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Parité : sortir du labyrinthe d’obstacles !

Le 6 octobre 2025

Entre plancher collant, parois de verre, plafond de verre et falaise de verre, la parité semble emmurée dans un labyrinthe d’obstacles. Comment en sortir et déconstruire ?

Nous sommes en 2025. Et les perspectives en matière de droits des femmes et d’égalité sont… aux alertes. Les Nations Unies constatent le recul du droit des femmes dans le monde1. En France, le Haut Conseil à l’égalité2 prévient : le débat sur l’égalité se polarise pendant que les inégalités sociales et économiques perdurent. De l’école au marché du travail, « plus diplômées que les hommes, les femmes n’accèdent pourtant pas aux postes et aux métiers les mieux considérés et les plus rémunérateurs », constate la Cour des comptes3.

Dans la fonction publique territoriale (FPT), les femmes représentent 61 % des effectifs. Une majorité numérique trompeuse : elle masque une réalité persistante d’inégalités profondes dans l’accès aux responsabilités, aux leviers stratégiques et à la décision4. La parité semble acquise sur le papier, elle avance dans les plans et les textes normatifs.

LE CONCEPT DE LABYRINTHE FORMULÉ PAR ALICE EAGLY ET LINDA L. CARLI

Source : Orse - étude no 5, février 2004.

Sur le terrain, la parité reste entravée par un enchevêtrement d’obstacles invisibles. Le concept de labyrinthe, formulé en 2007 par Alice Eagly et Linda L. Carli5, analyse les parcours féminins vers les postes de pouvoir : loin d’une progression linéaire, les femmes avancent à travers couloirs étroits, fausses issues et pièges, dont celui de la falaise de verre. Comprendre ces blocages systémiques est indispensable pour refonder une parité réelle, bénéfique à toutes les femmes à tous les échelons.

Visite guidée du labyrinthe : attention, ça pique !

Plafond de verre, parois de verre, plancher collant, falaise de verre, verrous salariaux sont désormais des outils d’analyse pour décrire les formes concrètes de la ségrégation professionnelle envers les femmes.

 

« Les mots et les choses » 6 : plafond, murs, parois, falaises, verrous

La réalité de la parité, pour être décryptée, est devenue métaphores et concepts. Plafond de verre, parois de verre, plancher collant, falaise de verre, verrous salariaux : ces expressions sont désormais des outils d’analyse, intégrés dans les sciences sociales pour décrire les formes concrètes de la ségrégation professionnelle envers les femmes.

Du public au privé, les constats sont convergents : la parité est désormais un objectif, volontaire ou imposé, mais pas une réalité. Elle se heurte à des représentations socioculturelles puissantes, des biais implicites intégrés dès l’enfance, des dynamiques de pouvoir, une organisation du travail historiquement pensée par et pour des hommes, enracinée dans des normes et de rôles genrés profondément enracinés.

Le plancher collant : l’immobilisme contraint !

En 1992, la sociologue White Berheide décrypte les mécanismes qui maintiennent les femmes au bas de l’échelle de l’emploi dans des situations de rémunération et de mobilité faibles. Ces obstacles concernent essentiellement les femmes exerçant des emplois majoritairement féminisés (secrétaires, infirmières, serveuses, employée administrative, service d’entretien, aides aux personnes, etc.).

Le magnétisme de ce plancher résulte d’intériorisations, de représentations, de contraintes sociales (les filières techniques ce n’est pas pour les femmes, la charge familiale, le manque de confiance, etc.) et d’injonctions contradictoires (être disponible, mais ne pas abandonner ses enfants ; être compétente, mais pas trop ambitieuse, etc.).

Anticipant des déséquilibres personnels, familiaux ou managériaux, certaines femmes renoncent d’elles-mêmes à postuler pour une promotion.

Mais ce retrait n’est pas seulement une affaire d’« auto-censure » : il résulte d’un système dans lequel l’information circule de façon inégale, où les règles du jeu ne sont pas les mêmes pour toutes et tous.

Résultats, ce sont des chiffres qui se suffisent à eux-mêmes :

  • 70 % des primes sont perçues par des hommes. Dans la fonction publique territoriale, les primes représentent 20 % du salaire brut annuel des hommes, 15 % pour les femmes ;
  • 60 % des emplois peu ou non qualifiés sont occupés par des femmes ;
  • 80 % des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes ;
  • 70 % des bas salaires sont perçus par les femmes, ce qui est aussi le cas dans la fonction publique territoriale.

Les parois de verre : le cloisonnement stratégique !

Le cloisonnement stratégique, des femmes dans des secteurs perçus comme non clefs est symbolisé par la notion de parois de verre.

Même lorsqu’elles accèdent à des postes à responsabilités, les femmes sont cantonnées à des fonctions dites support ou périphériques : communication, ressources humaines, social, scolaire, etc., rarement aux finances, développement, numérique ou à la direction générale.

