Timothée Hubscher : « Il faut modifier en profondeur les outils de planification. »

Le 18 septembre 2025

Directeur des équipes Planification et résilience des territoires de Citadia1 et membre du conseil scientifique de la revue Urbanisme, Timothée Hubscher conseille les territoires dans leurs stratégies territoriales et foncières et en transition écologique et énergétique. Il vient de sortir un livre blanc intitulé Les outils de planification : une nécessaire rationalisation pour renforcer l’efficience (juin 2025) qui préconise de revoir en profondeur les outils de planification territoriale.

Pour commencer, pouvez-vous nous présenter votre rôle au sein de Citadia et votre activité ?

Je suis directeur de la BU Planification et résilience du groupe Citadia depuis 2023. Nous sommes quatre-vingts collaborateurs et intervenons en conseil auprès des collectivités, majoritairement sur tout l’Hexagone et les outre-mer. Je dirige la plus grosse équipe de planification et de conseil en transition écologique et énergétique en France. Nous travaillons à la fois sur des documents d’aménagement régionaux, des schémas de cohérence territoriale (SCoT), des plans locaux d’urbanisme (PLU), des plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUi), des programmes locaux de l’habitat (PLH), des plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET), des projets alimentaires territoriaux (PAT), couvrant ainsi l’ensemble des éléments de la planification. Nous réalisons aussi des missions de conseil non réglementaires en stratégie territoriale et transitions écologique et énergétique.

Combien de documents de planification produisez-vous par an ?

Ce sont des missions de long cours, qui varient entre trois et six ans selon les sujets. Il est difficile de donner un chiffre annuel, mais, en ce moment, sur des missions d’élaboration ou de révision générale, nous en avons une petite centaine en parallèle. Nous travaillons avec une grande diversité de collectivités locales, pas seulement les grosses. Nous avons récemment finalisé le PLUi du Pays d’Aix au sein de la Métropole Aix-Marseille-Provence, et aussi le PLUi de Saint-Brieuc. Mais nous accompagnons également des territoires en montagne, comme le PLU de Chamonix qui a intégré la loi Lemeur de novembre 20242 qui encadre les meublés touristiques, une première. Nous sommes aussi très présents sur le littoral, par exemple avec le SCoT du bassin d’Arcachon, le plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi-H) Lannion-Trégor Communauté3. Nous intervenons aussi dans les territoires plus ruraux, comme le Périgord noir ou la DRAGA en Ardèche.

Il faut remettre le projet de territoire au coeur de la planification et arrêter de faire vingt cinq diagnostics et vingt stratégies.

Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à publier ce livre blanc ?

La Cour des comptes a publié le 10 juin 2025 un rapport4 qui fustige le recours aux cabinets de conseil dans les collectivités, dont 27 % des dépenses concernent l’aménagement et l’urbanisme. Les collectivités justifient ces dépenses par l’inflation réglementaire, et je les comprends. Quand vous avez vingt-cinq documents, dont certains ne sont pas obligatoires mais nécessaires pour piloter une compétence, cela crée une charge énorme. Notre livre blanc pose un constat qui va dans ce même sens : si tous les documents d’urbanisme devaient être révisés, il faudrait 650 siècles cumulés de procédure, ce qui représenterait un budget de 1,5 milliard d’euros en prestations de conseil.

Plusieurs raisons m’ont poussé à écrire ce livre blanc qui mûrit depuis plus d’un an. Le premier point, c’est le zéro artificialisation nette (ZAN) et la loi Climat et résilience5. On voit bien toutes les difficultés à appliquer ces nouvelles obligations qui vont dans le sens de l’adaptation au changement climatique. Nous sommes dans une séquence de reculade, avec des temps de « détricotage » et des dérogations à tout va pour la réindustrialisation, le rattrapage des logements sociaux, etc. Quand il y a trop de dérogations, cela signifie que la règle n’est pas bonne et qu’il faut la réécrire. J’ai été auditionné quatre fois par le Sénat sur ces sujets. Trois ans après la loi Climat et Résilience, il n’y a toujours pas d’outil de financement du ZAN, ce qui explique en partie sa complexité et les remises en question par les élus.

