Revue
DossierMesurer la maturité de son organisation avant de se lancer dans une mission
L’approche mission a le vent en poupe et donne un sentiment d’effet de mode. Mais derrière l’enthousiasme, une question essentielle demeure : toutes les organisations sont-elles prêtes à porter une mission ?
Autrement dit, disposent-elles de la maturité nécessaire pour dépasser l’affichage politique et traduire une mission en transformation réelle ? C’est précisément l’objet du cadre analytique développé par l’agence britannique Nesta et le Better Government Lab de l’université de Georgetown : proposer une grille de maturité qui permet d’évaluer la préparation organisationnelle à une démarche mission et d’éviter le « mission-washing ».
Un diagnostic orienté mission pour son organisation
Courant juin 2025, Nesta a publié On Mission, un rapport et un outil d’auto-évaluation à destination des gouvernements et administrations1. L’idée est simple : si les missions définissent « quoi » viser, encore faut-il que l’organisation sache « comment » se structurer pour atteindre cet horizon.
Nesta distingue deux niveaux :
- les missions organisationnelles : une organisation – un ministère, une collectivité, une agence – se fixe une finalité claire (« réduire la précarité énergétique des habitants », par exemple) ;
- les grandes missions sociétales : ce sont des défis plus larges qui dépassent une organisation unique, et exigent coordination, gouvernance multi-acteurs et transformation systémique (« neutralité carbone en 2050 », par exemple).
La grille d’analyse repose sur un axe processuel et un axe sur l’ambition des résultats attendus. En la déployant, les auteurs identifient quatre cas :
- l’approche mission : l’organisation dispose des capacités techniques pour mener un changement systémique, et ses agents le font de la bonne manière ;
- l’ambition mission : la culture et les comportements sont présents, mais il manque une maturité technique. Les progrès peuvent être hasardeux, fragiles et dépendant d’individualités clés ;
- l’imitation mission : l’organisation dispose de très bon processus, mais il n’y a pas de soutien humain. Les principaux risques sont le cynisme et les simples effets d’annonce ;
- le « mission-washing » : l’organisation n’est pas du tout prête et l’affichage d’une mission est contre-productif. Les principaux risques sont le cynisme et une très mauvaise gestion des attentes ainsi créées.
Les 6 domaines clés de maturité
Six leviers interdépendants permettent d’évaluer la maturité de l’organisation. Chacun peut être observé à travers des pratiques, l’existence de processus formalisés et les résultats mesurables déjà obtenus. Une grille avec une échelle de 1 à 4 permet une auto-évaluation rapide.
1. Leadership
Le rôle des dirigeants est central : ils doivent porter une vision claire, la communiquer et l’incarner. Plus encore, ils doivent créer un climat de confiance qui autorise l’expérimentation.
- Indicateurs : discours cohérent, lieu de débats internes réguliers, feedback ascendant, leaders identifiés comme « alliés » par les équipes.
- Risque : le mission-washing, quand le vocabulaire des missions est mobilisé sans cohérence stratégique.
2. Participants
Une mission n’existe que si les agents s’y reconnaissent. Il s’agit de relier les tâches quotidiennes à un but commun (connexion), de donner des marges d’initiative (autonomie) et de favoriser l’expertise (compétences).
- Indicateurs : formations transversales, mentorat, reconnaissance des contributions, espaces d’innovation interne.
- Risque : l’épuisement ou la déconnexion si la mission est perçue comme une injonction supplémentaire.
3. Les politiques de ressources humaines (RH)
Les règles RH (recrutement, évaluation, mobilité, rémunération) doivent refléter la mission. Sans alignement des politiques de gestion, la mission reste purement symbolique.
- Indicateurs : critères de recrutement liés aux valeurs, valorisation de l’investissement par la rémunération ou la promotion, dispositifs de progression personnel et professionnel intégrant l’impact de la mission.
- Risque : contradictions entre les exigences de conformité et la nécessité d’innovation.
4. Les structures organisationnelles
La mission nécessite un décloisonnement des silos. Cela implique des équipes transversales, des structures plus horizontales, et une articulation claire des responsabilités.
- Indicateurs : projets interservices, délégation de responsabilités, fonctions de soutien intégrées.
- Risque : confusion ou surcharge managériale si la réorganisation n’est pas accompagnée.
5. Les tâches et leur attribution
La manière dont les tâches sont définies, attribuées et priorisées reflète la maturité de la mission.
