Le téléphérique urbain de Brest, un modèle de transport en commun innovant

Téléphérique urbain de Brest
Près de huit ans après sa mise en service, plus personne n’imagine la ville sans ce bijou de mobilité urbaine, devenu non seulement un outil de transport à part entière, mais aussi un véritable aimant à touristes. Le téléphérique urbain de Brest a été inauguré le 19 novembre 2016 par la ministre de l'Environnement Ségolène Royal.
©Mathieu Le Gall - Brest Métropole
Le 31 mai 2024

Pour relier un nouveau quartier au reste de son centre-ville, Brest a misé, il y a quelques années, sur un téléphérique urbain. Véritable complément de son réseau existant de bus et de tramways, celui-ci a rapidement été un succès auprès des habitants. Mais il a également apporté à la ville un flux touristique imprévu. Il est même devenu, sur le territoire, “le seul transport en commun où touristes et habitants prennent des selfies”.

Ce n’est faire offense à personne que de confesser que le téléphérique urbain de Brest n’aurait sans doute jamais existé s’il y avait eu une solution plus classique. Pourtant, près de huit ans après sa mise en service, plus personne n’imagine la ville sans ce bijou de mobilité urbaine, devenu non seulement un outil de transport à part entière, mais aussi un véritable aimant à touristes. Devant ses cabines, on se presse pour un selfie comme devant un monument. Et la mairie, qui se félicite de ce succès, peine à croire que ce qui est d’abord apparu comme une alternative peu crédible au tram est finalement devenu un exemple pour de nombreuses villes françaises.

Il faut dire que le téléphérique, longtemps mis de côté par les élus et spécialistes de l’urbanisme, n’est revenu sur la table qu’en raison de l’impossibilité d’utiliser les modes de transports habituels.

“Le téléphérique est né d’un problème d’accessibilité que nous avions pour une zone d’activité qui correspond au nouveau quartier des Capucins dans le centre-ville, se souvient Victor Antonio, directeur des mobilités à la métropole de Brest. La ville s’est développée autour de sa base navale, qui est fermée au public depuis la fin de la guerre. Or, la Marine n’avait plus besoin d’autant de terrain qu’avant. Nous avons donc eu cette chance de pouvoir recréer un beau quartier en plein centre-ville. Mais la difficulté, c’est qu’il était sur les méandres d’un fleuve côtier appelé la Penfeld, situé entre 20 et 30 mètres en dessous du niveau de la ville. Le quartier n’était donc accessible que par l’ouest avec une ligne de tram. Cette nouvelle liaison était compliquée à manier, car il fallait franchir la parcelle d’eau sur une portée de 450 mètres. Ce franchissement aurait pu être un pont levant ou un pont tournant pour laisser passer les bateaux. Cela nous aurait coûté au moins 40 millions d’euros. Ça aurait été le même prix pour une parcelle piétonne, sachant que pour une longueur de 450 mètres, nous n’étions même pas certains d’attirer les piétons. Nous avions un vrai problème et pas de solution technique.”

C’est alors que va émerger une drôle d’idée : installer un téléphérique urbain. À l’époque, Grenoble, Toulouse ou d’autres encore dans le Val-de-Marne, explorent également l’idée d’une réhabilitation de ce mode de transport longtemps mis de côté. À Brest, la solution ne convainc pas, mais, faute de mieux, on creuse la piste.

“Nous n’y avons pas forcément cru au début, mais plus nous poursuivions les études, plus nous nous rendions compte que c’était une solution adaptée à notre situation.”

Deux ans après le début de la réflexion au sujet du franchissement, la construction est finalement actée. La phase opérationnelle débute en 2013. “Il y a eu les différentes étapes de concertations pour définir le programme et l’enveloppe financière. Ensuite, la décision a été prise et nous avons lancé une enquête sur le Code de l’environnement en 2014. Nous avons lancé les études d’avant-projet et de projet. Puis, nous avons passé un marché de conception et réalisation. Cela veut dire que nous avions dans la même équipe, le concepteur et le réalisateur. Enfin, la phase de travaux a commencé.”