Dans les collectivités, cela se traduit par une surreprésentation féminine dans les directions du social, de l’enfance, de la culture ou des ressources humaines. À l’inverse, les finances, les systèmes d’information ou les services techniques restent des bastions masculins. Concrètement et selon les chiffres de 20217 analysés par l’Observatoire de la parité de Dirigeantes & Territoires8, on retrouve 95 % de femmes dans les emplois fonctionnels du médico-social, 95 % du social, 83 % de l’administratif, 81 % du médico-technique, 73 % de l’animation. Plus de 80 % des femmes se concentrent dans cinq métiers territoriaux alors qu’elles sont sous-représentées dans les filières techniques.

Ce cloisonnement, qui rend tout changement de filière ou de métier difficile, n’est effectivement pas neutre. Il repose sur le biais cognitif selon lequel certaines compétences seraient « naturellement » féminines et d’autres masculines, éloignant toujours un peu plus les femmes des sphères stratégiques.

Le (fameux) plafond de verre : l’ultime frontière !

Le plafond de verre est sans doute la métaphore la plus connue aujourd’hui. Elle désigne ces limites invisibles, mais bien réelles, qui empêchent les femmes d’accéder aux postes les plus élevés, malgré leurs compétences ou leur ancienneté.

Cette barrière, difficilement perceptible par ceux qui n’y sont pas confrontés, se manifeste par des freins multiples : présomption d’incompétence, entre-soi masculin, absence de rôle modèle, surcharge mentale, biais implicites dans les processus de sélection, etc.

Le concept renvoie à une forme de discrimination verticale. Issu de la sociologie du travail et des sciences de gestion, il désigne toute situation où une personne se heurte à des mécanismes qui l’empêchent d’accéder aux plus hauts niveaux hiérarchiques.

Théorisé dans la sociologie féministe américaine dès les années 1970, et popularisé en 1986 dans un article du Wall Street journal, le concept de plafond de verre a été introduit en France par Jacqueline Laufer, professeure émérite à l’École des hautes études commerciales (HEC), qui constate que, dans tous les pays et dans toutes les organisations, « partout, les femmes deviennent rares à mesure que l’on s’élève dans la hiérarchie » 9.

Et, là encore, les chiffres sont sans appel.

En 2025, les femmes représentent seulement 6,25 % des présidences et directions générales d’entreprises du CAC40 dans le monde. En France, en 2024, elles représentaient 4,35 % des Premiers ministres sous la Ve République, 20 % des directions de cabinets ministériels, 36 % des députés (en baisse)10.

Depuis 2019, dans la fonction publique territoriale, la parité est atteinte au niveau cadre11, mais, en 2023, seulement 24 % des directions générales de services de collectivités de plus de 40 000 habitants sont occupées par des femmes12. Elles ne sont que 12,9 % dans les départements, 35,3 % dans les régions. Le dispositif des nominations équilibrées (DNE) a certes apporté des progrès, mais à ce rythme, le plafond de verre ne sera fissuré que dans soixante-six ans, selon l’Observatoire de la parité de Dirigeantes & Territoires.

La falaise de verre (glass cliff) désigne le phénomène par lequel « les femmes arrivées à des postes stratégiques sont exposées de manière disproportionnée à des situations précaires ou intenables ».

La falaise de verre : le leadership piégé !

Concept plus récent popularisé par deux psychologues, Michelle Ryan et Alex Haslam de l’université d’Exeter en 2004, la falaise de verre (glass cliff) désigne le phénomène par lequel « les femmes arrivées à des postes stratégiques sont exposées de manière disproportionnée à des situations précaires ou intenables ».

Situation pernicieuse d’égalité apparente, la falaise de verre témoigne de ce que les femmes sont davantage nommées à des postes de pouvoir en période de crise, d’instabilité ou de transformation, lorsque le risque d’échec est le plus élevé. Les analyses montrent que ces situations sont propices à l’ouverture des règles, à la différence et que le recours aux femmes est alors possible, explique Dalale Belhout13.

Confrontées au plafond de verre, les femmes ont tendance à davantage accepter ces nominations. Elles pensent avoir brisé le plafond de verre, mais : « Elles sont promues au bord du précipice. Exposées à l’échec dès leur arrivée. » 14

Si les femmes nommées échouent, on leur reprochera leur incompétence ; si elles réussissent, leur victoire sera relativisée à l’aide de stéréotypes (les femmes sont plus patientes, résilientes, humbles, loyales, obéissantes, habituées à gérer les problèmes et prêtes à accepter des tâches plus ingrates)15. On pense ici à Theresa May, Isabelle Kocher, Elisabeth Borne, Valérie Pécresse, etc.

La somme de tous les mécanismes discriminatoires précédents aboutit au verrou ultime dans lequel sont encore enfermées les femmes : l’inégalité salariale. Dans la fonction publique territoriale, en 2022, les femmes gagnent 177 euros nets de moins par mois que les hommes. Même dans les 10 % de fonctions les mieux rémunérées, les femmes (48 %) gagnent 6,8 % de moins que leurs homologues masculins.

