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ExpertisesAssises : l’innovation publique veut changer d’échelle

Deux jours pour interroger les pratiques, poser les bases d’une culture commune et surtout donner un visage à celles et ceux qui innovent dans l’ombre. À L’Autre Canal et à l’INSET de Nancy, les premières Assises de l’Innovation Publique, organisées les 1er et 2 octobre derniers par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), ont rassemblé plus de 300 participants — agents territoriaux, élus, chercheurs et partenaires. Retour sur les temps forts.
Lancée par Mathieu Klein, maire de Nancy et Yohann Nedelec, président du CNFPT, la plénière d’ouverture a donné le ton de ces Assises dès les premières minutes : l’heure n’est plus à la simple discussion, mais à l'action face à un contexte de crise profonde. Yohann Nedelec a déclaré que « l’innovation est une condition de survie pour nos organisations publiques ». Il a rappelé que l'innovation est une priorité absolue, notamment pour la fonction publique territoriale, et qu'elle est avant tout au « service des usagers et des habitants ». L'objectif affiché des Assises n'est pas seulement de faire un état des lieux, mais de « transformer ces expériences en proposition d’action ».
L’innovation, une bataille culturelle à mener
Christian Paul, coordonnateur de la Chaire "Transformations de l'action publique", a qualifié l'innovation publique d'assez « radioactive », insistant sur la nécessité de « déconstruire l'idée que l'innovation publique est automatiquement vertueuse ». Il a ciblé plusieurs illusions, comme l'innovation « cosmétique » (qui masque la régression des droits ou la diminution des moyens) et l'innovation « verticale » (l'injonction à innover en permanence décrétée d'en haut). Il a également averti que l'innovation peut être une « machine à briser » pour les agents qui s’y frottent. Pour lui, le véritable défi consiste à s'interroger sur les finalités de l’innovation publique : « Pourquoi transformer et comment changer le système avant de se poser la question de la méthode ou des outils de l’innovation ». Il est crucial de lier l'innovation à des finalités claires et à des valeurs, comme la lutte contre les inégalités ou le combat contre le déclin du service public. L’innovation est une « insurrection de l’imagination » et une « formidable bataille culturelle » contre les conservatismes, a-t-il conclu.
Xavier Pavie, philosophe de l'innovation et professeur à l'ESSEC, a rappelé, dans une intervention vidéo, que l'innovation est « toujours confrontée à des obstacles » et que « personne vous aide à innover », il a lié le profil de l'innovateur à une « notion de volonté de puissance » pour dépasser ces freins. Il a également insisté sur l’urgence pour le secteur public de s'approprier le concept d'« innovation responsable », celle qui a pour but le bien commun.
Les différents intervenant.e.s ont mis en lumière le rôle central des agents, souvent invisibles. Lénie Girardot, Directrice générale des services (DGS) du Département des Côtes d’Armor, a regretté que l’innovation publique ne soit « pas toujours assumée, ni identifiée, ni valorisée ». Elle a désigné les acteurs de terrain comme des « innovateurs et des innovatrices pudiques », particulièrement présents dans le champ des politiques sociales.
Cette question de la posture a été approfondie par Cécile Cot, ingénieure d'études à AgroParisTech et rédactrice de l'étude « Chef de projet innovation territoriale : contours, compétences, métier ». Elle a notamment évoqué la figure idéale de l'innovateur public. Selon ses travaux, les innovateurs se distinguent par trois postures clés : l’ouverture à l’autre, la coopération engagée et la posture d’expérimentateur. Elle a souligné le besoin des innovateurs d'« arpenter le terrain » (71 % des répondants à l'enquête du CNFPT).
De son côté, Adélie Lacombe, coordinatrice du « Design public(s) » (Diplôme National Supérieur d'Expression Plastique) à l’École Supérieure d'Art et Design Saint-Étienne (ESADSE), a regretté le faible recours aux designers spécialisés (seulement 4,6% des méthodes mobilisées incluent un designer dans l’enquête du CNFPT), et le manque de place pour le « prototypage, à la fabrication concrète » sur le terrain.
