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Dans les secrets de fabrication de l’eXtrême Défi Mobilité

Le 4 novembre 2025

Transformer une méthode d’innovation par mission qui marche en mode d’emploi pour l’appliquer à d’autres secteurs, c’est le défi qu’ont relevé, le 11 juillet 2025, plus d’une vingtaine d’innovateurs réunis au siège de l’ADEME Île-de-France à Montrouge en petit comité. Reportage au cœur d’une journée de débriefing où se dessinent, entre espoirs et défis, l’innovation et la mobilité de demain.

Lancé en 2022, porté par l’ADEME et financé par France 2030, le programme national l’eXtrême Défi Mobilité (XD Mobilité) vise un objectif : réduire la dépendance à la voiture thermique dans les territoires ruraux et périurbains où les alternatives manquent. Comment ? En créant une filière de « vélis », des « véhicules intermédiaires », des véhicules légers, économiques, électriques, réparables et écoconçus, pensés pour les petits trajets du quotidien.

Trois ans après le lancement de ce programme, 100 prototypes de vélis ont été testés dans 20 territoires, dont 10 ont atteint le stade industriel. L’ADEME ayant joué un rôle d’accélérateur pour des dizaines de constructeurs. L’occasion, au-delà du bilan, de faire « l’eXtrême débrief » de ce programme, avec l’aide de la 27e Région, laboratoire de transformation publique bien connu des collectivités, lors d’une journée en petit comité.

Un débrief en petit comité

Comment fonctionne-t-il ? Qu’est-ce qui fait sa singularité, et quels sont ses principes actifs, les pratiques et les théories qu’il mobilise ? Pourraient-ils être appliqués à d’autres thèmes que la mobilité ou la logistique ? Environ vingt-cinq innovateurs (consultants, chercheurs, designers, chargés de missions mobilité en collectivité ou dans l’association La fabrique des mobilités, chef de projet en collectivités, etc.) ont répondu à l’invitation.

À l’initiative de cette rencontre, Gabriel Plassat, père de la méthode eXtrême Défi, une approche collaborative qui mêle prototypage accéléré, intelligence collective et ancrage territorial : « Il s’agissait de prendre du recul sur la méthode elle-même – ses processus, ses temporalités, ses limites – pour en faire un guide reproductible », nous a-t-il confié en marge de cette journée (lire son interview dans l’encadré, p. 64 et s.).

Ce débrief a commencé par un premier tour de table le matin pour briser la glace suivie d’une série d’ateliers participatifs l’après-midi pour identifier les points forts et points faibles du programme. Dans la salle de conférence transformée en laboratoire le temps d’une journée, les prises de parole s’enchaînent. Alexandre évoque une initiative « tentaculaire », Fabien de La fabrique des mobilités souligne « le génie de l’eXtrême Défi, c’est sa dimension collective. On apprend à penser comme Gabriel [Plassat] : en systémique, sans silos ». Alex rappelle, données à l’appui, la valeur créée par l’eXtrême Défi au service de l’intérêt général. Venant d’un territoire rural, Pauline raconte comment des auxiliaires de vie expérimentent les vélis, transformant concrètement les services de proximité : « Grâce aux vélis, nos auxiliaires de vie ont gagné en autonomie. La méthode nous a appris à prototyper vite, sans peur de l’échec. » Tristan, lui, a exploré les applications de l’XD à la logistique, relevant la « différence d’acteurs » entre les domaines, tandis que Julie détaille les « 30 vélis déjà en location dans 15 territoires », non sans alerter sur des zones grises réglementaires. Et déjà, l’horizon s’élargit : François-Xavier annonce un nouveau chantier sur la sobriété numérique, quand le prospectiviste Jacques-François Marchandise salue « l’admiration que suscite ce format d’innovation », rappelant ses cousinages avec le programme Reset1 porté par l’ex-Fing.

Les vélis ont un potentiel évident, mais un obstacle demeure : leur coût. « Trop chers », reconnaissent les acteurs, d’autant que les aides publiques et la fiscalité ne suivent pas, contrairement au secteur automobile. Les premiers marchés visés sont clairs : collectivités, flottes, logistique. Les particuliers viendront plus tard. Autour de la table, les propositions fusent : aides à l’achat, fiscalité avantageuse, intégration dans les objectifs de la loi d’orientation des mobilités (LOM)2. L’ambition affichée est vertigineuse : 3,5 millions de vélis en circulation dans dix ans, 400 000 à 500 000 ventes annuelles, 25 TWh économisés, 5 millions de tonnes de CO2 en moins chaque année.

Une méthode qui essaime

Mais l’eXtrême Défi dépasse le seul objet du vélis. Ce qui se joue ici, c’est l’invention d’une méthode : agile, réplicable. À l’issue de ce débrief, les participants repartent déjà avec quelques recettes : commencer petit, construire une communauté diversifiée (mélanger « gens de terrain » et « décideurs ») ou encore obtenir des résultats rapides et les médiatiser.

