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DossierS’adapter à la rareté de l’eau, de la science-fiction à l’éducation

La raréfaction de l’eau en qualité et en quantité va demander une adaptation des humains. Mais comment faire face à ce phénomène ? Les réponses seront-elles technologiques ? Scientifiques ? Comportementales ? Certaines se valent elles plus que d’autres ?
Le concept de l’homme augmenté désigne le fait de pouvoir dépasser ses capacités naturelles grâce à des moyens chimiques ou technologiques. Une notion transhumaniste dont certaines branches se tournent vers l’écologie. Face aux défis hydriques qui nous attendent, la technologie pourrait-elle faire évoluer l’humain pour que son corps soit moins gourmand en énergie et dépendant en eau ? Pour l’instant, ces réflexions sont encore purement spéculatives. Sur le plan scientifique, des innovations ont permis de développer des plantes, comme le blé ou le riz, plus résistantes à la sécheresse. Cela a été possible grâce à des ciseaux moléculaires, appelés CRISPR-Cas9, permettant de découper précisément le code génétique. En Europe, ces plantes sont considérées comme des organismes génétiquement modifiés (OGM).
Pour imaginer répliquer cela à l’humain, les questions éthiques et techniques sont encore nombreuses.
La science-fiction s’est emparée de ce sujet. Notamment à travers Dune, œuvre imaginée par Frank Herbert dans les années 1960. Portée au cinéma depuis lors, l’œuvre est culte. On y découvre le peuple des Fremen, des hommes et des femmes vivant dans le désert. Ils portent des vêtements leur permettant de récupérer l’humidité de leur haleine, de leur transpiration, de leur urine, etc. Qu’ils distillent pour être autonomes en eau. Une solution inenvisageable pour l’instant, car elle engendrerait une hyperthermie du corps, la combinaison l’empêchant de se rafraîchir.
Mais le textile est un domaine qui évolue vite, note Christian Clot, explorateur-chercheur, spécialiste de l’adaptation humaine en condition extrême et directeur du groupe de recherche Human Adaptation Institute : « Certains tissus empêchent déjà la transpiration de s’évaporer pour rafraîchir la peau. » Il évoque aussi le sujet de la récupération des matières fécales : « Nous avons réalisé une expédition dans une grotte avec quinze personnes en autonomie et nous avons cherché comment récupérer les matières fécales pour en faire une ressource. Nous en sommes très loin. La NASA a réussi en développant un système de récupération très onéreux. »
Dans certaines régions du monde, les latrines étant soit inexistantes, soit non raccordées à des systèmes d’assainissement, les problèmes sanitaires sont nombreux. La fondation de Bill Gates a lancé un concours en 2011 pour développer une toilette parfaite, qui n’utiliserait pas d’eau, très peu d’énergie et pourrait recycler toutes les matières fécales. Des innovations ont eu lieu depuis, mais aucune n’a été déployée mondialement pour régler le problème.
Pour Christian Clot, à travers cet exemple, on comprend la difficulté pour la technologie pure de résoudre le problème de l’eau : « Nous devons évidemment continuer les recherches technologiques, trouver des solutions de récupération, de purification, mais ça ne peut pas être que de la technologie. C’est du comportement. Alors comment faire évoluer une population de manière globale face aux grands défis du futur, sachant que, depuis les années 1950, nous connaissons les risques qui nous attendent ? Comment faire entrer l’adaptation au changement climatique dans la culture populaire ? »
La sensibilisation passe par l’expérience sensible
« J’ai connu la soif, raconte l’explorateur, et c’est un état de souffrance absolue. 100 % des cellules de votre corps font mal. » En Europe, nous sommes habitués à une eau facile d’accès au robinet ou en bouteille. Dans ces conditions, difficile d’imaginer ce à quoi des millions de personnes sans raccordement à l’eau potable sont confrontées. Ni les conséquences qu’une sécheresse importante pourrait impliquer. Les recherches menées par Christian Clot « montrent que la décision de changement d’une personne ne viendra que par une expérience sensorielle vécue ».
C’est pourquoi, avec son équipe, il a créé Climate Sense. Un projet expérientiel pour accélérer la prise de conscience des enjeux des changements de comportement.