L’intervention de Stéphane Vincent, délégué général de la 27e Région, s'est concentrée sur un diagnostic lucide de l’état actuel de l'innovation publique. Malgré l'accumulation d'initiatives (laboratoires d’innovation, sciences comportementales…), l'innovation publique n'a pas réussi à se déployer pleinement. Beaucoup des questions débattues restent les mêmes qu'il y a dix ou quinze ans, soulignant un besoin urgent de mieux progresser collectivement. Pour avancer collectivement et aller plus loin, il a suggéré plusieurs pistes possibles : préparer une nouvelle vision de l’innovation pour les futurs exécutifs élus (municipaux et régionaux), sortir des projets « one-shot » pour s'attaquer à des sujets plus complexes et collectifs, citant l’exemple de l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée (TCLD) ou les programmes basés sur l'innovation par mission. Il y a aussi un fort besoin de professionnalisation, de reconnaissance, et de montée en compétences des innovateurs. Stéphane Vincent déplore que seulement 20 à 30 % des connaissances disponibles sur la transformation publique soient mobilisées, et qu'il y ait un « zéro dialogue avec la recherche »… Enfin, sur les postures et valeurs, Il est crucial, selon lui, de repousser les frontières de l'innovation, notamment en adoptant une « neutralité radicale » : comment l'agent public maintient son obligation de réserve tout en étant intraitable sur les valeurs du service public et de l'intérêt général.
Pour Nicolas Rio, consultant en coopérations territoriales et enseignant à Sciences Po Paris, l’innovation publique a grandi. Elle est désormais solide, structurée, bien implantée. Mais pour continuer à transformer l’action publique, elle doit, selon lui, changer de terrain de jeu. Deux virages s’imposent selon lui. Le premier est de démocratiser l’action publique par l’écoute. Trop longtemps, l’innovation démocratique s’est concentrée sur l’expression citoyenne — conventions citoyennes, budgets participatifs, consultations. Mais le vrai problème, estime Rio, est ailleurs, il est dans la surdité des institutions. Il appelle à innover dans la manière d’être élu, de travailler avec les citoyens et de fabriquer l’action publique au quotidien. Deuxième virage à suivre : passer de l’idéation et de l’incubation à celle de la maintenance. L'enjeu n'est plus seulement d'impulser de nouveaux projets, mais de « réussir à les mettre en œuvre et à les faire tenir dans la durée ». Pour faire tenir dans la durée les projets d’innovation, il appelle de ses vœux une alliance entre les innovateurs et les « mainteneurs » (les agents d'exécution). « Il est crucial de prendre au sérieux l'expertise d'usage de ces agents, souvent les mieux placés pour identifier les problèmes réels », explique-t-il. L’organisation de cette alliance marquera l'atteinte de l'âge de la maturité pour l'innovation publique.
Enfin, Lindsey Cole, chercheuse associée à l’Université de Colombie Britannique au Canada et ancienne directrice du Laboratoire d’innovation publique de la Ville de Vancouver, a apporté une perspective originale proposant d'appliquer les cycles du vivant (les saisons) aux activités de nos organisations. Elle a notamment suggéré que l'activité d'innovation doit imiter le vivant et incorporer des cycles de printemps, d'automne et d'hiver. Une approche qui implique de savoir changer l'intensité des actions pour garantir la soutenabilité de l'innovation et éviter l'épuisement, que ce soit au niveau personnel ou organisationnel. Elle encourage les innovateurs à devenir aussi des "shape shifters" (ceux qui changent de forme), capables d'être plusieurs choses à la fois et de concilier la nécessité de s'intégrer à l'institution tout en refusant d'y succomber.