Dans l’intervalle, la métropole anticipe l’ouverture en préparant et en formant l’exploitant des bus et tramways à l’utilisation et à l’entretien de ce nouveau système de transport urbain. En novembre 2016, les premiers voyageurs profitent de la mise en service. Six ans auront passé entre les premières idées et l’ouverture.

Un transport intégré au réseau existant

De fait, l’ouverture du téléphérique ne chamboule pas le réseau. L’exploitant est la même société de transport public que pour les bus et les tramways. Par conséquent, les titres de transport sont identiques, avec les mêmes tarifs. Rien ne change pour les usagers.

“Aujourd’hui, 65 % des déplacements vers le site des capucins se font avec le téléphérique. En heure de pointe, nous montons jusqu’à 50 personnes par cabine.” Avec ses deux cabines pouvant assurer un départ toutes les six minutes, soit 1 000 passagers par heure, il s’inscrit également dans la volonté d’encourager les modes actifs de déplacement (marche, vélo) en milieu urbain.

Il aura fallu moins de deux ans à la ville pour franchir la barre du million de passagers.

De quoi faire tomber la métropole dans la folie des grandeurs ? Pas vraiment. “Nous ne pouvons pas l’agrandir, car il n’était pas prévu pour cela, concède Victor Antonio. Il était pensé pour aller de la rive droite à la rive gauche, rien de plus.”

Le téléphérique pourrait cependant s’installer “dans d’autres coins de la ville”, même s’il est “encore trop tôt pour pouvoir en parler”.

Les Brestois, eux, ont adoubé leur téléphérique. Et ils ne sont pas les seuls, puisque selon la métropole, ces cabines sont devenues la coqueluche du territoire. “C’est le seul transport en commun où touristes et habitants prennent des selfies.

Un engouement qui ne passe pas inaperçu : du côté de la collectivité, on apprécie grandement l’impact médiatique. “Ce téléphérique fait parler de Brest. Nous existons aujourd’hui dans les médias comme une ville particulière. Le reste des Français découvrent que la vie culturelle à Brest est foisonnante et extrêmement riche. Depuis l’ouverture du téléphérique, nous avons une fréquentation touristique que nous ne connaissions pas auparavant. Brest, avant le téléphérique, au moins d’août, c’était plutôt calme. Même vide lorsque les habitants partaient en vacances. Aujourd’hui, nous avons énormément de visiteurs. Nous avons été dans le guide vert de Michelin il y a deux ans, ce qui était complètement inattendu. Nous commençons à être référencés comme une attraction à visiter en France. Le site des Capucins devient un passage obligé pour les touristes. Avant, la ville était une destination d’une journée pour les touristes qui décidaient de venir jusque-là. Aujourd’hui, non seulement ils sont plus nombreux, mais ils restent de plus en plus longtemps. Ils viennent de tout le Grand Ouest pour passer un week-end à Brest.”

Un impact médiatique à double tranchant

Un succès qui a un coût, tout de même : 19,1 millions d’euros HT en investissement, puis 700 000 à 800 000 € de coûts annuels d’exploitation. Mais là encore, bonne surprise : à Brest, le téléphérique est le système de transport le moins déficitaire.

“Il nous coûte quatre fois plus cher de transporter quelqu’un dans un bus par rapport à ce que cela nous rapporte en tickets. En tramways, il y a un taux de couverture d’environ 50 %. Avec le téléphérique, nous étions à 80 % de taux de couverture des dépenses d’exploitation par les recettes dès la première année.” L’Europe, l’État, la Région Bretagne et le département du Finistère ont subventionné la moitié de l’investissement de départ.

