Revue
DossierMission santé ! L’exemple néerlandais de Health~Holland
Depuis 2017, les Pays-Bas testent une manière inédite de transformer leur système de santé : Health~Holland. Une mission nationale claire, cinq missions secondaires mesurables, des partenariats publics-privés au niveau national et des labs territoriaux pour expérimenter au plus près des habitants. À la clé : déplacer des soins « au bon endroit », faire de la prévention un réflexe de quartier et impliquer les habitants dès le départ. Voici comment ça fonctionne vraiment, ce que cela change et ce que l’exemple de la ville de Deventer nous apprend avec l’expérimentation « Le bonheur dans le quartier » (Buurtgeluk).
L’innovation pour la santé
Fin 2010, les élections au Parlement des Pays-Bas entraînent une négociation pour constituer un contrat de gouvernance. Celui-ci comprend une stratégie de recherche et développement Naar de top (« Vers le sommet »), mise en œuvre par le ministère des Affaires économiques. L’objectif est de modifier le financement de l’innovation pour permettre aux entreprises néerlandaises d’accéder aux marchés mondiaux. Cette stratégie fut amendée, en 2017, lors du contrat de gouvernance suivant : les neuf secteurs prioritaires sont réorganisés afin de répondre à une logique de mission, portée par Mariana Mazzucato auprès de l’Union européenne. Quatre grands défis sociétaux sont poursuivis (en lien avec les objectifs de développement durable – ODD) :
- la transition écologique et énergétique ;
 - l’agriculture, l’alimentation et la gestion de l’eau ;
 - la sécurité ;
 - la santé et les soins.
 
Le pilotage est alors assuré non plus directement par le ministère des Affaires économiques, mais par les ministères métiers. Ainsi, le secteur prioritaire Health~Holland est créé par le ministère de la Santé publique, du Bien-être et des Sports (Ministerie van Volksgezondheid, Welzijn en Sport : VWS). Cependant, les équipes ne sont pas formées ni expertes sur le sujet. De plus, il n’existe pas encore d’expériences structurantes sur l’approche mission. Chacun tâtonne alors pour constituer sa méthodologie, avec ses spécificités et ses convictions.
Le ministère de la Santé a demandé à Nico Van Meeteren, son directeur scientifique, de concevoir la mission, le 18 décembre 2018. Ce dernier a mené une consultation large de l’ensemble du ministère et de ses partenaires directs (des agences et d’autres ministères), laquelle a permis d’identifier jusqu’à 25 propositions de mission. Celles-ci furent ensuite raffinées avec le cabinet du ministre, avant d’être enfin politiquement validées le 26 avril 2019 en une mission centrale, déclinée en quatre, puis cinq missions secondaires.
D’ici 2040, tous les citoyens néerlandais vivront au moins cinq ans de plus en bonne santé, tandis que les inégalités de santé entre les groupes socio-économiques les plus élevés et les plus bas auront diminué de 30 %.
D’ici 2040, tous les citoyens néerlandais vivront au moins cinq ans de plus en bonne santé, tandis que les inégalités de santé entre les groupes socio-économiques les plus élevés et les plus bas auront diminué de 30 %. Pour ce faire :
- mode de vie et environnement de vie : d’ici 2040, diminuer de 30 % l’impact négatif d’un environnement et d’un mode de vie malsain ;
 - des soins au bon endroit : d’ici 2030, augmenter de 50 % par rapport à aujourd’hui les soins délivrés et organisés dans l’environnement de vie du patient plutôt que dans des établissements de soins, en coopération avec le réseau de proximité ;
 - les personnes atteintes de maladies chroniques : d’ici 2030, augmenter de 25 % la proportion de personnes atteintes d’une maladie chronique ou d’un handicap permanent pouvant participer à la vie de la société, selon leurs souhaits et leurs capacités ;
 - personnes atteintes de démence : d’ici 2030, améliorer de 25 % la qualité de vie des personnes atteintes de démence ;
 - prévention des risques sanitaires (depuis 2024) : en 2035 la population est mieux protégée contre les menaces sanitaires socialement perturbatrices.