Le deuxième constat, c’est la méconnaissance des documents de planification. On a fixé l’objectif de diviser par deux la consommation d’espace en dix ans sans mettre en place de critères économiques ou fiscaux, en demandant aux documents de planification de s’aligner. Or, il faut entre quatre et sept ans pour élaborer ces documents, et il fallait tout reprendre : les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET), les SCoT, puis les PLU. On se fixe un objectif à dix ans, mais sans mesures économiques et fiscales. On continue de consommer environ 20 000 heures/an, qui s’expliquent notamment par l’inertie des documents existants.

Autre raison : les SRADDET sont devenus de plus en plus prescriptifs avec le ZAN, les PLUi ont grossi, et on ajoute un nombre incroyable de documents sectoriels. En évaluant des PLU et PLUi, on constate que seulement 20 à 40 % des objectifs sont atteints dans les meilleurs des cas, ce qui pose la question de leur efficience. L’Autorité environnementale a d’ailleurs critiqué ces documents, les jugeant « old school » et inadaptés aux enjeux d’adaptation au dérèglement climatique. Ils ne sont pas construits pour y répondre ; beaucoup d’enjeux d’adaptation ne peuvent être traduits dans l’urbanisme réglementaire. Les documents de planification, créés il y a vingt-cinq ans, sont devenus obsolètes face aux défis actuels.

Vingt-cinq documents de planification peuvent coexister sur un même territoire. Vous parlez d’immobilisme, de planification pensée en silo, de documents peu opérationnels dans votre livre blanc. Comment en est-on arrivé à une telle complexité ?

Nous avons des documents de planification non financés et non phasés dans le temps. Un PLU, même s’il est prévu pour douze ans, se réalisera s’il y a du dynamisme, sinon peu de choses se feront. Des contrats de relance et de transition écologique (CRTE) et des plans pluriannuels d’investissement (PPI) existent, mais ne sont pas toujours alignés avec les objectifs des documents de planification. Cela crée une inefficacité dans la mise en œuvre des politiques publiques.

On a aussi la fâcheuse manie de créer un nouveau document de planification à chaque nouveau problème. On a des SRADDET, puis on a développé des conférences des parties (COP) régionales dont l’articulation reste floue. On a créé les CRTE en demandant aux collectivités de refaire un projet de territoire, ce qui donne l’impression de tourner en rond. Le temps passe, et on ne prend pas le temps d’évaluer. L’évaluation est souvent limitée ou faite tardivement. Les élus ont l’impression de passer leur temps à planifier. Il faut redonner de l’efficacité et de l’efficience aux politiques publiques, en remettant le projet de territoire global au cœur, avec des déclinaisons cohérentes.

Quelles sont vos préconisations pour sortir de ce « bourbier administratif » ?

Il faut réaligner plusieurs choses. D’abord, remettre le projet de territoire au cœur. Arrêter de faire vingt-cinq diagnostics et vingt stratégies. Un seul projet de territoire, le projet d’urbanisme et d’adaptation du territoire (PUAT) doit se baser sur un diagnostic très large et être le projet des élus pour leur territoire. Ensuite, ce projet se déclinerait en plusieurs documents autonomes. Si on doit ajuster une partie, on n’est pas obligé de revoir la copie en totalité. Ce PUAT inclurait un programme d’action phasé et financé – si on ne peut pas financer des actions, on ne les met pas. Nous proposons aussi un pacte fiscal et financier intégrant un PPI pour que les investissements de la collectivité soient alignés. Une stratégie foncière globale est également essentielle pour débloquer des projets complexes, surtout avec le ZAN. Enfin, on a besoin d’un outil d’instruction du droit du sol basé sur des plans de secteur urbains ou ruraux adaptés aux réalités locales. Aujourd’hui, les outils très précis des PLUi, conçus pour les milieux urbains, sont mal adaptés aux territoires ruraux ou de montagne, où le choix de parcelles à urbaniser peut-être arbitraire et coûteux en révisions. Nous proposons des zonages plus souples pour les zones rurales, comme les cartes communales, et un règlement allégé. Par ailleurs, nous préconisons la réforme du règlement national d’urbanisme (RNU) qui est un appel d’air en territoire rural, où il est parfois plus « intéressant » – car permet plus de souplesse – d’être au RNU que de faire un PLU. Le RNU devrait donc supprimer la possibilité d’extension limitée.

