Yohann Zermati «Services publics 2040 vise à repenser le rôle, la forme et les modalités d’action des services publics à l’horizon 2040» 

Yohann Zermati
Yohann Zermati est président du Réseau Prospective Territoriale et directeur de l’Observatoire de Grand Paris Sud Est Avenir.
©DR
Le 7 juillet 2025

Lancé en mars 2025 par le Réseau Prospective Territoriale en partenariat avec Futuribles International, le projet "Services Publics 2040" vise à explorer collectivement les futurs possibles des services publics à l'horizon 2040. L'objectif de la démarche est d'aider les décideurs publics à anticiper les mutations et à adapter leurs organisations et politiques publiques.

 

Le prochain séminaire annuel du Réseau aura lieu à La Rochelle les 28 et 29 août 2025. Il permettra de partager les premières pistes de réflexion, de les confronter aux intervenants et aux participants, et ainsi d'enrichir le travail prospectif engagé. Entretien avec Yohann Zermati, le président du réseau Prospective Territoriale.

Quels services publics en 2040 ?

 

 

Vous êtes le Président du Réseau Prospective Territoriale, qui s'est récemment constitué. Pouvez-vous nous présenter le Réseau et sa mission principale ?

Le Réseau Prospective Territoriale s'est créé formellement le 1er avril 2025. Il est issu de l'ancien club prospectif de l’ADGCF (Association des directeurs généraux des communautés de France), avec qui nous avons convenu de prendre notre indépendance tout en maintenant des liens étroits. Notre objectif est de comprendre et répondre aux enjeux de demain. Nous nous adressons principalement aux praticiens de l'action stratégique et prospective au sein des collectivités territoriales, c'est-à-dire les chargés de mission, responsables et directeurs qui œuvrent dans les champs de la stratégie territoriale, institutionnelle ou sociétale.

Chaque année, nous organisons à la Rochelle un séminaire prospectif ouvert à tous ceux qui s'intéressent à l'avenir des territoires et des politiques publiques afin d'explorer collectivement les futurs.

Le Réseau Prospective Territoriale a lancé un projet ambitieux sur les "Services Publics 2040". Quel est l'objectif de cette démarche et pourquoi avoir choisi cet horizon temporel ?

Depuis mars 2025, nous avons engagé, en partenariat avec Futuribles International, un chantier d'exploration collective des futurs possibles des services publics à l'horizon 2040. Futuribles International est un "think tank" spécialisé en prospective au service de la stratégie qui a l'habitude de concevoir des scénarios sur des sujets majeurs nationaux et internationaux.

Nous avons choisi l'horizon 2040 car il nous semble à la fois suffisamment loin pour imaginer un certain nombre de transformations et en même temps assez réaliste pour se projeter sur ce jalon temporel. L'objectif global est de faire réfléchir et faire ressortir des enjeux pour aider les décideurs – qu'il s'agisse de politiques ou d'administrations – à adapter leurs organisations et la mise en place de politiques publiques.

Séminaire 2025 : quels services publics en 2040 ?

Le séminaire annuel du Réseau Prospective Territoriale revient pour une nouvelle édition consacrée à une question cruciale : quels services publics en 2040 ? Les 28 et 29 août 2025 à La Rochelle, professionnels et acteurs des territoires se retrouveront pour interroger les transformations à venir et bâtir des scénarios d’avenir.

Depuis toujours, les services publics constituent un pilier du pacte républicain. Leur vocation : garantir l’accès équitable aux services essentiels, dans le respect des principes d’égalité, de continuité et d’adaptabilité. À travers la gratuité ou des tarifs accessibles, ils incarnent la réponse collective aux besoins fondamentaux de la société.
Mais aujourd’hui, ces fondements sont questionnés à l’aune de nouvelles réalités. Crise environnementale, hybridation public/privé, lutte contre le non-recours, intelligence artificielle : autant d’enjeux qui obligent à repenser le rôle, la forme et les modalités d’action des services publics.

Penser l’avenir, c’est anticiper les mutations en cours : besoins sociétaux émergents, innovations technologiques, transformations écologiques. La démarche prospective permet d’éclairer les choix à venir, de dessiner des scénarios et d’ouvrir la réflexion sur un service public résilient, inclusif et adapté aux défis du 21e siècle.

Depuis mars 2025, le Réseau Prospective Territoriale et Futuribles International ont engagé un chantier d’exploration collective des futurs possibles des services publics à l’horizon 2040. Ce séminaire marquera une étape clé de la démarche : il permettra de partager les premières pistes de réflexion, de les confronter aux intervenants et aux participants et d’enrichir ainsi le travail prospectif engagé.

Comment avez-vous initié cette démarche et quels sont les grands principes que vous interrogez concernant les services publics actuels ?

Nous avons initié la démarche le 31 mars 2025 en présentiel, avec une trentaine de participants majoritairement issus de collectivités, mais aussi d'autres acteurs publics et quelques acteurs privés intéressés par l'évolution du service public et des besoins des habitants. Lors de cette première séance, nous avons cadré le sujet en partant des grands principes du service public en France : la gratuité ou des tarifs accessibles, la continuité, l'adaptabilité et l'égalité de traitement. La question fondamentale que nous nous sommes posée est de savoir si ces principes resteront les mêmes demain. Nous interrogeons également le périmètre même de ce qu'est un service public aujourd'hui et si ce périmètre sera le même en 2040, ce qui inclut la question des opérateurs, la place du public et du privé, et les services publics à des niveaux autres que le niveau français.

