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Actualités"Pour marcher sur l’eau, quoi de mieux qu’un bateau ?"
Dans la plus grande discrétion, l'Odyssée et un groupe d'élèves de l'école ETRE Paris ont construit pendant six semaines un bateau à voile dans l'atelier menuiserie de Césure. Baptisé Aquila, il naviguera sur les eaux franciliennes cet été dans le cadre d'un projet mêlant culture, insertion et environnement, sur fond de réappropriation des espaces fluviaux.
Il trône dans la cour, posé sur des trépieds. Autour de lui une trentaine de visages ravis sourient pour les photographes. Les profanes diraient que c’est un petit bateau. Les connaisseurs parleraient sans doute de catboat, avec une coque en contreplaqué stratifié. Ses constructeurs, eux, l’appellent simplement Aquila. Bientôt, il naviguera sur le canal de l’Ourcq ou sur la Seine. Pourtant, cinq semaines plus tôt, ce n’est qu’une série de planches prédécoupées qui a été livré à Césure. Entre-temps, dans l’atelier de ce tiers-lieu parisien dédié à la transmission des savoirs et des savoirs-faire, la magie de L’Odyssée a opéré.
Cette magie, c’est cinq semaines de chantier naval au cours desquelles un groupe d’élèves de l’école ÊTRE Paris ont construit un véritable bateau à voile. Encadrés par un charpentier expérimenté, ils ont pu aborder l’ensemble des techniques de la construction navale et faire naître peu à peu un dériveur en contreplaqué de 3,30 mètres de long, la Pram’, qui, après l’inauguration de ce soir, ira rejoindre la flotte de L’Odyssée.
Culture, politique, insertion et environnement
À l’origine du projet, il y a d’abord le plaisir de “partager une passion pour les voies d’eau”, bien sûr, “de faire découvrir les gens qui y travaillent, ceux qui les font vivre, et de vivre ensemble des expériences uniques”. Mais il y a aussi, plus profondément, “l’envie de changer les regards, d’imaginer ensemble et de dessiner les contours de la ville de demain qui se transforme sur et au bord de l’eau”. Bref, de réfléchir collectivement à un usage des voies fluviales qui ne soient pas réservé au transport de marchandises ou de touristes.
Alors, depuis 2020, L’Odyssée organise chaque année des moments festifs, accueillant, ambitieux, créatifs, populaires, avec l’idée “d’envahir la Seine et les canaux”. “On a voulu permettre aux gens de se réapproprier les voies d’eau, qui sont avant-tout des espaces publics. Et pour marcher sur l’eau, quoi de mieux qu’un bateau ?” C’est pour répondre à cette ambition que la Pram’ est née. Imaginée par l'architecte naval Youri Guedj, elle est destinée à la randonnée nautique et à la régate monotype solitaire, et permet d’arpenter les petites mers et les voies d'eau intérieures. “On s’est aperçu que la voile de plaisance n’a pas commencé sur les côtes, mais dans les années 1940 en Île-de-France, raconte l’architecte. On s’est inspiré de cette tradition pour dessiner ce bateau. On a pensé quelque chose qui puisse se construire n’importe où à Paris, sachant qu’on parle souvent de lieux avec peu d’espace.” Accessible à la construction amateure, il se construit en collectif dans des chantiers navals improvisés.
Car L’Odyssée n’est pas qu’un événement culturel sur les eaux parisiennes. C’est aussi un projet avec une forte dimension sociale, porté par des idées de transmission, d’inclusion et d’insertion. C’est pourquoi les bateaux ne sont pas construits à la chaîne par des professionnels expérimentés, mais sur des chantiers navals mis en place avec des structures partenaires. Le premier bateau, Alexandra I, a par exemple été construit par les résidents et les salariés de l’Armée du Salut, au sein de la Cité de refuge, dans le 13e arrondissement. Associations, centres culturels et sociaux, collectivités publiques… “Un chantier, c’est un défi, une aventure humaine et un fabuleux moyen de réunir des gens d’horizons et de cultures différentes.”
Des partenariats avec des associations, des écoles ou des collectivités
Ce jour-là, dans la cour de Césure, c’est donc Anna, Clément, Lucie, Antoine, Louis, Paul, Flavie, John, Fatoumata, Adrien et Céléna qui présentent fièrement le dernier-né de la flotte de L’Odyssée. Encadrés par David Auboué, menuisier spécialisé dans la construction de bateau, et de Gilbert Mazout, préposé à la création graphique et à la décoration de la coque et de la voile, ces élèves de la formation professionnelle "Métiers du bois" de l’École de la Transition Écologique de Paris partagent leur expérience. “Le principe de ce bateau, c’est que la construction se faisait sans vis, avec des méthodes traditionnelles, explique Adrien. On a utilisé des joints, du cousu-collé. On a beaucoup poncé, résiné le bois.” Louis, d’une voix timide dont le public aimerait qu’il augmente le volume, ajoute que le design a été “pensé collectivement”. En attestent les dessins colorés épinglés tout autour. “On a fait beaucoup de tests, et on a élu celui qu’on préférait. Ensuite, on a travaillé à la peinture, avec une technique graffiti au spray, c’était très sympa. On a fini par une belle couche de vernis, et le voilà devant vos yeux.” Sur la photo finale posent également quelques salariés de Natixis, dont la fondation a participé au financement du chantier, permettant ainsi à ses employés de venir participer au chantier en se mêlant aux jeunes élèves.
Un succès grandissant mais maîtrisé
À la barre du projet depuis son lancement, Ricardo Esteban se félicite du succès. L’engouement est tel que les organismes voulant accueillir un chantier se bousculent au portillon, obligeant L’Odyssée à calmer les ardeurs. Car si le kit, dont les plans sont disponibles en open-source, ne coûte que 6 200€, un chantier complet, avec le matériel et l’encadrement, revient à 25 000€. Entre la recherche des financements et la disponibilité de son personnel, L’Odyssée se limite cette année à trois chantiers : celui de Césure avec l’école ETRE Paris, donc, et ceux de Stains et de l’Île-Saint-Denis, avec les maisons de la Jeunesse locales.
Toute la flotte s’est donnée rendez-vous les 22 et 23 juins sur le canal de l’Ourcq, pour la 5e édition de L’Odyssée. Au programme, une parade flottante, mais aussi des ateliers créatifs, des concerts, et de nombreuses tables-rondes, pour que ce moment festif soit aussi un espace politique destiné à réfléchir aux meilleurs moyens de se réapproprier les fleuves et canaux franciliens durablement.