Ces Assises de l’Innovation publique à Nancy se veulent être « un commencement » pour pérenniser ces dynamiques et soutenir les innovateurs. Le CNFPT a notamment confirmé son intention de développer une offre de formation spécifique et de travailler en partenariat avec la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP) pour mutualiser les ressources.
Révéler l’innovation invisible
Durant le jeudi après-midi, les 300 participant.e.s se sont répartis en 9 ateliers participatifs pour questionner l’enquête du CNFPT (voir encadré) et ressortir avec des pistes d’action. Horizons publics a assisté à deux ateliers.
Les conclusions de l’enquête nationale du CNFPT
Les constats clés :
• Prédominance de l'innovation interne : Les innovateurs interviennent majoritairement sur l’innovation organisationnelle et managériale (65%), sur les processus (40%) et la gouvernance des politiques publiques (40%). L'innovation sociale (32%) et le numérique (23%) sont moins cités.
• Méthodes : L'intelligence collective est de loin la méthode la plus mobilisée (17,5/20), devant la coopération (12,2) et la participation (10). Le design thinking et les nouvelles postures managériales sont plus bas (7,8 chacun).
• Le frein majeur : Le premier obstacle identifié est le manque d'ambition stratégique ou politique (74%). Viennent ensuite le manque de temps (51%) et de moyens (49%).
• Les besoins : Les innovateurs réclament un accompagnement stratégique (75%), des retours d'expérience (68%), et des formations spécifiques (59%). Ils privilégient les modes d'apprentissage par l'action, comme les ateliers pratiques (75%) et les formations-action (72%).
• L’« invisible » : 71% des répondants identifient des « innovateurs invisibles » qui mériteraient d'être reconnus. Ce fort besoin de valorisation et de professionnalisation appelle à la création de fiches métiers et de parcours spécifiques.
Le premier, « Acculturation à l’innovation et révélation de l’innovation invisible », commence par une question qui dérange : que met-on vraiment derrière le mot innovation dans le service public ? Le diagnostic posé au niveau national est sans appel : l’innovation publique reste mal comprise, voire invisible. Trop souvent réduite au numérique, au design ou à quelques démarches participatives, elle laisse de côté des centaines d’initiatives discrètes, menées dans l’ombre par des agents inventifs. 71 % des agents interrogés dans l’enquête du CNFPT disent connaître autour d’eux ces « innovateurs invisibles » qui font bouger les lignes sans le dire. Sur le terrain, l’innovation ne prend pas toujours la forme de la « rupture » tant recherchée. Elle se niche dans les marges, dans ce que les participants appellent la « boring innovation » : des ajustements patients, des solutions maison, des façons de faire qui améliorent le quotidien sans tambour ni trompette. Mais l’enjeu dépasse la simple reconnaissance. Il s’agit de faire de l’innovation une culture partagée. « L’administration produit des postures avant de produire des projets », rappelle Adélie Lacombe, coordinatrice du DNSEP Design public(s) à l’ESADSE, venue témoigner de l’arrivée des créatifs dans les services publics. Tester, se tromper, recommencer, chercher des problèmes plutôt que des solutions : autant de réflexes encore contre-intuitifs dans une culture administrative attachée à la maîtrise et à la norme. L’atelier a aussi sonné l’alerte contre le « solutionnisme méthodologique » : multiplier les outils — design, incubateurs, méthodes — ne suffit pas à faire naître l’innovation. Pire, cela peut la figer. « L’enjeu, c’est de préserver la diversité des approches, de garder la liberté d’expérimenter », souligne un participant. Pour rendre visible ce qui se fait déjà, les propositions fusent : soutenir les innovateurs par la hiérarchie et les élus, documenter les initiatives locales à travers un recueil de « petits trucs d’innovateurs », ou encore créer une communauté en ligne, un espace où partager astuces et réussites, à la manière d’un réseau de pairs. Au terme de la discussion, une évidence s’impose : l’innovation publique ne se décrète pas d’en haut. Elle s’invente déjà au quotidien, souvent dans le silence des bureaux et des territoires. Reste à la reconnaître, la valoriser, et lui donner les moyens de s’épanouir.
