de l’industrie à la Villette, à Paris, en soignant le renouvellement des angles de réflexion, pour coller au plus près des sujets d’actualité et de l’innovation dans le domaine juridique. Cette année, le fil rouge ouvre une réflexion sur le rôle et la place de l’humain (« Humain + technologie = 3 ») dans un mouvement de transformation fortement déterminé par la technologie, comme souligné précédemment. Notre conviction, et c’est tout l’objectif de cette quatrième édition, est que le droit peut être un puissant instrument de réponse aux enjeux techniques et éthiques posés par la technologie. Plus encore, il peut s’enrichir des technologies et offrir un socle protecteur de notre souveraineté et de nos droits fondamentaux face aux défis posés par ces perpétuelles évolutions.

Autre initiative renouvelée cette année, le forum parlementaire de la LegalTech qui a su réunir le
1er juillet 2019 de nombreux acteurs (cabinets d’avocats, LegalTech, associations et entreprises) autour de tables rondes présentant les tendances de la LegalTech, la robotisation des actes juridiques, l’optimisation de la recherche juridique, la dématérialisation de la relation client et enfin la restructuration du marché du droit par la technologie.

Ces diverses initiatives donnent une visibilité à la LegalTech, d’autant qu’elles ouvrent les praticiens du droit à de nouveaux modes de travail et de collaborations avec des acteurs extérieurs ou issus d’autres professions. En ce sens, si la LegalTech contribue à innover par les services proposés, elle pousse également les acteurs du monde juridique à innover dans leurs pratiques et à trouver eux-mêmes des positions communes. La charte éthique pour un marché du droit en ligne et de ses acteurs20, signée à ce jour par plus de deux cent structures représentant plus de quinze professions, a ainsi, d’une part, permis d’introduire une dimension éthique nécessaire au développement de ces nouvelles technologies et, d’autre part, fédéré plus d’une centaine de signataires depuis la dernière version du 12 décembre 2017.

Les LegalTech se sont ainsi inscrites dans le paysage juridique français, elles ont créé de la valeur, transformé les pratiques des acteurs et impulsé une réelle innovation. Elles ont également été progressivement encadrées, par les enjeux : techniques, déontologiques, concurrentiels qu’elles ont soulevés.

Les enjeux actuels de l’innovation appliquée au droit

Les LegalTech n’ont pas vocation à se substituer au monde judiciaire ou au conseil juridique, mais uniquement à accompagner ses acteurs. Or, le droit et ses effets ont des impacts dans la vie pratique des justiciables. C’est sur ce fondement que, pendant de très nombreuses années, les acteurs traditionnels ont émis de nombreuses réserves quant à la création d’un secteur parajuridique s’affranchissant tant des obligations déontologiques auxquelles lesdits acteurs sont soumis, par exemple, quant au démarchage (voir ci-après), qu’à des obligations ordinales dont l’affranchissement des charges offrait aux LegalTech une avance concurrentielle.

Flirtant dangereusement avec les dispositions de la loi du 31 juillet 197121 sur l’exercice de la profession, les décisions judiciaires actionnées par le Barreau ont réussi à rationaliser, voire ouvrir, le marché juridique et judiciaire. Cette ouverture, permise par la loi Hamon du 17 mars 201422, s’est concrètement manifestée par la levée partielle de l’interdiction du démarchage mais surtout de la publicité des cabinets d’avocats offrant à ceux-ci la capacité d’enfin pouvoir communiquer plus librement sur les services proposés et ne plus être restreints à une position purement attentiste.

En effet, les limites de chaque profession étant définies par des décisions judiciaires, les LegalTech sont passées de concurrents des cabinets d’avocats à auxiliaires de ceux-ci. Ainsi à titre d’exemple, des LegalTech spécialisées dans la communication de cabinets d’avocats émergent. De plus, il est de moins en moins rare de croiser, au sein de ces cabinets, des business developers (chargés commerciaux) dont le rôle est à la fois axé sur la communication mais également sur les nouveaux marchés du droit.

Néanmoins, les offres fournies par les LegalTech se basent principalement sur des innovations technologiques utilisables par les cabinets d’avocats et trop onéreuses pour être développées par ceux-ci. L’exemple le plus caractéristique en est l’algorithmique judiciaire.

Celle du profilage des magistrats, dans le cadre de l’open data des décisions de justice, a été soulevée et partiellement réglée. Bien que ces deux problématiques découlent d’un même fait juridique, une décision de justice, leur résolution a été faite par un fondement juridique commun avec un particularisme concernant le ranking des magistrats. Complémentaires car la sempiternelle question de l’anonymisation23 se base sur les préconisations de la CNIL24 reprises par les lignes directrices du groupe de travail de l’article 29 devenu le Comité européen des données personnelles (juin 2013). Le règlement général pour la protection des données (RGPDno 2016/679) est le fondement de l’obligation d’une anonymisation effective des décisions de justice. Néanmoins, le législateur a consacré la prohibition d’interdiction de ranking des juges au travers de dispositions pénales prévues par l’article 33 de la loi no 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice renvoyant explicitement au versant pénal de la loi d’adaptation du règlement no 2016/679.