 
Le système de santé néerlandais
Le système de santé des Pays-Bas est caractérisé par un fonctionnement réputé robuste, offrant des soins abordables pour ses administrés, et, depuis 2006, avec une assurance maladie universelle. Sa gouvernance est partagée entre le Gouvernement, les collectivités territoriales, les organisations professionnelles et les assureurs maladie. En pratique, le Gouvernement n’a conservé qu’un rôle de superviseur et de facilitateur des marchés de la santé ; les municipalités ont pris un rôle croissant dans la politique de soins et des services sociaux. Les différents assureurs, quant à eux, se sont engagés dans une concurrence active avec les assurances complémentaires volontaires. Cependant, le bilan de ce système est marqué par de fortes disparités en espérance de vie en bonne santé, selon les groupes socio-économiques (jusqu’à quinze ans) et du fait du tissu social (une grande part de l’économie des soins est assurée par des parents ou des amis, de manière informelle).
Le GROZzerdammen, des living labs
spécialisés dans la santé
Des labs territoriaux (GROZzerdammen – GROZ est l’anagramme de « zorg », qui signifie « soin ») ont été créés, sur le modèle de living labs, avec une vocation d’être le plus proche du terrain possible (d’où leur qualification de « field labs »). Actuellement, neuf labs territoriaux se sont organisés autour des collectivités territoriales, des universités et des pôles de recherche, avec les organisations professionnelles d’assurance maladie, les institutions de soins, les employeurs, les entrepreneurs et, bien sûr, les citoyens. Chaque lab privilégie son environnement direct, à l’échelon local. Il travaille en restructurant la chaîne de soin et de prévention, en expérimentant des innovations sociales et technologiques dans des environnements de vie réels, que ce soit en zone rurale ou urbaine.
Caractéristiques/critères de création d’un lab territorial GROZ :
- l’objectif du lab est celui d’Healh~Holland ;
 - le lab s’appuie sur un collectif d’habitants, qui y participent activement, selon un principe d’égalité entre tous les habitants ;
 - des coopérations innovantes entre acteurs, notamment avec les habitants et leurs collectifs, doivent préexister ;
 - au moins un acteur du système de santé est prêt à diriger ce lab territorial. Il doit être pertinent et suffisamment solide pour en assurer la charge ;
 - les acteurs sont prêts à subordonner leurs intérêts particuliers aux besoins des habitants ;
 - l’échelle minimale d’un GROZ est de 100 000 habitants.
 
Un lab territorial doit préciser cinq éléments de base, qui fondent un partenariat réussi :
- son financement : dans quelle mesure la structure de financement actuelle facilite-t-elle la réalisation des missions ?
 - ses outils de suivi : quels indicateurs sont utilisés pour évaluer les progrès des missions et où des ajustements doivent être effectués ?
 - la collaboration : comment le partenariat s’avère-t-il inclusif et en même temps complémentaire ?
 - les données : comment les données sont-elles partagées en toute sécurité au sein du territoire ?
 - la capacité d’apprentissage : quelle communauté d’apprentissage, permettant la recherche et l’expérimentation en co-construction ?
 
Le directeur scientifique, Nico Van Meeteren, défend alors une vision novatrice : un changement sociétal ne peut intervenir que par un travail collectif de tous les acteurs de la société. Il propose que toute la gouvernance de la mission se construise avec la métaphore d’une quadruple hélice ; le Gouvernement, les entrepreneurs, les chercheurs et surtout les citoyens doivent coordonner et coconstruire une démarche interactive et plus horizontale. De nouvelles consultations, élargies (97 représentants, dont 9 pour les citoyens et les patients, 23 industriels, 45 universitaires et 7 régions), ont alors été menées, en mai-juin 2019, pour questionner la stratégie et la manière de gérer les investissements publics.