Les élus ont l’impression de passer leur temps à planifier. Il faut redonner de l’efficacité et de l’efficience aux politiques publiques, en remettant le projet de territoire global au cœur, avec des déclinaisons cohérentes.

À l’échelle régionale, nous voulons renforcer les SRADDET en schémas d’aménagement régional (SAR) plus ambitieux, avec une carte d’orientation des sols. Pour les SCoT, nous proposons des plans d’aménagement et de contractualisation territoriale (PACTE) à des échelles élargies, basées sur des bassins d’emploi ou hydrographiques, pour traiter uniquement des enjeux interétablissements publics de coopération intercommunale (inter-EPCI) comme la trame verte et bleue ou les grandes mobilités. On pourrait même y instituer des servitudes environnementales. L’objectif est de passer de vingt-cinq documents à trois documents cadres par strate.

Y a-t-il déjà des exemples de collectivités engagées dans ce type de simplification ?

Certaines ont tenté des démarches avec « trois ou quatre plans ». Lannion-Trégor Communauté – cité plus haut – a lancé en parallèle son PLUi, son PLH et son PCAET, en payant une assistance à maîtrise d’ouvrage pour s’assurer que les prestataires dialoguent. Vienne Condrieux Agglomération a également essayé de mieux articuler le PLUi avec le PLH et le PDU. Cela montre la difficulté pour les collectivités. Aujourd’hui, on a un chargé de mission PLUi, un chargé de mission PLH, c’est une organisation en silo. Il faut recréer de la transversalité.

Cela a des implications organisationnelles : si nous faisons cela, il faudra une direction de la stratégie ou du projet de territoire pour assurer la coordination des services en mode projet. Et des implications avec l’État. Actuellement, l’État joue un rôle de contrôle de légalité, perçu parfois comme un « censeur ». Demain, avec le volet contractualisation que nous proposons, l’État pourrait être un « partenaire stratégique ». Si un projet de territoire n’est pas « vertueux » ou ne répond pas pleinement aux priorités de l’État (sobriété foncière, adaptation climatique), l’État pourrait refuser de financer certains programmes. Inversement, les projets très vertueux pourraient bénéficier d’un abondement. L’État passerait d’une posture de rappel à la loi à celle d’accompagnateur.

Quels seraient les gains de cette réforme ?

Nous avons fait une estimation rapide : avec notre recommandation, nous estimons diviser par sept le temps nécessaire. Cela représente aussi un gain d’environ 33 % du coût de conseil externalisé pour les collectivités, soit un demi-milliard. À l’heure où tout le monde cherche à faire des économies, celle-ci serait moins impactante que d’autres pour les citoyens.

  1. Le groupe Citadia accompagne et conseille les collectivités et acteurs privés de l’urbanisme à tous les temps forts d’un projet : de la prospective à la maîtrise d’œuvre urbaine.
  2. L. no 2024-1039, 19 nov. 2024, visant à renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l’échelle locale, dite « loi Lemeur ».
  3. PLUi-H arrêté le 24 juin 2025.
  4. Cour des comptes, Le recours par les collectivités locales aux prestations intellectuelles des cabinets de conseil, rapp., 10 juin 2025.
  5. L. no 2021-1104, 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.
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