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ExpertisesChristophe Genter : « La filière du reconditionnement informatique est entrain de se structurer »

Comment équiper 2 millions de Français avec du matériel informatique reconditionné ? Cet objectif ambitieux que s’est fixé l’Etat à l’horizon 2027 à travers sa feuille de route France Numérique Ensemble, ne pourra se réaliser que si la filière du reconditionnement informatique est mieux structurée, les acteurs mieux identifiés et les initiatives locales vertueuses mieux partagées. La fragilité des modèles économiques, le manque de matériels de qualité en quantité suffisante et un portage politique trop faible au niveau local freinent également le développement de cette filière.
Dans une étude publiée le 20 mai dernier, intitulée « Reconditionnement informatique : vers une filière au service de l’inclusion numérique dans les territoires », la Banque des territoires tente de répondre à ces différentes problématiques. Elle recense près de 400 reconditionneurs actifs en France (53% sont des associations, 47% des entreprises) et préconise plusieurs leviers d’action pour déployer des boucles solidaires de reconditionnement de matériels informatiques à l’échelle locale. Elle montre aussi que les acteurs publics locaux ont un rôle essentiel à jouer. Ils peuvent impulser et coordonner des initiatives de "boucles locales" de reconditionnement solidaire, comme illustré par les exemples du Sicoval, de l'EPT Plaine Commune, de l'Eurométropole de Strasbourg ou du Conseil départemental de Lot-et-Garonne.
Christophe Genter, directeur du Département Cohésion Sociale et Territoriale de la Banque des Territoires, revient sur les enseignements à tirer de cette étude, alors que le reconditionnement informatique se trouve à la croisée des transitions écologique, sociale et économique auxquelles tous les acteurs de politiques publiques sont confrontés.
Vous venez de publier une étude inédite sur le reconditionnement informatique en France. Pourriez-vous revenir sur les principaux enseignements ?
Cette étude permet avant tout de disposer d’un premier état des lieux consolidé de la filière avec un recensement, inédit à l’échelle nationale, des près de 400 ateliers de reconditionnement informatique actifs en France. Cette filière génère aujourd’hui des milliers d’emplois partout en France, dont une grande partie relevant du champ de l’insertion par l’activité économique. Les structures de reconditionnement et les modèles économiques sont très variés : s’il y a autant d’associations que d’entreprises, on constate que les entreprises concentrent la quasi-totalité du volume reconditionné grâce à un savoir-faire, à l’achat de gisements et à leur capacité d’investissements permettant une productivité plus importante que les associations. Ces dernières ont en effet plus de mal à traiter des gros volumes : elles récupèrent généralement des gisements de moins bonne qualité et s’appuient principalement sur des bénévoles. En revanche, près des trois quarts des matériels qu’elles reconditionnent sont distribués à des publics précaires sous forme de dons ou à tarif très bas (contre seulement 9 % du matériel reconditionné par les entreprises).
Pourquoi a-t-il fallu attendre aussi longtemps pour disposer d'une telle étude ?
La filière est encore récente, la moitié des reconditionneurs recensés ont moins de 5 ans. Elle est en train de se structurer. Peu de données sont disponibles et, lorsqu’elles le sont, elles ne sont pas toujours agrégées au niveau national. Les données sont notamment difficiles à collecter auprès des acteurs de très petite taille (recycleries, repair cafés) que nous avons eu du mal à identifier. Par ailleurs, contrairement aux ventes classiques qui peuvent être quantifiées en sortie de caisse, la distribution de matériel à des publics précaires se fait par de multiples canaux, souvent sous forme de dons, ce qui rend la mesure de cette activité extrêmement complexe.
Quel rôle les collectivités locales peuvent-elles jouer pour faciliter cette filière ?
Les collectivités peuvent jouer un rôle d’impulsion et de coordination auprès de tous les acteurs qui interviennent sur la chaine de valeur : elles peuvent inciter les entreprises présentes sur leur territoire à donner leur matériel inutilisé, elles peuvent mettre en relation les donateurs, les reconditionneurs, et les prescripteurs qui savent cibler les publics bénéficiaires, et assurer la coordination des boucles locales.
Le portage politique est également très important pour soutenir les écosystèmes locaux. Grâce à la dynamique mise en place par la stratégie de l’Etat en matière d’inclusion numérique, les collectivités vont pouvoir s’appuyer sur les feuilles de route départementales France Numérique Ensemble qui ont permis de définir des objectifs et d’installer durablement les réseaux locaux d’inclusion numérique.
Vous préconisez notamment la création de « boucles locales vertueuses » reliant les étapes de collecte, de reconditionnement et de distribution ? Pourriez-vous revenir sur cette proposition ?
Agir au niveau local nous semble primordial pour plusieurs raisons qui se complètent. L’étude montre que la plupart des reconditionneurs ont une activité à l’échelle locale, parce qu’il y a un enjeu à limiter le transport des matériels collectés mais aussi parce qu’ils dépendent de financements publics locaux. La distribution solidaire à des publics précaires se fait aussi très majoritairement à l’échelle locale. L’échelle géographique la plus pertinente dépend enfin de la collectivité cheffe de file qui assure le portage politique.
Quels sont les retours d'expérience à l'échelle locale qui ont inspiré vos propositions ?
Nous avons identifié différents modèles mis en place par des collectivités ou des collectifs de reconditionneurs. Il n’y a pas de modèle unique. Les solutions locales retenues vont dépendre de l’objectif de politique publique à atteindre, de la structure cheffe de file, des financements disponibles, des publics visés.
Néanmoins, toutes les initiatives soulignent l’importance de la mutualisation des moyens et de la bonne coordination des acteurs comme facteurs de succès. Elles montrent aussi qu’équiper des bénéficiaires n’a de sens que s’ils sont également accompagnés et formés pour être autonomes dans leurs usages.
Dans toutes les boucles locales identifiées, les structures ont mis en place des ateliers d’accompagnement et de formation des publics équipés pour les accompagner dans leur prise en main du matériel qu’ils reçoivent.
Quelles aides peut apporter la banque des territoires pour soutenir les collectivités locales ?
La Banque des Territoires accompagne depuis de nombreuses années les collectivités dans le déploiement de leurs politiques publiques en matière d’inclusion numérique et de numérique responsable via différents outils : accompagnement du programme France services, déploiement des conseillers numériques, financements des réseaux associatifs, investissements dans des entreprises, financements d’accélérateurs, mise à disposition d’ingénierie financière et territoriale, etc. Elle continuera d’accompagner les acteurs publics et privés et de contribuer aux réflexions pour lever les freins identifiés dans l’étude : sensibiliser les donateurs, améliorer les circuits de collecte, travailler sur la labellisation et sur la traçabilité des matériels reconditionnés, travailler sur la coordination des acteurs à l’échelle locale, chercher des sources de financements pour que chacun, en tout point du territoire, puisse bénéficier des opportunités offertes par le numérique et ne soit pas empêché dans ses usages.