« Le Gouvernement veut toujours parler que de la montée en échelle. Mais ça ne fonctionne pas comme ça », précise Hilbrand Jacob.
Après validation parlementaire et lancement le 1er janvier 2020, la mission Health~Holland peut enfin se déployer autour de deux grands mécanismes : des partenariats publics-privés (PPP) et des labs locaux (voir encadré sur les GROZzerdammen).
Des résultats concrets
34 partenariats et projets opérationnels ont été financés de manière pluriannuelle, en axant sur des collaborations programmatiques et thématiques nationales. Ces PPP rassemblent la diversité des acteurs (public, privé, universitaire et citoyens) autour d’un défi spécifique clairement identifié. Chaque PPP est ensuite « libre » de répondre à ce défi et de mobiliser le financement de la manière qui lui semble pertinente. Les GROZzerdammen ont eu un succès plus contrasté. Ainsi, celui qui a le mieux réussi, celui de Deventer, est le seul à ne pas bénéficier de financement de la part d’Health~Holland. En pratique, le principal apport des lab territoriaux a été de mettre autour de la table des acteurs qui ne se parlaient pas, d’installer des routines d’apprentissage, etc., et parfois de révéler, comme le cas exemplaire de Deventer, que les pratiques classiques de gestion administrative sont inadaptées !
Le PPP le plus marquant est TanteLouise : une maison de soins pour personnes atteintes de démence. TanteLouise réunit les différents acteurs (citoyens, entreprises, représentant de la collectivité territoriale) pour qu’ils décident collectivement de l’organisation des soins de santé pour les personnes atteintes de démence. À partir des aspirations des acteurs, notamment des patients et de leurs proches (par exemple, avoir une vie pleine de sens, diminuant considérablement la frustration liée à la démence), un processus de co-construction s’engage pour trouver des solutions opérationnelles engageant toute la communauté.
GROZUtrecht développe des activités de solidarité entre voisins (un peu à l’image de ce qui a pu se faire spontanément dans des immeubles lors du covid en France, par exemple, avec des volontaires pour faire des courses pour les plus fragiles, des nettoyages collectifs des parties communes, etc.) en déployant des portails numériques de quartier, qui montrent toutes les applications numériques existant dans le quartier. Du fait d’une importante participation des habitants au GROZzerdammen, des emplois de quartier sont en cours d’étude afin de renforcer la cohésion sociale et la médiation numérique. Un assureur santé travaille sur un budget de prévention individuel qui pourrait être déployé.
Enfin, une boîte à outils des missions Health~Holland assure la capitalisation des expériences et permet d’illustrer les idées innovantes. Cela favorise l’émulation et l’adaptation de chaque solution à un nouveau terrain d’exercice. L’objectif est que, dans les vingt prochaines années, tous les problèmes qui apparaîtront y trouvent une solution (au moins un commencement). Ainsi, le projet Ontwikkelplek van de Toekomst (« Le lieu de construction du futur ») développe ce que les écoles devraient être à l’avenir, quel projet d’éducation, afin de réduire les inégalités de santé : au-delà du bâtiment scolaire, c’est tout l’écosystème environnant qui doit être repensé, en inscrivant l’éducation dans la communauté et favorisant les interactions avec les acteurs locaux, tout en se concentrant davantage sur le développement des talents, des compétences et des centres d’intérêts des enfants.
Durant la première occurrence de quatre années, 1,06 milliard ont été investis dans Health~Holland, dont près de la moitié (525 millions) par du financement privé. La méthodologie s’est construite « chemin faisant » : tous les acteurs ont appris durant la réalisation. Il fallait réussir à briser des silos, qui ont largement perduré. Surtout, l’insertion des citoyens dans l’approche à quadruple hélice a été plébiscitée. Elle a néanmoins exigé un profond renversement des pratiques et, surtout, une acculturation réciproque. En remettant les habitants au centre de la discussion, la mission oblige les différents acteurs à rendre interdépendants leurs divers intérêts. C’est l’aspect crucial pour le succès d’une mission, ce qui illustre le rôle fondamental des GROZzerdammen.