Reste le revers de la médaille. Lorsque tous les projecteurs sont braqués au même endroit, difficile de garder secret les petits tracas du quotidien. “Quand les premiers problèmes techniques sont apparus, tous les médias en ont parlé. Ça a été un peu compliqué pour nous, car nous avons eu une surexposition médiatique à la moindre alerte. Cela a entraîné une mauvaise réputation, fait naître l’idée que le téléphérique était tout le temps en panne, alors que c’était injustifié. Il fonctionne très bien et il n’y a pas plus de pannes que dans d’autres systèmes de transport. Pourtant, dans l’esprit de beaucoup, il y a encore cette image-là. Nous n’avions pas vu venir la puissance et l’immédiateté de l’impact sur les réseaux sociaux et nous n’étions pas prêts à réagir.”

Un modèle pour d’autres collectivités

Fort de son expérience, la métropole sert d’exemple pour d’autres collectivités en quête d’innovation pour leur réseau de mobilité. À Brest, on conseille de se focaliser sur le service à rendre au public et de ne pas vouloir tout contrôler. “Ce n’est pas le boulot des villes de définir l’aspect technique. Nous sommes là pour définir les besoins des usagers, l’intégration urbaine…” À garder dans un coin de la tête, aussi, le succès potentiel de ce mode de transport et les difficultés d’agrandissement. “Je conseillerais de ne pas voir trop juste en termes de capacité. Nous avons été surpris à Brest de la popularité du téléphérique.”

Le directeur des mobilités attire aussi l’attention de ses homologues sur les spécificités du milieu urbain, auxquelles les téléphériques, habituellement installés en montagne, ne sont pas nécessairement habitués.

“Un téléphérique urbain tourne six fois plus d’heures qu’un téléphérique de montagne, donc il ne faut pas le construire de la même façon. Il faut des éléments plus robustes. Il faut aussi prévoir que l’entretien ne peut se faire que la nuit. En France, aucune entreprise ne s’y connaissait en téléphérique urbain. De ce fait, nous avons fait appel à une compagnie de téléphérique de montagne. Nous avons dû rédiger un programme particulier avec quelque chose d’un peu innovant, nous avons demandé au constructeur plein de choses qui ne sont pas demandées dans les téléphériques de montage. Ils ont dû s’adapter au contexte urbain. Nous avons retenu l’entreprise qui était le plus à l’écoute de ces spécificités. Notre téléphérique a été développé pour nos besoins et d’après nos attentes.”

Solution éprouvée pour relier des quartiers difficilement accessibles par route, le téléphérique est loué pour son confort, mais peine à convaincre ses opposants qui y voient un gouffre financier.

Si, à Brest, les comptes sont moins creusés par le téléphérique que par le reste du réseau, ce n’est pas le cas partout. Les cabines ayant des capacités moindres que les rames de métro ou de tramway, le rendement n’est pas toujours au rendez-vous. À Toulouse par exemple, les chiffres sont moins enthousiasmants que prévu, et l’opposition s’indigne, alors que la majorité, qui mise sur une accoutumance progressive, n’est pas inquiète. En outre, les habitants, s’ils apprécient le développement de l’offre de transport, sont plus réservés quand les lignes sont appelées à survoler leurs jardins. À Lyon, d’ailleurs, les résidents vivant sur le tracé d’un projet de téléphérique ont forcé la métropole à renoncer à l’idée.

Les acteurs publics qui se lancent aujourd’hui ont cependant un avantage : ils ne sont plus les seuls à avoir ce type de projets. L’offre s’adapte donc à la demande pour la construction, limitant les écueils techniques, et les retours d’expérience affluent. L’Europe, friande d’alternatives efficaces à l’usage de la voiture particulière, voit d’un bon œil le développement de ces nouveaux leviers de mobilités, en interconnexion avec les autres modes de transports en commun. Les accompagnements se multiplient, et les projets de transport par câble fleurissent.

À Toulouse, Grenoble, ou Saint-Denis-de-la-Réunion, les téléphériques se sont installés dans le paysage ces dernières années, et d'autres doivent encore voir le jour d'ici 2025, notamment à Ajaccio, Nice et Créteil.

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