Créer de vraies fiches métiers pour les innovateurs publics
Souvent engagés dans l’ombre, les innovateurs publics portent des transformations profondes du service public sans toujours en avoir le titre ni la reconnaissance. L’atelier
« Professionnalisation et reconnaissance des innovateurs publics » a mis en lumière leur solitude, leur manque de statut et la nécessité d’une montée en compétences pour consolider ces dynamiques. Agissant souvent en marge de leurs fiches de poste, ces agents se heurtent à un déficit de reconnaissance et à des parcours professionnels flous. Beaucoup réclament la création de fiches métiers, mais aussi des formes de valorisation symbolique et matérielle. Car au-delà de l’engagement individuel, la professionnalisation apparaît comme la condition de la pérennité de l’innovation publique.
Les débats ont aussi mis en évidence l’importance des postures professionnelles. Selon Cécile Cot, présente à la plénière d’ouverture et qui a étudié le profil des chefs de projet en innovation territoriale (CPIT), ces agents se distinguent moins par leur fonction que par leur manière d’agir : ouverture à l’incertitude, coopération transversale et expérimentation. Le cas des designers dans la fonction publique illustre bien cette tension entre innovation et cadre administratif : intégrés aux équipes, ils restent pourtant sans statut reconnu. Face à ces constats, plusieurs pistes ont émergé à l’issue de cet atelier : renforcer les formations spécialisées (design, facilitation, sciences comportementales), créer un référentiel de compétences transversales porté par la DITP et le CNFPT, et développer des « espaces capacitants » favorisant l’échange entre pairs. Mais au de-delà des outils, la principale revendication des participant.e.s est d’inscrire les métiers de l’innovation publique dans les référentiels officiels, pour reconnaître enfin celles et ceux qui, chaque jour, réinventent l’action publique.
L’innovation naît de la transgression et du collectif
Sociologue affilié à Sciences Po Paris et auteur de L’innovation ordinaire, Norbert Alter a livré, en fin de journée, une analyse lucide de la nature profonde de l’innovation — un phénomène éminemment humain, bien plus qu’une question d’outils ou de méthodes.
Pour le sociologue, l’innovation publique ne diffère pas fondamentalement de celle du secteur privé : dans les deux cas, l’enjeu majeur est de transformer une invention – une bonne idée – en innovation, c’est-à-dire une idée rendue bonne par le corps social. Cette transformation passe par l’appropriation : les professionnels doivent pouvoir déformer la nouveauté pour l’adapter à leur expérience du métier. À l’opposé, l’« invention dogmatique » impose un modèle sans laisser place à cette appropriation, étouffant ainsi tout apprentissage collectif.
L’innovation, rappelle Alter, est un processus lent. Elle demande du temps pour apprendre, discuter, flâner, car ces moments informels construisent les liens et la culture nécessaires au changement. Elle suppose aussi une forme de transgression : innover, c’est souvent braver les règles établies, mais pour des raisons légitimes. Ce frottement entre innovateurs et « légalistes » est, selon lui, non pas un obstacle, mais un moteur de l’apprentissage collectif.
Loin de la figure du génie isolé, Alter décrit l’innovateur comme un « étranger », capable de regarder l’organisation avec distance et de penser le tout plutôt que les parties. Surtout, l’innovation est une œuvre collective : elle naît de la somme des compétences individuelles enrichies par les liens sociaux – convivialité, soutien, don et contre-don – qui nourrissent la dynamique du groupe. Pour les managers, la leçon est claire : l’innovation ne se décrète pas. Elle se cultive en écoutant les pratiques, les relations et les initiatives spontanées.
Chercher à mesurer ou formaliser l’engagement naturel des équipes, avertit Alter, revient souvent à le tarir. À l’inverse, reconnaître le temps de la maturation et la valeur du collectif permet d’éviter la « gesticulation managériale » – ces changements imposés qui fragilisent plus qu’ils ne transforment. Pour Norbert Alter, innover, c’est d’abord faire confiance au réel et au temps social : une leçon de sociologie autant qu’un appel à l’humilité managériale.