Aujourd’hui, pour l’initiative Buurtgeluk, il est difficile d’atteindre l’étape suivante.
L’exemple inédit de Deventer
Le GROZzerdammen qui a le mieux réussi est, étrangement, celui qui ne rentrait pas dans les cases et qui a refusé de fonctionner avec l’argent public ! L’histoire commence dix années plus tôt, en 2012, à Deventer. La nouvelle dirigeante du club de foot SV Helios, Grace Brok, est en charge de préparer le premier centenaire de l’équipe de football, pour 2017. Son premier constat est que le club dispose de grandes infrastructures, déjà amorties, qui ne sont utilisées que le soir et le week-end par les joueurs de football. De plus, si l’activité de cohésion est le sport, cette dernière repose surtout sur un fort tissu social : le club fonctionne grâce à des passionnés volontaires. Elle prend le temps d’identifier qui sont les membres, ce qu’ils font en dehors du club. Elle se demande aussi ce que feront ces personnes lorsqu’elles seront plus âgées. Parallèlement, le Gouvernement opère un changement : il annonce ne plus vouloir distribuer des subventions sans contrepartie ; il s’agit d’un investissement dont le retour doit bénéficier au voisinage. Cette idée interpelle Grace Brok, mais l’administration est trop lente pour répondre à ses idées entrepreneuriales ; ils veulent bien comprendre tous les enjeux, là où elle souhaite agir pour poursuivre une intuition : « Je n’ai pas envie de perdre mon temps pour l’administratif. Je préfère mettre mon énergie à réaliser, à faire partie du tout qui se crée ». L’administration infléchit sa position et autorise l’usage de l’argent public, mais seulement sur le volet sportif. Cela permet au SV Helios d’expérimenter : « Buurtgeluk » (littéralement « Le bonheur dans le quartier ») est né ! À côté de l’activité sportive, ils peuvent proposer de préparer des repas, de s’occuper des enfants, de servir de structure d’accueil le jour, etc., mais il leur manque la force de travail.
Grace Brok va alors s’adresser à l’ensemble de l’écosystème local. À la différence de l’administration territoriale, elle arrive à toucher des personnes qui sont souvent hors des radars.
La technique de Grace Broke repose avant tout sur l’écoute. Tous les mercredis matin, elle réunit ses partenaires pour discuter et voir ce qu’ils peuvent apprendre les uns des autres. « Il existe plein de lieux comme le nôtre », mais s’il fonctionne aussi bien, c’est parce qu’elle a une lecture systémique : « Le puzzle est bien plus grand. Il est important d’en prendre conscience et de ne pas agir que sur des petites pièces. » L’initiative Buurtgeluk bénéficie de l’aide du consultant en procédure et en systémique, Hilbrand Jacob : « C’est une maison commune : l’organisation autour partage sa vision. » Ici, ils ne cherchent pas à inventer quelque chose de nouveau : l’économie circulaire existait déjà avant. Cependant, ils commencent par agir, ils s’écoutent les uns les autres, et trouvent comment faire de leur mieux : « Tout le monde se sent important ici. »
Grace Brok va alors s’adresser à l’ensemble de l’écosystème local. À la différence de l’administration territoriale, elle arrive à toucher des personnes qui sont souvent hors des radars. Des personnes qui avaient du temps libre commencent alors à venir aider. Un premier partenariat est créé avec la maison de retraite Solis. Une de ses principales préoccupations est que les personnes âgées ont des problèmes de mobilité, se blessent en chutant et développent des phases de démence. Pour convaincre les retraités de venir, Grace Broke et Solis recourent à des diagnostics médicaux : les personnes âgées écoutent les médecins qui leur prescrivent des activités sportives (comme le sport sur ordonnance et le dispositif sport-santé). Plutôt que d’aller à