- Indicateurs : fiches de poste intégrant l’impact attendu, autonomie de priorisation, dispositifs de suivi qualitatif.
- Risque : la routine et les métriques chiffrées peuvent effacer le sens collectif.
6. Données et outils
La mission doit se piloter avec des données adaptées : pas seulement des indicateurs financiers, mais aussi des mesures d’impact sociétal et des boucles d’apprentissage.
- Indicateurs : tableaux de bord orientés mission, usage d’indicateurs mixtes (quantitatifs + qualitatifs), évaluation régulière.
- Risque : excès de reporting ou métriques mal conçues.
Une auto-évaluation à porter avec les parties prenantes
S’engager dans une mission implique de vouloir modifier tout son écosystème. Cela implique de travailler avec des objectifs d’une incroyable complexité. Aucun acteur isolément n’est en mesure d’y répondre. Dès lors, c’est au niveau du système qu’il faut porter son action et son organisation. Nesta propose ainsi que le passage à une grande mission intègre de nouveaux facteurs :
- la gouvernance multi-niveaux : comment articuler État, collectivités, agences, partenaires privés, université et société civile ?
- les mécanismes budgétaires : comment orienter la dépense publique vers les objectifs de mission sans retomber dans un fonctionnement par silo, et en adaptant la commande publique aux besoins de l’expérimentation ?
- la coordination interorganisationnelle : comment partager les données, les méthodes et les responsabilités entre des organisations n’ayant pas la même culture ni la même finalité (ie but lucratif/non lucratif, action et mise en application/recherche et développement) ?
Concrètement, pour une organisation, cela oblige à se considérer comme un chef d’orchestre, et de trouver comment fluidifier la communication et les échanges entre les différents acteurs, plutôt que de leur dire quoi faire. Aussi, une collectivité qui souhaiterait se lancer dans une mission gagnerait à débuter par un diagnostic participatif de la maturité de son organisation et de son écosystème, impliquant toutes les parties prenantes.
Ce diagnostic peut ensuite nourrir un plan de transformation interne (formation des managers, adaptation des politiques RH, création de données d’impact) avant de se lancer dans une grande mission.
La clé de réussite des missions : apprendre
La tentation est grande d’embrasser le vocabulaire des missions. Mais, comme le rappelle Nesta, une mission n’est pas un slogan : c’est un mode d’organisation, qui exige alignement, cohérence et apprentissage continu. La maturité organisationnelle apparaît comme la condition de réussite. Elle ne se résume pas à la volonté politique : elle s’incarne dans les structures, les pratiques RH, les données, les outils, la culture quotidienne.
Cependant, les exemples présents dans ce dossier montrent que l’apprentissage se fait par le faire, et que lorsque la volonté est claire et portée à tous les niveaux, les acteurs s’alignent et apprennent. Si, après une première phase exploratoire, le cycle de vie des missions arrive à la phase de structuration, cela ne doit pas avoir un effet de frein. C’est en faisant que l’on apprend et que se crée la motivation. Davantage qu’une grille pour savoir si une collectivité est prête ou non, il s’agit davantage de prendre conscience de ses forces et faiblesses, opportunités et menaces, afin de mieux moduler son action et ses ambitions. Le lancement d’une mission est toujours une prise de risque. Il s’agit de gérer ce dernier, non de l’éviter. L’échec est aussi une source d’apprentissage, nécessaire à la réussite !
Êtes-vous prêts à mettre en place une mission ?
Voici une petite checklist simplifiée par rapport à celle de Nesta. Faites-le test pour estimer rapidement la maturité institutionnelle de votre organisation !
Comment utiliser cette grille d’auto-évaluation ?
« Oui » vaut 4 points ; « Plutôt oui » 3 points ; « Plutôt non » 2 points ; « Non » 1 point.
- Plus de 54 points : l’organisation présente une forte maturité, les conditions sont réunies pour porter une mission.
- Entre 36 et 54 points : attention, certaines briques manquent ; il est préférable de consolider les points faibles avant de lancer une mission ambitieuse.
- Moins de 36 points : l’organisation risque de tomber dans le mission-washing ; un travail de transformation interne préalable est recommandé.
- Honig D., Dissanayake V. et Plunkett J., On Mission. A Maturity Framework for Assessing Organisational Readiness for Mission-Driven Working, 17 juill. 2025, Nesta.