Politiser l’innovation et la rendre durable
« Portage institutionnel stable et formation des décideurs », c’est le titre du troisième atelier auquel Horizons publics a participé, le jeudi 2 octobre dans la matinée. Les participants ont pointé un constat sans appel : sans engagement durable des dirigeants et des élus, l’innovation publique ne peut s’enraciner. L’atelier a mis en évidence un portage encore trop inégal et fragile, fragilisé par le temps court du politique et la mobilité des hauts cadres. Résultat : des démarches interrompues, des priorités changeantes et, souvent, une perte de sens collectif. Selon l’enquête du CNFPT, 74 % des répondants identifient le manque d’ambition stratégique comme le premier frein à l’innovation. Pour les intervenants, innover, c’est avant tout manager : les projets se construisent dans la durée — parfois plus de sept ans — et nécessitent une stabilité du leadership. D’où deux leviers d’action jugés essentiels : former et acculturer les décideurs, non pas seulement aux outils, mais au sens de l’innovation.
Grégoire Kotras, directeur du Ti Lab, a rappelé qu’il était « aberrant » de réduire l’innovation au seul design. L’enjeu est aussi de politiser l’innovation pour embarquer les élus et préparer les futurs exécutifs à cette culture du changement. Garantir la continuité institutionnelle grâce à des mécanismes pérennes : budgets pluriannuels, conventions de partenariat, et ressources stables.
Christian Batal a insisté sur l’importance du management de l’aval, prenant l’exemple du Chèque emploi service dont le succès a reposé avant tout sur un pilotage solide plus que sur l’idée initiale.
Parmi les propositions issues des échanges entre participant.e.s : la création d’un dispositif « Un innovateur, un élu local », invitant les décideurs à partager, le temps d’une journée, le quotidien de l’innovation publique. Une manière concrète de rapprocher la décision de la réalité du terrain — et de rendre l’innovation moins fragile, plus incarnée.
Un atelier pour faire atterrir la conférence de Norbert Alter
Dernier atelier dans lequel Horizons publics s’est glissé, le jeudi 2 octobre en fin de matinée, celui invitant les participant.e.s à prolonger la conférence de Norbert Alter : « L’innovation ordinaire mise en débat ». Il a offert un espace de réflexion rare pour confronter les apports théoriques du sociologue à la réalité du terrain. Objectif : ancrer dans la pratique les principes de l’innovation ordinaire, ces transformations discrètes qui naissent au plus près des agents publics. Au centre des discussions, la définition même de l’innovation ordinaire : une transformation « par le bas », issue de l’expérience quotidienne, qui remet en question les cadres établis et réinvente les formes de coopération. Les participants ont souligné que « l’innovateur est souvent un étranger » au sein de son organisation — un regard décalé, indispensable pour penser le collectif autrement. Autre point clé : la distinction entre invention et innovation. Comme le rappelle Norbert Alter, une idée ne devient innovation que lorsqu’elle est rendue bonne par le corps social. L’appropriation est donc la condition première : elle suppose du temps, de la souplesse et une liberté de transformation de la nouveauté par ceux qui la font vivre.
Les échanges durant cet atelier ont également réhabilité la valeur du temps long et même de la « flânerie » — ces moments informels d’échange et d’expérimentation souvent considérés comme improductifs, mais essentiels à l’apprentissage collectif. L’innovation, ont rappelé les participants, n’est jamais l’œuvre d’un individu isolé, mais d’un groupe soudé par des liens de confiance, de convivialité et de don réciproque.