l’hôpital, un peu loin et plus froid, SV Helios, au cœur de la ville de Deventer, est plus accueillant et accessible. En plus, tout le monde connaît le club de foot, qui dispose d’une bonne ambiance. S’y rendre, c’est s’inscrire dans la communauté locale. Peu après, Grace Broke propose aux immigrants de participer aux activités de Buurtgeluk. Ces derniers ont très envie d’apprendre le néerlandais mais ont du mal à le pratiquer, ce qui leur crée un sentiment d’exclusion. Ils fournissent ainsi une main-d’œuvre très volontaire tout en se créant une nouvelle expérience dans la communauté néerlandaise. Chaque personne qui assure une activité a droit à pratiquer gratuitement le sport à SV Helios. Grace Broke ne s’arrête pas en si bon chemin et va démarcher les écoles, pour leur proposer de venir y pratiquer du sport, mais aussi les nurseries ou les travailleurs sociaux… et les industries locales ! Ces dernières vont apporter de l’argent en contrepartie d’activités physiques pour leurs employés, l’organisation de rencontres sportives ou d’autres actions de team-building. D’un club de football, SV Helios est devenu un centre multisport, avec des terrains de beach-volley, des activités de remise en forme, ainsi qu’une cuisine centrale pour fournir des repas conçus par des nutritionnistes et à bas prix, par exemple. Le club a créé de nouvelles fonctionnalités répondant aux besoins du voisinage.
Le cœur de la quadrule hélice : le feedback
Le lien avec la recherche a été plus tortueux. Au début, ça a été un échec total avec l’université de sciences appliquées de Saxion. Ces deux mondes ne se comprenaient pas. Néanmoins, de plus en plus d’étudiants participaient aux activités de Buurtgeluk. Ils pouvaient mettre en pratique leurs enseignements théoriques. En participant à la communauté, ils pouvaient parler à des gens, et créer des panels et des cohortes inédits, desquels ils pouvaient apprendre. Ils ont commencé à collecter de la donnée. « Ce que vous avez à faire n’est pas ce qui est nécessaire », dénonce Grace Broke. Répondre à un appel d’offres est contraignant et ne permet pas de répondre à la réalité du terrain. Elle demande alors si elle peut avoir la charge de l’écriture de l’appel plutôt que d’y répondre. Toute la procédure de soumission est réécrite. Ce changement de méthode fait partir certains partenaires classiques, dont une grande compagnie de santé. Les quatre univers de la quadruple hélice commencent enfin à discuter ensemble, à se comprendre. Ce sont toujours des mondes distincts, mais certains ont réussi à devenir plus que de simples collègues. Un ouvrage retour d’expérience sur ce cas est en cours de publication, coécrit avec la professeure en innovation de la santé Harmieke Van Os-Medendorp.
Du sensible, pas du chiffre
Pour accompagner les participants à Buurtgeluk, une application est née. Son objectif est de permettre à chacun de suivre l’amélioration de ses conditions de vie. Au début de sa conception, l’équipe s’est posé des questions en apparence simple mais porteuse de sens : qu’est-ce que vous trouvez important ? Qu’est-ce que vous souhaitez inscrire dans l’application ? L’idée qui en est ressortie est que l’application permet de savoir à quel point vous n’alliez pas bien avant de participer à Buurtgeluk, et à quel point tout va mieux maintenant ! L’usage de l’application n’est que pour les choses positives. Le contenu est purement personnel et n’a pas une vocation d’usage en big data. Ce qui compte est d’accompagner les participants et non de les surveiller. Ainsi, chacun répond aux questions avec son propre mode d’expression : à la question, « est-ce que vous vous sentez mieux ? », il est possible de répondre avec une vidéo, une musique, etc. Ce qui est important est ce que cela signifie pour vous.