L’auto-organisation et la sororité : des leviers pour la parité

Ces mécanismes systémiques, bloquants pour les femmes, ont pu être mis au jour grâce aux données – encore rares, souvent peu actualisées –, mais recueillies, structurées et analysées. C’est la mission de l’Observatoire de la parité de Dirigeantes & Territoires.

Documenter les inégalités, fissurer les murs et reconstruire une maison commune sur les bases de l’égalité réelle, c’est la raison d’être de réseaux, composés de femmes et d’hommes (en minorité ici, il faut bien le dire), comme Dirigeantes & Territoires. Des réseaux auto-organisés comme levier de plaidoyers, de partages d’expérience, d’entraides et de renforcement du pouvoir d’agir des femmes.

L’objectif n’est pas essentialiste, à savoir de renverser les chiffres, mais simplement d’atteindre la parité. La parité ouvre la diversité dont les effets bénéfiques sont de plus en plus documentés : sur la qualité et la durée des processus de paix, la performance, les conditions de travail, sur la qualité et l’efficacité du management, des décisions et du service public, etc.

Sortir du labyrinthe, ce n’est pas seulement ouvrir des portes. C’est tout reconstruire, depuis les fondations. La question de la parité ne se résume pas à une affaire de représentations, mais à une transformation profonde des organisations et des imaginaires du pouvoir. Parce que l’égalité ne menace pas la performance, elle en est la condition ; les femmes ne sont pas une variable d’ajustement, elles représentent la moitié des talents ; la diversité, loin d’être un risque, est une ressource économique et démocratique.

Il est temps de sortir du labyrinthe et de le déconstruire.

Pour Morgane Dion16, il est trop souvent demandé aux femmes de s’adapter au système : d’être plus ambitieuses, plus visibles, plus stratégiques. Et l’autrice de proposer de changer les règles du jeu : « Il est temps de remettre en question ce que l’on pensait savoir des femmes, de leur travail, des structures et des pratiques qui perpétuent les inégalités de genre, et de travailler à un environnement professionnel véritablement inclusif et équitable. »

  1. Nations Unies, « Un pays sur quatre fait état d’un recul des droits des femmes en 2024 », news.un.org 20 mars 2025.
  2. Haut Conseil à l’égalité, État du sexisme en France. À l’heure de la polarisation, rapp. no 2024-01-22-STER-61, 22 janv. 2025.
  3. Cour des comptes, Les inégalités entre les femmes et les hommes, de l’école au marché du travail, rapp., janv. 2025.
  4. Voir les infographies de l’Observatoire de la parité de Dirigeantes & Territoires relatives au pourcentage de femmes accédant aux postes de direction générale.
  5. Eagly A. et Carly L. L., “Women and the Labyrinth of Leadership’’, Harvard Business Review 2007.
  6. Titre du célèbre essai de Michel Foucault, paru en 1966 aux Éditions Gallimard, dans lequel il propose « une archéologie des sciences humaines » et analyse l’épistémè : socle d’idées préconçues qui détermine et limite les connaissances d’une époque.
  7. Colin S. et Godefroy P., Caractéristiques des agents de la fonction publique en 2021, 15 déc. 2023, DGAFP.
  8. Dirigeantes & Territoires, Observatoire de la parité, rapp., juin 2024.
  9. Laufer J., « Femmes et carrières : la question du plafond de verre », Revue française de gestion 2004, no 151 « Femmes et carrières », p. 117-127.
  10. Ministère chargé de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations, Vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Chiffres-clés-Édition 2024.
  11. Forment V. et Vidalenc J., « Les cadres : de plus en plus de femmes », Insee Focus 25 sept. 2022, no 205.
  12. Selon l’Observatoire de la parité de Dirigeantes & Territoires, depuis 2021, le nombre de femmes DGS dans les départements stagne. Il est passé de 12,3 à 12,9 %. Il progresse dans les établissements publics de coopération intercommunale, de 22 à 23,7 %, ainsi que dans les régions, où il atteint 35,3 % en 2025 (31,2 % en 2021). Au niveau communal, la tendance générale est révélatrice : plus la taille de la commune est petite, plus on trouve des DGS femmes.
  13. Belhout D., « Après le plafond, la falaise de verre : faire appel aux femmes en temps de crise », digitalrecruiters.com 2 janv. 2023.
  14. Ouibrahim C., « Après le plafond de verre, attention à la falaise de verre, ce piège qui menace votre carrière », Revue Psychologies juin 2025.
  15. Bruckmüller S. et Branscombe N. R. “How ‘Women End Up on the ‘Glass Cliff’”, Harvard Business Review janv.-févr. 2011.
  16. Dion M., Les gentilles filles ne réussissent pas. Manuel de combat pour l’égalité au travail, 2024, Éditions Eyrolles.
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