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De l’égalité prescrite à l’égalité réelle : la preuve par la QVCT

Le 17 septembre 2025

Et si la qualité de vie et des conditions de travail (QVCT) était un levier clef pour faire avancer l’égalité réelle ? C’est ce qu’établit l’étude « S’engager pour l’égalité femmes-hommes : un bénéfice pour toutes et tous »1.

Dans un contexte où les inégalités femmes-hommes persistent, y compris dans la fonction publique territoriale, la qualité de vie et des conditions de travail (QVCT), entendue comme une démarche visant à améliorer les conditions d’exercice du travail en articulant bien-être des agents et performance du service public2, constitue un levier structurant pour faire progresser l’égalité réelle.

« L’égalité des sexes […] est essentielle à la mise en place de sociétés pacifiques dotées d’un plein potentiel humain et d’un développement durable », rappelle l’Organisation des Nations Unies (ONU)3. Pourtant, elle demeure l’un des plus grands défis en matière de droits fondamentaux et ce potentiel reste entravé dans le monde professionnel.

À l’échelle mondiale, les femmes gagnent 77 % du salaire des hommes. En France, en 2023, l’écart est de 22,2 % 4, chiffre qui ne baisse pas en 2025. Dans la fonction publique, en 2024, il atteint 10,6 % 5. Pour 76 % des personnes interrogées dans le rapport 2025 du Haut Conseil à l’égalité (HCE), c’est dans le monde du travail que les inégalités de traitement entre les hommes et les femmes sont le plus fortes6. D’ailleurs, 9 % des salariés et 14 % des fonctionnaires déclarent avoir été victimes de discriminations au travail, dont le genre est l’une des principales causes.

Ces inégalités, qui affectent la qualité de vie au travail, la santé mentale et physique des personnes, résultent de mécanismes structurels bien identifiés : inégal accès aux postes à responsabilité, répartition genrée des filières et des métiers, surcharge mentale liée à la conciliation des temps personnels et professionnels, violences sexistes et sexuelles, etc.

Pour franchir le cap du changement systémique vers l’égalité réelle, des leviers existent et sont activables. La QVCT en est un. C’est ce que démontrent Sarah Daunay, Jean-Thomas Eldin-Rouanet et Valérie Strock-Huttepain dans l’étude précitée, publiée en 2024 par l’Observatoire social territorial de la Mutuelle nationale territoriale (MNT), en partenariat avec l’Association des administrateurs territoriaux de France (AATF) et le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT). Les auteurs plaident pour une gouvernance plus intégrée de la QVCT et de l’égalité ainsi que pour une approche de l’égalité professionnelle fondée non sur les seuls indicateurs, mais sur les pratiques, les postures et les représentations.

La fonction publique territoriale, avec ses 1,9 million d’emplois permanents, dont 61 % occupés par des femmes, est un terrain particulièrement stratégique pour déployer des démarches intégrées de QVCT et d’égalité.

Quand les Collectivités locales expérimentent

La fonction publique territoriale (FPT), avec ses 1,9 million d’emplois permanents, dont 61 % occupés par des femmes, est un terrain particulièrement stratégique pour déployer des démarches intégrées de QVCT et d’égalité.

Employeurs, garants de l’intérêt général et porteurs de politiques publiques, les collectivités locales et les établissements publics locaux se doivent d’être exemplaires et à l’image de la société qu’ils servent, composée pour moitié de femmes. Ils disposent de leviers efficaces pour essaimer, et agir sur l’égalité via les politiques publiques qu’elles adoptent et l’outil de la commande publique.

De plus en plus, les collectivités entament une véritable révolution culturelle en affirmant des actions fortes, telles que le pilotage stratégique de l’égalité et la co-construction des plans égalité femmes-hommes avec les agentes et les agents. Elles s’engagent également dans une intégration des démarches d’égalité et de QVCT qui sont vectrices d’améliorations du travail et d’égalité réelle.

QVCT : petit rappel historique

Un rapide retour sur l’histoire de la QVCT éclaire la puissance du concept pour l’égalité réelle. D’abord, son ancêtre, la notion de qualité de vie au travail (QVT) émerge avec l’Accord national interprofessionnel (ANI) de juin 20137, qui associe amélioration des conditions de travail et performance des organisations. Les partenaires sociaux y définissent la QVT comme un ensemble d’actions visant à concilier bien-être des salariés et efficacité collective.

En 2020, un second ANI8 vient renforcer cette approche en mettant l’accent sur les conditions réelles d’exercice du travail, les risques professionnels et le sens du travail. Le concept évolue alors en QVCT, pour souligner la centralité des questions liées à l’organisation, la charge, les horaires, ou encore la coopération. Cette appellation est entérinée par la loi du 2 août 20219, qui inscrit la QVCT dans le Code du travail.

Dans le secteur public, la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) et l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) adaptent cette dynamique en promouvant une QVCT fondée sur l’expression des agents et la qualité du service rendu. L’engagement au travail y est reconnu comme levier de performance et d’innovation, à condition que les organisations placent durablement les enjeux du travail au cœur de leurs stratégies.

Égalité et QVCT : une union vertueuse

Dès 2015, l’interdépendance entre égalité professionnelle et QVT était reconnue dans la loi de « Modernisation du dialogue social » 10.

