Juliette Nouel : «Les collectivités locales sont en première ligne pour mettre en place l’adaptation au changement climatique»

Le 13 novembre 2025

Alors que la France doit se préparer à un réchauffement pouvant atteindre +2,7°C d’ici 2050, tout le monde est d’accord pour s’adapter au changement climatique. Mais ça veut dire quoi au juste de s’adapter ? Juliette Nouel, journaliste et créatrice des Ateliers de l’Adaptation au Changement Climatique (AdACC), vient de publier, avec l’illustratrice Marine Carron, un guide sous forme de bande dessinée sur l’adaptation au changement climatique. Entretien.

Elle rappelle que les collectivités locales ont l’obligation d’intégrer la trajectoire d’adaptation au changement climatique[1] dans l’ensemble de leurs documents de planification avant 2030. Avec ce guide, elle espère aussi créer un "réflexe adaptation" dans toute la société.

Adaptation au changement climatique

Juliette Nouel, vous êtes la créatrice des Ateliers de l’Adaptation au Changement Climatique. Pourquoi publier un guide maintenant, et pourquoi ce format ?

La nécessité s'impose face à l’intensification des impacts du changement climatique. Notre rôle est de placer l’adaptation au cœur du débat public. Mon ADN de journaliste m'a poussée à produire un contenu qui requiert de l'enquête, de la synthèse, et une écriture resserrée et pédagogique. Le format bande dessinée (BD) est un choix stratégique essentiel pour massifier la compréhension des enjeux. L'adaptation est certes un sujet scientifique et technique, mais elle est tout autant un sujet social et politique. Il est fondamental que toutes les parties prenantes concernées par une mesure d’adaptation soient en mesure d’en saisir les tenants et les aboutissants. Le trait humoristique de l’illustratrice, Marine Carron, favorise cette diffusion et facilite la mémorisation.

À qui s'adresse spécifiquement cet outil de sensibilisation ?

Nous nous inscrivons dans la continuité du Plan National d’Adaptation au Changement Climatique (PNACC3) publié en mars 2025, qui ambitionne de créer un réflexe de l'adaptation dans tous les pans de la société. Notre guide est donc conçu pour embarquer tous les publics : les collectivités locales, les entreprises qui réfléchissent à leurs trajectoires d’adaptation, mais aussi le grand public qui souhaite comprendre, participer à la réflexion collective et agir.

Le terme "adaptation" est souvent confondu avec l'"atténuation" ou la simple "gestion de crise". Quelles distinctions faites-vous ?

C'est une clarification essentielle que nous devons faire. L’atténuation vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre, et ce n'est pas parce que nous nous adaptons que nous renonçons à réduire nos émissions. L'atténuation et l'adaptation doivent être complémentaires et interdépendantes. Quant à la gestion de crise, c’est une réaction d’urgence, visant souvent à sauver des vies, où et les mesures prises au dernier moment ne peuvent pas éviter de graves pertes et dommages. L'adaptation, elle, est l'étape supérieure. Elle consiste à anticiper les impacts et à mettre en place des mesures structurelles pour limiter les dommages, préserver les fonctions vitales et renforcer la résilience des sociétés. Aujourd'hui, on est encore à des années lumières de ce qu'il faudrait faire en matière d'adaptation.

Comment réduisez-vous concrètement le risque climatique dans votre méthode AdACC ?

Le risque climatique repose sur trois composantes : les aléas, l'exposition et la vulnérabilité. Les aléas sont les événements climatiques (extrêmes ou graduels) qui vont de devenir encore plus fréquents, intenses et longs. Même si nous ne pouvons pas agir immédiatement sur les aléas (ces événements climatiques qui peuvent s’abattre à tout moment), nous pouvons agir sur les deux autres composantes pour réduire le risque. Et c’est précisément le rôle de l’adaptation : réduire l’exposition et la vulnérabilité. Première composante, c’est L’exposition, c'est le fait d’être présent sur le lieu où se produit l’aléa, c’est un peu la zone dangereuse. Par exemple, le fait qu'un camping soit situé tout près d’une rivière en zone inondable, avec qu'une seule route pour évacuer. Agir sur l'exposition peut signifier la délocalisation de l'activité. Deuxième Dernière composante enfin, la vulnérabilité : c’est le fait d’être sensible à l’aléa et de ne pas avoir les moyens d’y faire face, c’est un peu la susceptibilité qu’il s’agisse des personnes, des écosystèmes ou des biens à être affectés. Dans notre exemple du camping, la vulnérabilité est élevée car il y a des personnes âgées qui ne peuvent pas partir rapidement ou des campeurs qui parlent toutes les langues, rendant la communication de crise inefficace. Notre méthode est essentielle parce qu'elle décompose  qu’en décomposant le risque de cette manière, elle permet de ne rien oublier et d’agir sur les bons leviers concrètement.

La méthode AdACC met l'accent sur le fait de faire « collectivement les meilleurs choix possibles ». Qu'est-ce que cela signifie concrètement ?

Cela signifie qu'en adaptation, il n'y a pas de « bons choix » absolus. Les décisions dépendent du contexte et des parties prenantes. Notre méthode s'inspire du dernier rapport du GIEC[1] (Groupe de travail numéro 2 consacré aux impacts et à l'adaptation).

Le caractère collectif est crucial pour plusieurs raisons. Premièrement, pour s’assurer de l’acceptabilité et de l’application des mesures. Deuxièmement, car l'adaptation impose des choix difficiles, des « renoncements ». Puisqu'on ne pourra pas tout adapter, la question devient : qu'est-ce qu'on choisit de préserver ? Qu'est-ce qu'on choisit d'abandonner ?. Un tel choix, par exemple le déplacement d'un camping qui se trouve en zone inondable, doit faire l'objet d'un choix démocratique et ne peut pas être décidé par une seule catégorie d'acteurs. Notre guide aide les collectivités à naviguer dans cette complexité, notamment en évitant les pièges de la maladaptation – des actions qui augmentent le risque au lieu de le réduire.

Vous allez lancer un nouveau format d’atelier de 2h début 2026. Comment cet atelier utilise-t-il concrètement le guide BD pour former les publics à l'analyse du risque climatique ?

L'objectif du nouveau format «Massiv’AdACC», dont le lancement est prévu pour début 2026, est de réaliser la massification de la compréhension des enjeux de l'adaptation et de généraliser la culture de l’adaptation dans tous les pans de la société. Cette approche vise à ce que tous les publics, y compris les élus, les agents des collectivités et les administrés, possèdent le même niveau de compréhension des enjeux. L'atelier, condensé sur deux heures, utilise concrètement le guide BD et son poster d'introduction comme support d’apprentissage et de mise en pratique. Les participants sont amenés à lire le guide durant la session, puis à travailler sur un cas pratique. L’accent sera surtout mis sur la prise de décision collective, avec un jeu de rôles où les diverses parties prenantes seront représentées.

[1] Trajectoire de Réchauffement de Référence pour l’Adaptation au Changement Climatique (TRACC)

[2] Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec)

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