Cette loi manifeste une volonté juridique d’encadrer l’activité des LegalTech et l’utilisation des données juridiques. En effet, et à l’instar de tous les autres champs dans lesquels l’IA officie, les décisions de justice – données – sont le moteur de cette nouvelle économie comme le rappelle Stéphane Cottin25, Open law ne peut que se joindre à l’appel de l’auteur à créer et maintenir une ressource commune, non discriminante et partagée pour que tous les acteurs traditionnels, LegalTech et universitaires y aient accès.

L’encadrement apporté aux LegalTech et en particulier à la réutilisation des données ouvertes par les institutions judiciaires témoigne des évolutions à l’œuvre au sein du monde juridique. Il vient prouver que les professions juridiques évoluent, et que le droit, fidèle à sa mission, accompagne ces changements, qui impactent la pratique, mais également la formation des juristes.

Un impact sur les métiers du droit et sur la formation juridique

L’innovation produit donc un impact réel sur les métiers du droit. Un impact qui a et qui continue d’influer sur la formation juridique.

L’enjeu des solutions LegalTech sur le développement de l’interprofessionnalité

L’interprofessionnalité est l’une des innovations juridiques qui pose encore de nombreuses questions. Reçue de manière plus ou moins enthousiaste, la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques promulguée le 6 août 201526 organise l’interprofessionnalité pour faciliter le rapprochement des métiers du chiffre avec ceux du droit. Elle permet d’organiser des compétences variées, en un même lieu et sous une même offre. Or, ce qui apparaissait comme une évolution profitable à de nombreux acteurs de l’écosystème s’avère complexe à mettre en place. En effet, la possibilité de constituer des sociétés pluriprofessionnelles d’exercice (SPE) notamment entre les professions du chiffre et du droit demande une mutualisation et une réduction des coûts, notamment en termes de services digitaux. C’est un véritable projet d’entreprise qui s’avère très exigeant.

Un programme dédié à l’interprofessionnalité a été mené durant l’année 2016 au sein de l’association en réunissant tout type de professionnels, professions réglementées. Un livre blanc a vu le jour un an plus tard, disponible sur le site d’Open law27. Pour reprendre les mots de Dan Kohn, coordinateur de l’ouvrage : « La pluriprofessionnalité, ne pourra fonctionner que s’il existe une réelle volonté de ces professions à travailler ensemble, de mettre de côté certaines compétitions qui les animent, de raisonner en logique de marché, produit, besoin client et ne pas se focaliser au démarrage sur les contraintes déontologiques et les conflits d’intérêts qui peuvent les freiner, car celles-ci se régleront naturellement de par leurs instances respectives et de par la rédaction d’une charte éthique interne qui sera présentée aux clients afin d’instaurer une relation de confiance. »

Aujourd’hui, des initiatives se créent pour établir des ponts entre les professionnels. Une journée y a été consacrée le lundi 8 juillet 2019 à la faculté de droit de l’université Paris Descartes. Cet événement était organisé conjointement par l’ACE (syndicat représentant les avocats-conseils d’entreprises), la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle, l’Institut français des experts-comptables et le Syndicat national des notaires.

L’interprofessionnalité dispose d’un lien étroit avec les solutions LegalTech. En effet, sa réussite est en partie conditionnée par l’adoption des différents métiers du droit de systèmes logiciels, d’outils numériques et de pratiques digitales semblables – ce qui fait encore défaut aujourd’hui.

L’association Open law* reprend également le sujet à travers de nouveaux projets pour trouver un format approprié de formation pluriprofessionnelle adaptée pour les personnes intéressées à construire une SPE. Il pourrait s’agir d’une formation longue, à l’instar d’un diplôme universitaire ou plutôt courte en partenariat avec des acteurs privés, alors plutôt destinée aux professionnels du droit.

Les enjeux des innovations et des évolutions technologiques en termes de formation des juristes

Les évolutions actuelles des pratiques qu’entraîne cette émergence de solutions technologiques nouvelles mais aussi et surtout d’usages et d’attentes inédites pour les usagers du droit appellent une modernisation de la formation juridique tant du point de vue de la formation initiale que dans la formation continue des avocats et de l’ensemble des professions juridiques. Les compétences numériques à acquérir sont diverses ; au-delà, les postures d’apprentissage et l’employabilité des juristes en formation se trouvent réinventées.