L’idée est de s’immerger pendant trente minutes dans un camion aménagé en chambre climatique où la température est de 50 °C. Les participants sont accompagnés et participent à des activités (jeu d’adresse, vélo, questionnaire) pour tester leurs capacités cognitives. Avant d’entrer dans la cellule, Christian Clot s’aperçoit que les gens ne réalisent pas ce qu’est la chaleur : « 80 % disent qu’ils ont déjà connu une température de 50 °C, car ils sont restés exposés sur la plage en plein mois d’août. Et quand ils réalisent que ce n’est pas ce qu’ils imaginaient, qu’ils ne peuvent plus porter de lunettes en métal par exemple, on peut aller tirer des fils de réflexion. Ça permet de poser des questions sur l’ensemble systémique de la chaleur. » Et du changement climatique de manière plus globale.
« J’ai connu la soif, raconte l’explorateur, et c’est un état de souffrance absolue. 100 % des cellules de votre corps font mal. »
La vision techno-solutionniste face à l’approche éducative
Mais l’idée que les solutions technologiques vont nous sauver n’est jamais bien loin : « Souvent les personnes nous disent qu’elles auront le temps de s’adapter, que, même si les températures augmentent, nous aurons la climatisation. Mais on leur explique que non, reprend Christian Clot. Il y aura des pics de chaleur avec des variations fortes au sein d’une même journée. Et pour la climatisation, on ne sera pas capable de produire l’énergie nécessaire, surtout si tout le monde en utilise. »
Dans un monde de plus en plus polarisé, où la croyance prévaut parfois sur la vérité, Christian Clot adopte une approche collective du sujet : « Certains pensent que le changement climatique n’est pas créé par l’homme. Je ne cherche pas à les convaincre, mais j’essaie de leur dire qu’il y en a un et que, comme il est là, nous devons lutter contre. »
Concernant la thématique de l’eau, la méconnaissance et l’incompréhension du sujet sont significatives. Selon Christian Clot, l’eau est dans le « top 2 » des sujets les moins bien compris par la population : « Il est très difficile d’expliquer aux populations qu’il n’y a plus assez d’eau quand ils ont subi trois inondations de suite. » Pour en parler, il préfère passer par la question de la santé « car elle est reliée à des préoccupations immédiates ».
Il constate par ailleurs une montée importante des projets de géo-ingénierie, ces techniques de manipulation du climat qui pourraient faire diminuer la température sur Terre en envoyant des ballons de soufre dans l’atmosphère. « Comme ça a l’air plus simple, les États sont en train de baisser les bras sur la partie éducative, analyse Christian Clot. Mais je ne baisse pas les bras. L’éducation est le levier le plus puissant dont nous disposons. Le reste, ce sont des leviers qui ne toucheront pas tout le monde. » Le chercheur met l’accent sur la capacité des enfants entre 6 et 12 ans « à comprendre les problèmes très complexes » et à influencer leurs parents et leur environnement : « Quand on change de manière profonde l’éducation, on change la société. »
Face au stress hydrique, l’État limite les dégâts… mais pour combien de temps
Au niveau de l’eau, Christian Clot souligne deux sujets importants à inculquer aux citoyens. Le premier : la pollution de notre eau et notre incapacité à la purifier correctement avant qu’elle n’arrive dans les foyers. Nous avons des exemples récents avec les substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS) retrouvées dans l’eau du robinet ou les filtres des eaux en bouteilles Nestlé qui n’étaient pas aux normes. Le second : à partir d’une certaine température, des micro-organismes se développent dans l’eau et, comme nous ne savons pas encore comment la purifier, l’eau chaude va poser problème.
Encore une fois, si certains attendent une solution technique, lui commence à imaginer comment l’homme pourra s’adapter dans ces conditions. « Il va falloir mieux gérer la ressource, accepter qu’on ne pourra pas se rafraîchir que par des solutions techniques. Il y a des pays où il fait très chaud et où les gens n’ont pas de climatisation. Demain, il faudra prendre sa part de participation à son propre confort en réapprenant comme utiliser les flux d’air, d’eau, la nourriture, etc. »
Selon ses observations, nous sommes collectivement trop habitués à ce que l’État pourvoit. Par exemple, quand il y a des problèmes de qualité ou de quantité d’eau, comme ce fut le cas dans les Pyrénées-Orientales en 2023, puis en 2024, l’État a fait en sorte de fournir des bouteilles d’eau aux populations touchées.
