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ActualitésMark Hoffsess : « La transition énergétique doit être prise en compte dans toutes les politiques publiques »
Mark Hoffsess est adjoint à la maire de Strasbourg en charge de la transformation écologique du territoire et conseiller eurométropolitain délégué à la transition énergétique. Nous l'avons rencontré à l'occastion des Assises européennes de la transition énergétique qui se tiennent à Strasbourg du 24 au 26 juin.
Quels sont les enjeux aujourd'hui pour le territoire de Strasbourg en matière de transition énergétique ?
Nous avons redéfini notre schéma directeur des énergies à l'échelle de l'Eurométropole. Cela a été nécessaire suite à une crise de la géothermie profonde entre 2019 et 2021, où un projet a provoqué des séismes, le plus fort atteignant 3.6 sur l'échelle de Richter, endommageant 4000 maisons et mettant fin à ce projet. La géothermie profonde représentant une part importante de notre stratégie énergétique initiale pour la chaleur, nous avons été contraints de revoir notre schéma, qui a été révisé en 2021 et réactualisé avec adoption définitive en 2024.
Quels sont les objectifs de ce nouveau schéma directeur des énergies ?
Les objectifs sont très ambitieux et s'alignent sur les engagements internationaux, nationaux et européens. Le premier objectif est la division par deux des consommations énergétiques du territoire. Actuellement à environ 11 000 TWh, nous devons réduire de moitié nos consommations, ce qui représente un enjeu énorme, principalement sur les bâtiments et les mobilités. Ensuite, pour les consommations résiduelles en 2050, l'objectif est qu'elles soient couvertes à 100 % par de l'énergie renouvelable produite localement pour moitié. Cela implique principalement la décarbonation des systèmes de chauffage via les réseaux de chaleur et l'électrification des usages, avec un plan photovoltaïque très ambitieux.
Où en êtes-vous en 2025 par rapport à cette trajectoire énergétique ?
Nous en sommes vraiment aux balbutiements. Pour les réseaux de chaleur décarbonés, nous visons à multiplier par quatre le nombre de logements desservis d'ici 2030, passant de 20 000 à 80 000 logements. Nous déployons massivement ces réseaux, posant 15 km de tuyaux par an à Strasbourg, avec un objectif de 85 à 90 % d'énergies renouvelables locales pour les alimenter. Concernant la Zone à Faibles Émissions (ZFE) sur les mobilités, nous sommes très inquiets de l'abandon de l'encadrement juridique des aides. Notre ZFE visait à réduire l'usage des mobilités carbonées, notamment la voiture individuelle pour les trajets pendulaires, et à les remplacer par des modes de déplacement décarbonés. Nous avions mis en place un accompagnement social conséquent, mobilisant 50 millions d'euros d'aides à la conversion pour les ménages n'ayant pas les moyens de changer leur véhicule diesel ancien.
Vous parlez de la ZFE au passé, est-ce parce qu'elle est en suspens ?
Oui, nous sommes un peu dans l'entre-deux. Les critères 5 et 4 ont permis de nettoyer le parc automobile, mais cela devient plus complexe avec des véhicules plus récents. Nous étions conscients de la nécessité d'une ZFE sociale et nous ne pouvons pas nous voir reprocher de ne pas avoir pris en compte les conditions nécessaires à la transition du mode automobile vers un mode moins carboné.
Pouvez-vous nous donner des détails sur l'avancement de la solarisation sur le territoire ?
Sur la solarisation, nous sommes actuellement à 20 MW crête de puissance installée (incluant le privé, les toitures chez les particuliers et le foncier public). L'objectif est d'atteindre 85 MW installés en 2030, ce qui est atteignable si les projets se concrétisent et si les procédures d'autorisation de l'État s'accélèrent. L'objectif pour 2050 est de 1100 MW crête installés, soit 1,1 GW de puissance photovoltaïque, ce qui représente une multiplication par plus de 50 par rapport à aujourd'hui. Nous avons modifié le Plan Local d'Urbanisme (PLU) pour imposer une obligation de solarisation du "toit utile" (soit végétalisation, soit installation solaire). Actuellement, notre territoire est à environ 80 % d'énergie fossile, bien que l'électricité du Rhin, produite localement par un barrage EDF, apporte une contribution significative à notre production, même si elle est redistribuée sur le réseau national.
Qu'attendez-vous de ces Assises Européennes de la Transition Énergétique à Strasbourg ?
En tant qu'organisateur, notre premier objectif est d'affirmer la dimension européenne de la transition énergétique, en veillant à ce que l'énergie soit prise en compte dans toutes les politiques publiques, du niveau européen au local. Nous avons préparé un plaidoyer pour faire de l’Énergie un bien commun, qui sera soumis aux congressistes, qui sera adressé aux autorités nationales et européennes. Nous craignons que la transition énergétique ne soit négligée, comme en témoignent les débats publics actuels : le moratoire sur les énergies renouvelables finalement rejeté par les députés, les décisions récentes comme celles concernant l'autoroute A69 (une hérésie énergétique), ou la suspension de MaPrimeRénov'. Bien que le gouvernement justifie cette suspension par un engorgement, nous espérons qu'il y aura plus de moyens et une simplification pour MaPrimeRénov', car son obtention est un véritable parcours du combattant.
Pour accompagner les collectivités, les entreprises et les particuliers dans leur transition énergétique, je veux aussi souligner le rôle de notre Agence du Climat. Lancée en 2021, elle compte 30 personnes, dont une grande partie dédiée au conseil. Sa mission principale est le conseil aux entreprises, collectivités et surtout aux particuliers sur la mobilité (dispositifs de conversion, mobilité douce) et la rénovation énergétique (accompagnement sur MaPrimeRénov'). Nous avons également ajouté un service de veille juridique pour aider les personnes arnaquées à résoudre leurs démarches juridiques.
Le plaidoyer pour « faire de l’Énergie un bien commun » appelle notamment à renforcer le pouvoir d'initiative des territoires.
Clairement, j'appelle cela la territorialisation des systèmes énergétiques. L'attente des territoires est de redevenir souverains sur la production de l'énergie, sa consommation et son prix. Les financements doivent être orientés vers la territorialisation, et les fonds structurels européens doivent être renforcés pour soutenir les projets locaux. Par exemple, nous avons un projet transfrontalier de réseau de chaleur avec une aciérie en Allemagne, visant à récupérer la chaleur fatale industrielle pour la faire traverser le Rhin. Cependant, les crédits européens actuels ne permettent pas de financer cet investissement, ce qui est "incroyable" pour un projet éminemment européen.
Dans ce plaidoyer, vous insistez également sur la nécessité que les politiques publiques ne soient pas contradictoires. Pouvez-vous donner un exemple ?
Un exemple est la relance des pesticides. Au-delà des enjeux de qualité des sols et de santé publique, les pesticides sont fabriqués avec de l'énergie. On ne peut pas prôner la sobriété énergétique tout en relançant une politique énergivore. De même, les politiques d'industrialisation doivent être décarbonées, sinon elles sont contre-productives. Cette cohérence est cruciale à l'échelle européenne et nationale. À l'Eurométropole, nous veillons à cette cohérence : nous ne jouons pas le développement économique contre l'énergie, ou l'énergie contre la biodiversité, ou la biodiversité contre l'alimentation. Nous y parvenons le mieux au niveau local.