L’égalité professionnelle (et la conciliation des temps de vie) fait partie des six leviers (interdépendants) de la QVCT au côté des relations sociales et du climat de travail ; du contenu du travail ; de la santé au travail ; des compétences et parcours professionnels. Ces leviers structurent une approche intégrée du travail, centrée sur la participation des agents et l’amélioration continue des organisations.

Dès 2015, l’interdépendance entre égalité professionnelle et QVT était reconnue dans la loi de « Modernisation du dialogue social ».

L’incorporation de l’égalité professionnelle dans la démarche de QVCT permet d’aborder des thèmes étroitement imbriqués entre eux et de travailler sur les impacts réciproques des actions conduites.

Or, comme l’explique l’économiste Thomas Coutrot11, le travail est aussi un lieu de transformation sociale. Il reflète les normes, les rapports de pouvoir et les inégalités systémiques. Interroger les conditions concrètes d’exercice du travail permet ainsi de faire émerger les causes premières des inégalités et d’agir en profondeur. À l’inverse, mettre en œuvre une politique d’égalité ambitieuse permet d’interroger les normes dominantes (souvent masculines) qui valorisent certains comportements (compétition, réseau, disponibilité illimitée) au détriment d’autres (coopération, médiation, écoute).

L’objectif est de faire progresser l’égalité de traitement entre femmes et hommes à partir des conditions concrètes dans lesquelles se déroule leur travail. Et, parce qu’elle interroge les conditions concrètes du travail, la QVCT devient une clef de lecture des inégalités et un vecteur puissant de leur réduction.

La QVCT, révélatrice et motrice d’égalité réelle

En explorant les conditions de travail, la QVCT met au jour les racines organisationnelles des inégalités : répartition genrée des métiers, accès différencié à la formation ou à l’information des ressources humaines, surcharge mentale, invisibilisation de la parentalité masculine ou des rôles d’aidants.

Elle permet d’engager des actions concrètes : horaires flexibles, égalité d’accès aux congés, soutien aux pères, jours enfants malades, révision des critères d’évaluation et de promotion.

Elle interroge également les pratiques managériales : décision participative, ergonomie, articulation des temps de vie. Cette approche globale fait de la QVCT un indicateur de robustesse organisationnelle, de justice interne et d’attractivité.

La QVCT révèle les externalités positives de l’égalité professionnelle : les avancées pour les femmes bénéficient à l’ensemble des agents. L’équilibre vie privée-vie professionnelle, par exemple, a été longtemps revendiqué par les femmes et est, depuis la crise covid, partagé par les jeunes générations, quel que soit le genre.

En intégrant les démarches de QVCT et d’égalité, les collectivités locales peuvent devenir des laboratoires de transformation systémique.

Ces démarches permettent également de traiter des sujets longtemps invisibilisés : charge mentale, syndrome de l’imposteur, sous-recours aux droits, violences sexistes et sexuelles au travail. En les intégrant dans un cadre structurant, les collectivités renforcent la cohésion, la santé au travail et la performance.

En intégrant les démarches de QVCT et d’égalité professionnelle, les collectivités locales peuvent devenir des laboratoires de transformation systémique, où l’égalité n’est pas uniquement une case à cocher, mais un moteur d’action collective et d’innovation publique. C’est un puissant levier de transformation publique, au service du sens au travail, de la qualité organisationnelle, de la performance durable et de la qualité du service rendu aux citoyens. À l’heure où le travail est en profonde mutation, la QVCT nous rappelle une chose essentielle : pour transformer l’égalité, il faut transformer le travail !

  1. Daunay S., Eldin-Rouanet J.-T. et Strock-Huttepain V., « S’engager pour l’égalité femmes-hommes : un bénéfice pour toutes et tous », L’Observatoire MNT juill. 2024, no 31, en partenariat avec l’AATF et le CNFPT.
  2. DGAFP-ANACT, Référentiel pour l’élaboration de chartes sur la qualité de vie et des conditions de travail (QVCT) dans la fonction publique, juin 2025.
  3. Nations Unies, L’égalité des sexes (https://www.un.org/fr/gender-equality/index.html).
  4. Insee, Les inégalités salariales entre les femmes et les hommes mesurées par l’Insee. Des inégalités de salaires, de volumes de travail et d’emplois occupés, 3 mars 2025.
  5. Massis D., « Les écarts de rémunération brute entre les femmes et les hommes fonctionnaires dans les ministères en 2024 », Stats rapides mars 2025, no 16.
  6. « Stéréotypes, inégalités, violences… Le sexisme ne faiblit pas en France », vie-publique.fr 21 janv. 2025.
  7. « Accord national interprofessionnel (ANI) du 19 juin 2013 “Qualité de vie au travail” », santetravail-fp.fr 13 juin 2026.
  8. « Accord national interprofessionnel (ANI) du 9 décembre 2020 sur la santé au travail et la QVCT », santetravail-fp.fr 9 déc. 2020.
  9. L. no 2021-1018, 2 août 2021, pour renforcer la prévention en santé au travail.
  10. L. no 2015-994, 17 août 2015, relative au dialogue social et à l’emploi.
  11. Coutrot T., « Le bras long du travail : conditions de travail et comportements électoraux », Document de travail de l’Ires 2024, no 1. Coutrot T. et Perez C., Redonner du sens au travail. Une aspiration révolutionnaire, 2022, Le Seuil, La république des idées.
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