« À un moment donné, l’État ne pourra plus pourvoir à tout. Quand il y aura plusieurs sécheresses, des zones d’inondation, des feux de forêt, etc. Même le meilleur État du monde ne gérera pas. Mais si chacun fait un effort, on résout des problèmes. » Encore une question d’éducation selon lui, nous devons nous former pour nous préparer à ces situations.
Des espaces cognitifs à retrouver d’urgence
Pour en prendre conscience et se préparer, encore faut-il pouvoir y penser. Or, la quantité importante d’informations que nous recevons par jour (notifications, messageries, informations en continu) ne nous laisse pas d’espace cognitif pour penser. Christian Clot a mené une expérimentation à ce sujet en immergeant un groupe d’individus pendant trois jours dans une grotte. « En les coupant du monde, ils se sont aperçus que quand on ralentit, on se régénère, relate-t-il. On demande aux citoyens de changer pour s’adapter mais on ne leur donne pas d’espace cognitif pour le faire. Nous sommes dans un moment de l’histoire où 80 % de la population mondiale pense qu’elle n’a plus le temps. C’est unique. »
Nous sommes entrés dans un cercle vicieux où plus nous nous facilitons la vie, plus nous sommes occupés. Par exemple, ChatGPT est censé nous dégager du temps en répondant à notre place à des problèmes complexes. Mais derrière, les réponses arrivant plus vite, nous sommes d’autant plus sollicités. Tout va plus vite et nous manquons de temps de pause.
« Nous sommes en stupeur, explique Christian Clot. Quand on entend que c’est toujours trop tard et qu’il faut vite changer, étant donné que les gens n’ont pas les moyens cognitifs de le faire. Ça les dépasse et ils baissent les bras. » Une des solutions serait-elle d’éduquer à ces questions à l’école et dès le plus jeune âge ?
L’éducation, clé de voûte du changement
« 100 % des personnes que je rencontre – parents, professeurs, recteurs – me disent qu’il faut changer l’Éducation nationale, indique Christian Clot. Mais ensuite, quand on parle de quoi faire, plus personne ne veut changer. Tout le monde est d’accord avec l’idée qu’il faut changer mais que ce sont les autres qui doivent le faire. »
Selon lui, l’éducation donnée aujourd’hui en France ne prend pas en compte les enjeux majeurs du futur. Il en identifie trois : le climat, le principe du genre égalitaire et le fait religieux. Trois sujets crispants au sein de notre société. Trois sujets en tension que certains professeurs choisissent de ne plus aborder. C’est « le début d’un aveuglément sur des enjeux présents et réels qui tuent partout dans le monde », souligne le chercheur-explorateur. Mais, selon lui, rien n’est inéluctable et tout est changeable. Quelle orientation veut-on donner désormais ? « La graine intellectuelle est présente. Notre système éducatif est en panne par manque de moyens financiers, certes, mais aussi par manque d’idées éducatrices. Si on déclenche une dynamique, ça peut changer. »
L’éducation donnée aujourd'hui en France ne prend pas en compte les enjeux majeurs du futur.
Outre les jeunes, les adultes peuvent – et doivent – continuer leur éducation sur ces enjeux majeurs : « On doit vraiment reconsidérer la capacité d’amener une personne à comprendre le système dans lequel elle vit et ce qu’elle peut faire pour réduire ses impacts, pour devenir sobre. Organisons, par exemple, la journée de l’eau de telle façon que l’on porte ce qu’on consomme en eau en une journée pour voir le poids que cela représente. Il faut en avoir conscience car c’est un bien précieux. Pour moi, le vrai homme augmenté, c’est l’homme éduqué. »
Les propos sont issus des Ateliers des Métamorphoses d’Eau de Paris, « L’homme augmenté en eau », et d’une interview complémentaire de Christian Clot. Vous pouvez écouter une version condensée de l’atelier en podcast : https://shows.acast.com/les-ateliers-des-metamorphoses/episodes/lhomme-augmente-en-eau