Cette démarche sur la question sensible est au cœur de l’expérimentation. C’est d’ailleurs avec ce moyen que le Deventer GROZzerdammen répond aux sollicitations du Gouvernement. Plutôt que de rédiger un rapport désincarné, ils publient des photos, des vidéos, des entretiens, etc. En somme, c’est toute une démarche design fondée sur l’émotion qui répond et enrichit l’administration wéberienne plus axée sur le légal-rationnel.
Les difficultés ont été similaires pour créer le GROZzerdammen. L’appel national a été fastidieux. La commande évoluait au fur et à mesure, avec de nouvelles règles qui s’ajoutaient à chaque étape. Il existait un autre projet à Deventer, avec l’université de Saxion et des entreprises, avec lequel il fallait composer. Ce dernier a finalement été abandonné. Les critères, à l’origine, étaient transposés de ceux du ministère des Affaires économiques, lesquels ne correspondaient pas au travail quotidien sur le terrain de Buurtgeluk. « Après sept à huit mois d’errance, nous sommes devenus le Deventer GROZzerdammen. Ça ne fonctionnait pas, mais Health~Holland avait besoin de cette expérience », se souvient Hilbrand Jacob, consultant en processus et systémique, qui a assuré la chefferie du projet. « Nous n’avons pas répondu à leurs critères et nous n’avons pas bénéficié de leur argent. En revanche, nous avons pu être intégrés à la communauté apprenante, ce qui était le plus important. » Cependant, cette dernière ne fonctionnait pas. L’administration d’Health~Holland ne savait pas l’animer. « Le Gouvernement veut toujours parler que de la montée en échelle. Mais ça ne fonctionne pas comme ça », précise Hilbrand Jacob. La finalité n’est pas de grossir, mais plutôt d’aider d’autres expérimentations à réussir en apprenant les unes des autres. L’important est d’avoir un feedback. Hilbrand Jacob a donc répondu à cette lacune : pour chaque problème soulevé sur le terrain, il fallait un interlocuteur de niveau ministériel. Grâce à ses contacts, il a lui-même organisé ces réunions. La plus grande a ainsi eu lieu à Deventer. Cas révélateur : une personne atteinte de maladie mentale devait témoigner. Cependant, le programme prenait du retard, et les organisateurs souhaitaient privilégier les intervenants de haut niveau. « J’étais en colère. Je leur ai dit, si c’est comme ça, nous partons », se souvient Grace Broke. Les organisateurs ont compris qu’ils traitaient le problème sous le mauvais angle et que Buurtgeluk avait la bonne approche. « Si nous voulons vraiment impulser un mouvement, il faut que tout le monde s’écoute. »
Aujourd’hui, pour l’initiative Buurtgeluk, il est difficile d’atteindre l’étape suivante. Bien qu’elles améliorent les conditions de vie, et, par voie de conséquence, qu’elles impactent la santé publique, les activités de SV Helios ne sont pas toujours labellisées sport ou santé : « Nous agissons dans la zone grise entre la vie normale qui n’a aucun financement et la santé qui est subventionnée », déplore Grace Broke.
Qu’est-ce qui est essentiel dans le soin ? Que faisons-nous ? Chaque action peut avoir un impact négatif pour d’autres personnes. Ce qu’il faut trouver, c’est comment faire pour que tout le monde en profite.
L’enjeu aujourd’hui est d’identifier les objets-frontières, ces interfaces entre les différents mondes sociaux, ainsi que les limitations liées à ces frontières entre systèmes, selon Hilbrand Jacob : « Qu’est-ce qui est essentiel dans le soin ? Que faisons-nous ? Chaque action peut avoir un impact négatif pour d’autres personnes. Ce qu’il faut trouver, c’est comment faire pour que tout le monde en profite, en fin de compte. » Dans cette aventure, chacun explique qu’il a agi parce que cela devait être fait, et que la personne publique n’était pas capable d’y répondre elle-même. C’est peut-être là l’esprit même d’une mission.