Quelle est la méthodologie choisie pour construire ces scénarios d'avenir ?

Nous avons fait le choix d'adopter une méthodologie de construction de scénarios par analyse morphologique. Cette méthode, bien que "chronophage", est très riche car elle permet de distinguer des variables clés et d'accumuler beaucoup de matière.

Qu’est ce que la prospective exploratoire par la méthode morphologique ?

La prospective exploratoire par la méthode morphologique a été retenue par le Réseau Prospective Territoriale et Futuribles International pour imaginer les services publics en 2040. La prospective exploratoire est une démarche qui vise à scruter les évolutions potentielles d'un système pour en tirer des enseignements utiles à la réflexion stratégique.

Plutôt que de prédire un futur unique, elle explore une pluralité de scénarios plausibles, y compris ceux qui rompent avec les tendances actuelles. Pour les services publics, il s'agit de comprendre comment ils pourraient répondre aux besoins des populations de demain et dans quelles conditions ils pourraient être délivrés.

Traditionnelle en prospective, la méthode morphologique est un outil qui permet de construire des scénarios de manière rigoureuse et structurée. Elle repose sur une analyse approfondie des dynamiques actuelles pour formuler des hypothèses sur leurs évolutions futures. Cette méthode favorise également une construction collaborative, en croisant les regards des différents acteurs impliqués.

Le travail s'articule autour de trois angles principaux :

  1. L'évolution des besoins sociétaux des habitants, partant du postulat que le service public est là pour y répondre.
  2. Les acteurs et les moyens : qui délivre le service public, l'écosystème, les contraintes budgétaires, et les nouvelles formes d'organisation comme la coparticipation ou les coopératives.
  3. La toile de fond ou l'écosystème global : le service public n'est pas isolé mais dépend d'un environnement plus large, incluant des événements internationaux et des interdépendances, comme l'impact du conflit en Ukraine sur l'inflation des matières premières.

De cet atelier initial, nous avons identifié 20 variables clés. Ces variables, si elles évoluent, peuvent faire bouger l'élément principal qu'est le service public. Parmi elles, on trouve le logement, les mobilités, la santé, l'énergie, les opérateurs ou encore les moyens financiers. Chaque variable fait l'objet d'une "fiche variable" qui contextualise son évolution, identifie les signaux faibles, les tendances lourdes et les incertitudes/ruptures, menant à des hypothèses d'évolution.

Les enjeux de transformation et de transition sont centraux pour le futur des services publics. Comment intégrez-vous ces dynamiques dans votre démarche ?

Effectivement, les grandes transitions sont au cœur de notre réflexion et se retrouvent dans nos 20 variables. À mon sens, les trois grandes transitions sont la transition écologique (dérèglement climatique, vulnérabilités environnementales), la transition numérique (avec l'impact de l'intelligence artificielle) et la transition sociétale (notamment le vieillissement de la population).

Ces éléments sont des tendances lourdes dont les services publics devront impérativement tenir compte en 2040. L'intelligence artificielle, par exemple, est une variable numérique transversale qui impacte de nombreux domaines comme les mobilités, le temps libre, la proximité et l'accès aux services.

Notre démarche est résolument systémique. Le service public n'est pas seul ; il est à l'intersection de nombreux facteurs et doit anticiper le comportement et les attentes des citoyens. L'objectif est d'éclairer les choix cruciaux, comme celui entre une dématérialisation complète du service public et le maintien de la présence humaine et du maillage territorial, afin de ne pas laisser des gens sur le bord de la route. Nous voulons permettre aux décideurs de faire des choix souhaitables pour notre modèle de société, en comprenant les conséquences positives ou négatives de chaque option.

Le prochain séminaire annuel du Réseau aura lieu à La Rochelle les 28 et 29 août 2025. Quelle sera l'importance de cet événement dans le déroulement de votre projet "Services Publics 2040" ?

Le séminaire de La Rochelle marquera une étape clé de la démarche. Il permettra de partager les premières pistes de réflexion, de les confronter aux intervenants et aux participants, et ainsi d'enrichir le travail prospectif engagé. Le jeudi 28 août à la médiathèque Michel-Crépeau, la matinée sera consacrée à des conférences et tables rondes sur les services publics en 2040, avec des intervenants aux profils diversifiés qui permettront d’aborder le sujet sous différents angles. Les autres intervenants seront confirmés dans les jours qui viennent et nous complèteront par une approche européennes des services publics ou encore un éclairage historique et sociologique du sujet. L'après-midi sera dédié à des ateliers prospectifs pour recueillir les regards et expériences des participants sur les grandes transformations. Le vendredi 29 août, nous continuerons les échanges et partagerons les travaux d’ateliers de la  veille, tout en préparant les suites des travaux sur la thématique des services publics.

Quel est le calendrier pour la suite du projet et comment les résultats seront-ils mis à disposition ?

D'ici la fin 2025, nous visons à constituer les scénarios par le croisement des variables et des controverses. Début 2026, nous souhaitons proposer ces scénarios ainsi que des premières pistes d'atterrissage territorial.

L'idée est de mettre cette matière à disposition pour le prochain mandat local afin d'éclairer les élus et les administrations sur les conséquences pour les métiers et l'organisation du service public.

Les scénarios ne sont pas des prévisions, mais des outils de réflexion pour faire ressortir les enjeux et aider à l'adaptation des politiques publiques. Une dimension importante est la territorialisation de la démarche, c'est-à-dire tester les scénarios au niveau local, car ce qui est valable dans une grande métropole ne l'est pas toujours dans un milieu plus rural.

 

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