On observe une augmentation des masters 2 et des diplômes universitaires spécialisés. Nous pouvons citer des masters tels que le master 2 Cybersécurité de l’UNISTRA, Droit des technologies numériques et Société de l’information pour Nanterre, Droit des activités numériques à Descartes ou encore le master 2 Droit du numérique, parcours Tiers de confiance et sécurité numérique au sein de l’université de La Rochelle. À côté des diplômes universitaires des facultés de Paris I et de Paris II déjà bien ancrés, nous avons vu se développer des DU comme celui de l’université de Montpellier, Cybercriminalité : Droit, sécurité de l’information et investigation numérique légale ou encore à Lille 2 : Propriété industrielle et nouvelles technologies.

Open law* a toujours suivi de près cette question de la formation avec un programme dédié intitulé « Former le juriste de demain », travaillant, par exemple, à établir un diagnostic des lacunes ou des nouvelles compétences attendues, via une enquête et une analyse statistique pour étayer ce diagnostic28, mais aussi cette année en s’intéressant aux solutions apportées en matière de formation, avec un projet d’inventaire des formations innovantes pour les (futurs) professionnels du droit.

Toujours sous cet angle, l’association contribue, depuis un an, au projet PIX+Droit. Ce nouveau dispositif, successeur du C2i2 Métiers du droit a été conçu de façon ouverte et collaborative, répondant autant à des besoins de certification en formation initiale qu’à des enjeux de formation au long de la vie ou de consolidation de compétences pour des juristes en exercice.

Cette année enfin, pour la quatrième édition du Village de la LegalTech, une attention particulière sera portée à la formation avec une conférence avant tout destinée aux étudiants en droit, et visant à les faire réfléchir à ces nouvelles formes d’exercice, qui appellent une posture nouvelle d’apprentissage tout au long de la vie/carrière, de maîtrise de compétences transversales autant que d’acculturation à une expérience du droit irréversiblement transformée par les LegalTech et la digitalisation de la société.

Depuis son émergence sur le marché français, la LegalTech s’est imposée comme une dimension à part entière du monde juridique. Ce nouveau secteur a su convaincre les acteurs juridiques et parajuridiques de financer son développement. Ce cercle vertueux a d’ailleurs contribué au développement de services d’automatisation d’actes et de processus, de recherche juridique, commençant la transformation numérique des praticiens.

La LegalTech a aussi innové et impacté les métiers du droit en ce qu’elle a facilité la fédération et la mise en commun de connaissances et de savoirs interdisciplinaires des acteurs pour créer une communauté/écosystème dédié au droit et aux nouvelles technologies. Elle a facilité pour ces acteurs, la découverte et l’adaptation à de nouvelles méthodes de travail : plus horizontales, plus collaboratives, moins hermétiques. Ces (r)évolutions dans le monde du droit ont été perçues aussi bien par les praticiens, que par les universitaires qui forment les juristes de demain. Le numérique appliqué au droit opère comme un révélateur de ces enjeux, favorisant ainsi l’émergence de passerelles entre les disciplines, ce qui apparaît aujourd’hui comme une nécessité pour bon nombre de professionnels. Le développement de l’interdisciplinarité passera ainsi, aussi en partie, par la mise en commun de ressources numériques et logicielles communes entre praticiens pour harmoniser les échanges, les rapports et les pratiques. Or, cette convergence numérique ne pourra se faire qu’à la condition que nos futurs praticiens, soient eux aussi formés, préparés à exercer avec de nouvelles méthodes, de nouveaux outils, leurs nouveaux métiers.

Les LegalTech ont contribué à l’innovation dans le secteur du droit, mais elles ont surtout contribué à démocratiser certaines pratiques. D’une part, alors que seuls certains cabinets avaient pu investir dans des solutions particulièrement coûteuses, les LegalTech ont pu traduire la volonté de donner un accès au numérique au bénéfice du plus grand nombre ce qui a eu pour effet d’augmenter le marché, entraînant une réduction des coûts. Elles ont néanmoins concurrencé des tâches sans valeur ajoutée auparavant fortement valorisées, et cela au bénéfice du client final. C’est la raison principale pour laquelle cette phase s’est faite en tension entre profession réglementée et non réglementée. D’autre part, un rapprochement plus fort entre les juristes et les entrepreneurs du numérique s’est engagé afin de produire des LegalTech qui soient réellement innovantes en matière de services rendus par un professionnels du droit. In fine, ce sera certainement une démocratisation : il ne s’agira plus d’être le premier, mais de ne pas rester à quai.