Enfin, l’atelier s’est voulu prospectif : comment soutenir ces dynamiques « par le bas » et les rendre visibles ? Parmi les idées évoquées, la tenue d’un webinaire avec Norbert Alter pour prolonger le dialogue entre théorie sociologique et pratiques de terrain. Une manière de rappeler que, dans le service public, l’innovation naît moins d’une injonction que d’une culture partagée.
Vers une culture durable de l’innovation publique ?
Ces Assises se sont clôturées par une conférence ouverte avec la montée sur scène et la prise de parole des particpant.e.s des Assises. L’occasion d’un moment de thérapie collective en mode divan pour revenir sur les tensions, les difficultés, les déceptions, les envies, les espoirs et les pistes d’action possibles pour inscrire l’innovation publique dans la durée. Céline Ziwès, facilitatrice graphique et ancienne fonctionnaire territoriale à la métropole de Rennes, a brossé sous la forme d’une fresque les principaux enseignements à tirer de ces Assises. Elle a rappelé que l’innovation dans la fonction publique n’est ni individuelle ni instantanée : c’est un processus collectif, politique et vital, qui exige un changement de posture managériale et une acceptation du temps long. Rejetant l’image du « petit brin d’herbe », elle souligne que l’innovation ne vit jamais seule. Elle prend racine dans des réseaux invisibles, des écosystèmes multiples, et nécessite un climat propice où structure et liberté coexistent. L’innovation devient alors un levier politique face aux conservatismes et aux rigidités institutionnelles. Le temps long est central. À l’image du cycle du saumon, accepter l’automne des projets est nécessaire pour préparer le printemps de la création. Le repos réfléchi, les moments informels – discussions autour d’une machine à café ou d’une chouquette – sont autant de temps de qualité qui favorisent l’appropriation collective des idées.
Les innovateurs, a insisté Céline Ziwès, sont des « êtres collectifs », où sociologues, artistes et usagers convergent. La posture clé : joie et découverte, accompagnement managérial souple, et capacité à intégrer les flops dans un processus « hyper organique », fait d’itérations et d’apprentissages permanents. Enfin, elle exhorte à partager l’innovation et sortir de sa « Batcave », pour ne pas rester isolé. L’innovation publique se cultive ainsi dans le collectif, le plaisir de l’action et l’expérimentation partagée, plutôt que dans la seule performance individuelle.
Le CNFPT s’engage à poursuivre la dynamique, avec un objectif clair : faire de l’innovation publique une discipline reconnue, professionnalisée et partagée. L’idée d’un festival de l’innovation publique pourrait peut-être voir le jour en 2026, à l’image du festival de la bureaucratie créative organisée dont la dernière édition s’est tenue à Berlin…
Quelques points d'amélioration pour l'avenir
Durant ces deux jours, plusieurs innovateurs et innovatrices ont confié à Horizons publics leur ressenti et ce qu'ils ont pensé de ces Assises. Si les fondamentaux de l’innovation publique ont été bien abordés, plusieurs témoignages ont convergé pour souligner le manque d’exemples concrets et de récits inspirants.
Pour certains, les initiatives territoriales, les flops et les apprentissages du quotidien mériteraient d’être davantage racontés et partagés pour renforcer la compréhension des pratiques innovantes.
D'autres plaident pour un passage du « pas de côté » au « pas en avant », critiquant la tendance à trop analyser l'innovation publique et à ne pas assez agir. L'idée de faire évoluer ce type de rencontres en formats plus dynamiques, inspirés des festivals, permettant à la fois de mobiliser les savoirs et de présenter les réussites ou échecs concrets, a rencontré un certain succès parmi les participant.e.s.
Autre point d'amélioration possible : être capable de répondre aux besoins d'une communauté hétérogène en adaptant les ateliers en fonction du niveau de maturité de chacun, certains innovateurs étant juniors, d'autres seniors. Parmi les idées aussi évoquées pour faire vivre la communauté,il est aussi ressorti que les seniors pourraient encadrer les juniors par du mentorat, tandis qu’un réseau structuré – par exemple un groupe WhatsApp – pourrait faciliter les échanges.