Revue
Anticipations publiquesJulien Dupont : « Mon objectif est d’encourager les gens à aller plus loin, amener des prolongements dans les réflexions. »

Professeur de géographie à Vaulx-en-Velin (69), Julien Dupont a publié en mars 2024 Imaginer demain. Chroniques cartographiques d’un monde à venir1, un atlas prospectif autour des territoires, mêlant textes de fiction, données scientifiques et cartes géographiques. Son objectif ? Que les lecteurs, curieux et intrigués face à ses cartes et ses histoires, se renseignent plus en détail sur les enjeux du xxie siècle. Que la société civile s’empare des données pour imaginer l’avenir et, surtout, agisse tant qu’il est encore temps.
Julien Dupont propose dans ce livre une vision scénarisée de notre avenir par les cartes. S’appuyant sur des données scientifiques (les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat [GIEC], les données de l’Office mondial des migrations, l’Institut national de la statistique et des études économiques [Insee] et des travaux universitaires) enrichies de ce que nous propose la fiction (littérature, cinéma et séries), il cartographie les espaces et met en avant, parfois de manière étonnante, voire troublante, la manière dont notre environnement va changer dans les années à venir. Écosystèmes, habitat, ressources, frontières, migrations, technologies, etc., sont déclinés au fil de ces chroniques cartographiques, qui vont de la prospective réaliste à court terme à la dystopie la plus poussée.
Une lecture subjective et sensible de l’auteur, qui encourage le lecteur à s’interroger à son tour et à construire sa vision personnelle des futurs de notre monde.
D’où vous est venue l’idée de ce livre ?
L’idée était de réaliser un ouvrage qui apporte des données scientifiques en gardant un côté fiction. C’est-à-dire en assumant le fait que les prévisions pour l’avenir sont toujours du domaine de la fiction. Donc tirer les fils des scénarios actuels pour imaginer des paysages du futur via la cartographie et le dessin en poussant le curseur, sans chercher spécialement le réalisme.
Julien Dupont explique comment l’imaginaire peut conduire à la compréhension géographique.
Les cartes peuvent être troublantes, était-ce le but ?
Oui, la cartographie est employée de manière exponentielle depuis quelques années. Donc, quelque part, il y a un aspect un peu provocateur pour essayer de faire réagir et de pousser chacun à se documenter sur les questions de la montée des eaux, de l’augmentation des températures, etc.
J’ai essayé de synthétiser, de ramasser les textes pour qu’ils ne soient pas trop longs. Cela permet de balayer différentes questions assez rapidement, mais en étant assez précis. Je ne suis pas du tout un spécialiste de quoi que ce soit. Mon objectif, c’est d’encourager les gens à aller plus loin sur des sujets qui les intéressent, d’amener des prolongements dans les réflexions.
Oui, car les cartes et les textes qui les accompagnent sont toujours sourcés…
Oui, toujours dans l’idée de faire une sorte de science-fiction littéraire, en essayant de pousser la logique sur un siècle ou plusieurs pour montrer à quoi pourraient mener les évolutions actuelles. Tout comme un roman de science-fiction où on ne cherchera pas forcément de la prospective territoriale, mais plutôt une prolongation géopolitique ou philosophique de ce vers quoi pourraient nous mener les trajectoires actuelles.
La culture est très présente dans le livre, que ce soit des références à des films ou des livres. Pourquoi ?
Nous vivons dans un monde où se mélangent parfois faits et fictions. Nous sommes nourris par la fiction via les plateformes de streaming, les réseaux sociaux, mais aussi par le fait que les informations sont de plus en plus difficiles à sourcer.
Donc je me suis dit que pour imaginer le monde de demain, la fiction peut aussi être une source. À la base, l’idée du livre était de prendre le thème du scénario qui est celui qu’on nous expose à travers ceux du GIEC, par exemple. Puis de pousser la logique en articulant le livre autour de cette idée de scénarios possibles. Notre vision du futur est nourrie de tous les mondes imaginés par des auteurs, que soient de romans ou de films.
Pensez-vous que les cartes peuvent être un bon médium pour essayer de se représenter un futur désirable ?
Oui, ça peut être un biais parmi d’autres pour laisser une place à la société civile, aux citoyens. Les cartes sont souvent un produit subjectif qu’on nous livre. Le fait de s’en emparer c’est dire que chacun peut essayer de dessiner ce qui l’entoure, les évolutions vécues à partir d’observations personnelles. Cela permet d’amener ses propres données d’observation, sans les laisser seulement aux spécialistes, aux cartographes officiels, et donc de produire une sorte de cartographie citoyenne.
Je suis professeur à Vaulx-en-Velin, nous avons souvent des projets avec les collégiens pour leur faire représenter leur quartier ou l’imaginer dans cent ans. Toujours dans l’idée que les habitants s’approprient l’espace et essayent de se le représenter. Ce n’est pas évident, car la cartographie est assez complexe et assez abstraite pour certaines personnes. C’est un défi que les gens arrivent à se dire qu’ils peuvent aussi dessiner ce qui les entoure avec leur propre vécu.
Je pense que ça a un intérêt dans la prospective des territoires pour essayer de voir ce qui pourrait être amélioré, les angoisses qui peuvent surgir sur la façon dont on se représente ce qui nous entoure, comment elles évoluent ? Est-ce que les choses qu’on observe aujourd’hui étaient les mêmes il y a quelques années ? Comment peut-on les envisager dans le futur ?
Et puis, pour les contrées plus lointaines, se dire que les données fournies puissent être utilisées pour arriver à poser un regard sur le monde. Encourager les gens à faire le tri, à essayer de faire des hypothèses, mais en ayant le plus de données contradictoires possible pour pouvoir poser un point de vue.
Pour les contrées plus lointaines, se dire que les données fournies puissent être utilisées pour arriver à poser un regard sur le monde. Encourager les gens à faire le tri, à essayer de faire des hypothèses, mais en ayant le plus de données contradictoires possible pour pouvoir poser un point de vue.
Vers la fin du livre, vous dites : « Il faut se préparer au chaos tout en prenant les mesures nécessaires pour sauver ce qui peut l’être. » Assumez-vous le côté pessimiste ?
C’est peut-être un problème d’imagination, mais envisager un monde futur qui fonctionne de la manière actuelle, je trouve que ça demande un effort démentiel d’imagination. On pourrait dire que c’est un point de vue très pessimiste, mais en même temps, c’est la façon d’organiser la société qui est l’enjeu. Les changements sont en cours. On peut être optimiste, comme Kim Stanley Robinson, l’auteur du Ministère du futur2, où les institutions prendront les choses en main. Mais je pense que l’idée c’est de se préparer au pire pour que, justement, il n’advienne pas.
- Dupont J., Imaginer demain. Chroniques cartographiques d’un monde à venir, 2024, Armand Colin.
- Robinson K. S., Le ministère du futur, 2023, Bragelonne.