Comment les jeunes agents publics imaginent les services publics en 2040

Alicia Barbotin est intervenu à l'occasion du séminaire annuel du réseau Prospective Territoriale, organisé chaque année à La Rochelle. Selon elle, la flexibilité (notamment le télétravail, mais pas que), la révision des pratiques managériales, la recherche de sens, le développement professionnel, l'inclusion et la diversité sont des éléments clés pour imaginer les services publics de 2040.
©Christelle Robiteau - Réseau Prospective Territoriale
Le 22 octobre 2025

Quelles sont les attentes principales des jeunes vis-à-vis de la fonction publique territoriale aujourd'hui ? Comment les enjeux de la transition écologique influencent-ils les choix d'emploi des jeunes dans le secteur public ? Y a-t-il une reproduction sociale dans l'accès à la fonction publique ? Comment les attentes des jeunes peuvent-elles nourrir la vision des services publics en 2040?

 

Alicia Barbotin est secrétaire générale de l’association FP21 (Fonction Publique du 21e siècle) et Cheffe de service Carrières et Paies à Noisy-le-Grand. Elle s’intéresse particulièrement à la vision des jeunes agents publics pour l'avenir des services publics. Nous l'avons interviewé à l'occasion du dernier séminaire annuel du réseau de Prospective Territoriale organisé à La Rochelle, consacré aux Services publics en 2040.

Quelles sont les attentes principales des jeunes vis-à-vis de la fonction publique territoriale aujourd'hui ?

Les attentes des jeunes, notamment de la Génération Z, ne sont pas très compliquées. Ils recherchent avant tout plus de flexibilité dans les conditions de travail, avec une forte demande pour le télétravail : 73 % des jeunes de cette génération souhaitent d’ailleurs organiser librement leurs horaires [1]. Ils attendent également une évolution des pratiques managériales, souhaitant plus de reconnaissance de leur travail. Il n'y a pas de rupture sur l'autorité des managers, mais les jeunes veulent être convaincus pour agir et sont en quête de sens dans leur quotidien.

Quels sont les enjeux majeurs qui poussent les jeunes à quitter la fonction publique territoriale prématurément ?

C'est une question importante car 30 % des jeunes qui rejoignent la fonction publique la quittent dans les trois premières années[2]. Les facteurs majeurs de ces départs prématurés sont le manque d'évolution professionnelle et salariale, l'envie de changer de métier, les conditions de travail, la rémunération et le manque de sens. L'opacité du statut de la fonction publique ne favorise pas non plus toujours leur projection à long terme, nous avons encore des progrès à faire pour faire connaître les voies de promotion interne et de mobilité au sens large dans la fonction publique.

Comment les enjeux de la transition écologique influencent-ils les choix d'emploi des jeunes dans le secteur public ?

Les jeunes sont très attachés aux sujets liés à la transition écologique. C'est un facteur de choix important lors d'un recrutement : l'employeur qui aura mis en avant le plus d'actions concrètes en faveur de la transition écologique sera privilégié. Les statistiques montrent que plus de 70 % des jeunes sont prêts à quitter un employeur si ses actions ne vont pas assez loin en la matière . C'est un enjeu que les employeurs publics doivent absolument prendre en compte, et pas uniquement vis-à-vis des nouvelles générations (D’après une étude de la FPTE, 62% des agents publics considèrent que les employeurs publics ne vont pas assez loin sur le sujet).

Y a-t-il une reproduction sociale dans l'accès à la fonction publique ?

Oui, c'est encore une affaire de famille. Il y a une reproduction sociale notable dans l'accès à la fonction publique. Environ 47 % des jeunes qui rejoignent la fonction publique avaient au moins un de leurs deux parents qui y travaillaient déjà. Cela soulève des questions sur la représentativité de la société au sein de la fonction publique et la diversité du vivier de recrutement : comment penser des services publics pour tous si nos agents ne représentent pas la diversité des usagers ?

Comment les attentes des jeunes peuvent-elles nourrir la vision des services publics en 2040 ?

Il est impératif pour les employeurs publics de s'adapter à ces nouvelles attentes des jeunes. La flexibilité (notamment le télétravail, mais pas que), la révision des pratiques managériales, la recherche de sens, le développement professionnel, l'inclusion et la diversité sont des éléments clés pour imaginer les services publics de 2040.  La transition écologique est incontournable, et la sensibilité croissante des jeunes aux questions environnementales offre aux employeurs publics une opportunité pour renforcer leur engagement sur ces enjeux, mais aussi auprès de leur employeur.

Quelles actions mène l'association FP21 pour faire évoluer les pratiques managériales et promouvoir la vision des jeunes ?

L'association FP21 produit des livres blancs et des livrables de réflexion, notamment sur des sujets comme le management public de la transition écologique. Nous encourageons une approche d'expérimentation et de "test and learn". À mon niveau, en tant que cheffe de service, j'incarne ces pratiques en adoptant un management horizontal et en consultant fréquemment mon équipe pour coconstruire les process et méthodes de travail, favorisant la confiance et la montée en compétence. Nous cherchons à interpeller les acteurs publics sur la vision des jeunes, qui est trop souvent méconnue.

Quel regard portez-vous sur ce séminaire de prospective ? Les jeunes sont-ils suffisamment pris en compte dans ces réflexions ?

Lors du séminaire, les enseignements n'étaient pas spécifiquement axés sur les jeunes. Cependant, l'intelligence collective et la diversité des profils présents (directeurs généraux, prospectivistes) étaient très enrichissantes. Mon intervention a permis de faire entendre la voix des jeunes, ce qui a été apprécié et a produit du débat entre participants. Néanmoins, lors des ateliers nous avons fait que constat  que nos imaginaires manquent parfois d'ambition. Nous sommes souvent formatés par la réglementation, ce qui nous rend moins inventifs. Il est crucial d'oser "bouger les lignes" et de "sortir du carcan" actuel pour se projeter véritablement en 2040.

Comment attirer plus de jeunes vers la fonction publique et diversifier le vivier de recrutement ?

Pour attirer davantage de jeunes et diversifier les profils, il est essentiel de travailler dès l'école et le lycée pour présenter la diversité des métiers de la fonction publique, souvent méconnus (collectivités, État, hôpitaux). Les passerelles inter-fonctions publiques doivent être mieux expliquées ainsi que les opportunités de mobilités. Il est également crucial de simplifier et de vulgariser le statut de la fonction publique, car son opacité ne permet pas aux jeunes de se projeter sur le long terme. En parallèle, il faut tenir compte de leurs attentes émergentes en matière de flexibilité, d’innovation, de développement professionnel, d’inclusion et de sens, comme mentionné précédemment.

[1] Future of work : quelles attentes de la gen Z pour l’entreprise de demain, une étude menée par Mazars et OpinionWay, 2019.

[2] Quelle expérience et quelle perception ont les jeunes de la fonction publique ?, Solène COLIN et Pascal GODEFROY, Point Stat n°40, Février 2023, DGAFP

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