  1. Jean B., « Open law*, le droit ouvert : genèse du développement d’un mouvement appliquant les méthodes d’innovation ouverte au monde du droit », La semaine juridique févr. 2017, éd. spé., supplé. no 9, « La jurisprudence dans le mouvement de l’open data », p. 81.
  2. Récemment, France Digitale a réuni vingt-trois entreprises spécialisées dans le numérique propre au secteur juridique pour structurer un marché de la LegalTech estimé à 25 millions d’euros en 2018.
  3. Par l’observatoire des acteurs économiques du marché du droit, dossier disponible sur : http://web.lexisnexis.fr/
  4. Chardenon A., « Pour structurer la LegalTech, France Digitale crée un groupe dédié », usine-digitale.fr 16 juill. 2019.
  5. Nicolas Brien, directeur-général de France Digitale, in : Chardenon A., « Pour structurer la LegalTech, France Digitale crée un groupe dédié », op. cit.
  6. Village de la justice, Guide et observatoire permanent de la LegalTech et des start-up du droit, dernière mise à jour le 28 juin 2019, ce site met régulièrement son guide à jour, il recense 226 LegalTech françaises.
  7. Plus précisément, les LegalTech ont été les premières à dédier leurs activités et modèle économique à ce service, à l’opposé de quelques grands cabinets d’avocat qui utilisaient déjà ces technologies pour augmenter leur rendement.
  8. Captain contrat : première LegalTech intégrant un réseau d’avocats en France, elle propose une nouvelle expérience du juridique à destination des entrepreneurs grâce à une plateforme unique de contenus et services en ligne innovants, https://www.captaincontrat.com/
  9. Demander justice : règlement de litiges sans frais d’avocat, en ligne. Dossier juridique pour le tribunal d’instance, conseil de prud’hommes, https://www.demanderjustice.com/
  10. Doctrine.fr : moteur de recherche juridique qui organise l’information juridique pour la rendre facilement accessible et pertinente pour les professionnels du droit, https://www.doctrine.fr/
  11. Jusmundi : moteur de recherche du droit international, https://jusmundi.com/fr/
  12. Voir l’enquête sur le sujet réalisée par la société Secib : « L’avocat face aux nouveaux enjeux du marché du droit 2/6 : la digitalisation des cabinets d’avocats », Secib.fr : https://www.secib.fr/
  13. Ainsi, le RNIB a noué un partenariat avec Lexis Nexis pour tester les premières solutions basées sur l’IA au sein du lab Lexis Intelligence. De même un partenariat a été noué entre Etalab, la cour de cassation et les Éditions Lefebvre Sarrut afin de développer une solution open source standardisée de pseudonymisation des décisions de justice.
  14. Par exemple, allocution de M. Jean-Claude Marin, procureur général près la cour de cassation, lors du colloque « La justice prédictive » organisée par l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la cour de cassation, le lundi 12 février 2018, voir sur le site https://www.courdecassation.fr
  15. Le big data désigne une démarche particulière, qui consiste à extraire l’information pertinente d’un ensemble de données. Ce sont des ensembles de données extrêmement volumineux que l’on va traiter et analyser.
  16. Voir le livre blanc d’Open law à ce sujet, sur le site : https://openlaw.fr/
  17. Chardenon A., « Pour structurer la LegalTech, France Digitale crée un groupe dédié », op. cit.
  18. Ces start-up arrivées à Station F au sein du Founders program (Share Your Knowledge, le droit pour moi, et donc Fair makers depuis 2019), de l’incubateur de Microsoft (Case Law Analytics) et d’HEC (LexDev). L’intérêt est de multiplier leurs forces commerciale et marketing, mais renforce également la visibilité des acteurs de la LegalTech et des communautés intéressées dans un environnement spécifique.
  19. Organisé conjointement par Open law et le Village de la justice, http://village-LegalTech.fr/
  20. Disponible : https://www.charteethique.legal/
  21. L. no 71-1130, 31 déc. 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.
  22. L. no 2014-344, 17 mars 2014, relative à la consommation.
  23. Cassar B., « La distinction entre l’open data et l’accès aux décisions de justice », dalloz-actualité.fr 19 juill. 2019, https://www.dalloz-actualite.fr/
  24. Délib. no 01-057, 29 nov. 2001, portant recommandation sur la diffusion de données personnelles sur Internet par les banques de données de jurisprudence.
  25. Cottin S., « Les robots, avocats et juges de demain ? Pas vraiment... Intelligence artificielle en droit : derrière la “hype”, la réalité », precisement.org 12 juill. 2018, http://www.precisement.org/blog/Intelligence-artificielle-en-droit-derriere-la-hype-la-realite.html
  26. L. no 2015-990, 6 août 2015, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.
  27. Livre blanc Open law sur l’interprofessionnalié, disponible en ligne : https://openlaw.fr/sites/default/files/2018-10/Livret_interpro_interactifVD.pdf
  28. Open law, Formation du juriste : compétences, acquis et axes d’amélioration, 2016, https://openlaw.fr/ressources/formation-du-juriste-competences-acquis-et-axes-damelioration-enquete-statistique-et
×

A lire aussi