L’eXtrême Défi, c’est l’anti-bullshit, lance un participant en souriant. On ne fait pas semblant d’innover : on teste, on échoue, on recommence. Et ça marche. »

À la fin de la journée, l’énergie est toujours palpable. « L’eXtrême Défi, c’est l’anti-bullshit, lance un participant en souriant. On ne fait pas semblant d’innover : on teste, on échoue, on recommence. Et ça marche. »

En toile de fond, l’enjeu est de dupliquer la méthode dans d’autres domaines des politiques publiques. « Actuellement, deux autres programmes sont déjà en cours, en phase d’idéation : l’eXtrême Défi Logistique et l’eXtrême Défi Bioéconomie. Un troisième est en préparation sur les textiles, et peut-être un sur le numérique », confie Gabriel Plassat dans l’entretien qu’il nous a accordé à l’issue de la journée (lire dans l’encadré). L’objectif est de réduire progressivement l’implication de l’ADEME pour laisser les écosystèmes s’approprier la dynamique. En filigrane, une conviction : le vélis n’est pas qu’un véhicule. C’est un levier. Pour la transition énergétique, pour la souveraineté industrielle et pour une nouvelle façon de concevoir l’action publique.

« Si on y arrive, ce sera une révolution silencieuse », murmure un chercheur. La transition, ce n’est pas remplacer une voiture par une autre. C’est repenser toute la chaîne : l’usage, la fabrication, l’économie, etc. Et ça, l’eXtrême Défi le fait. »

Pour aller plus loin

https://xd.ademe.fr/

Gabriel Plassat
« Nous souhaitons répliquer la méthode
de l’eXtrême Défi Mobilité. »

À l’issue de cette journée sur « l’eXtrême Debrief, eXtrême Défi (XD) Mobilité », Gabriel Plassat, l’un des initiateurs de cette méthode, a accordé à Horizons publics une interview pour faire le point sur ces trois années d’efforts et se projeter dans l’avenir de la mobilité.

Nous sommes ici aujourd’hui pour réfléchir à la méthode eXtrême Défi (XD) Mobilité. Quel était l’objectif de cette démarche et de cette approche ?

L’objectif de cette journée en particulier était de prendre du recul, avec un groupe d’environ 15 à 20 personnes, sur notre méthode. Cela englobe le processus que nous avons mis en place, les moyens déployés, les temporalités et notre façon de travailler avec les différents acteurs. L’idée est de produire un guide de mise en œuvre, d’identifier les problèmes que cette méthode peut résoudre ou, au contraire, ceux qu’elle ne peut pas aborder, et de définir le profil des acteurs ou porteurs de projets qui peuvent l’utiliser.

Plus globalement, le programme XD Mobilité, mené par l’ADEME et financé par France 2030, entre 2022 et 2025, avait un objectif national clair : répondre à notre dépendance à la voiture thermique, particulièrement dans les zones périurbaines et rurales. Nous visions la création d’une filière de « véhicules intermédiaires » (« vélis »), qui soient légers, économiques, réparables et écoconçus, adaptés aux besoins locaux. C’est une approche systémique qui combine innovation, usage, production distribuée et évolution réglementaire.

Nous arrivons donc aux trois ans de cette méthode. Quel bilan tirez-vous en tant qu’initiateur de l’eXtrême Défi (XD) Mobilité ?

En trois ans, nous avons accompli plusieurs choses significatives. Du côté de l’offre, nous avons non seulement produit et financé un certain nombre de livrables, notamment plus de 100 prototypes de véhicules, mais nous avons aussi vu 10 projets atteindre le stade industriel. L’ADEME a révélé et accéléré des dizaines de constructeurs, les accompagnant vers l’industrialisation des vélis.

Nous avons également mis en place des expérimentations territoriales dans plus de vingt zones. Un aspect crucial a été de faire le lien entre les sciences humaines et sociales et les sciences de l’ingénieur. Cela nous a permis de dessiner une infrastructure pour comprendre les besoins des utilisateurs et aider les constructeurs à concevoir plus rapidement des véhicules qui y répondent vraiment. Enfin, et c’est un livrable majeur, nous avons réussi à rassembler une véritable communauté. Cela inclut les constructeurs, bien sûr, mais aussi les territoires, les utilisateurs aux différents cas d’usage, des chercheurs en sciences humaines et sociales, en sécurité, et en mobilité. Nous avons également mobilisé les acteurs publics au sein des ministères pour créer les conditions de succès de cette filière et encourager l’adoption quotidienne de ces véhicules.

Nous avons également mis en place des expérimentations territoriales dans plus de vingt zones. Un aspect crucial a été de faire le lien entre les sciences humaines et sociales et les sciences de l’ingénieur.

Justement, vous parlez de communauté. De combien de personnes ou d’acteurs est-elle composée aujourd’hui ?

C’est une communauté assez vaste. En gros, nous avons une centaine de constructeurs impliqués, allant d’associations d’entrepreneurs à de grandes PME industrielles. Nous comptons vingt à vingt-cinq territoires directement impliqués dans les expérimentations, et d’autres souhaitent nous rejoindre. Une dizaine de laboratoires et de chercheurs en sciences humaines et sociales, sécurité, et mobilité sont également partie prenante. Et pratiquement tous les ministères concernés sont associés. Au total, cela représente plusieurs centaines de personnes avec lesquelles nous travaillons au quotidien, sur différents objectifs et temporalités.

Aujourd’hui, on évoque beaucoup l’enjeu de la mise à l’échelle. Est-ce le prochain grand chantier du programme pour lui donner un nouvel élan ?

Oui, absolument, c’est bien cela. Ces trois premières années ont permis de démontrer qu’il y avait des industriels intéressés et compétents dans ce domaine, et qu’il existait une multitude de cas d’usage potentiellement pertinents. Le défi majeur est maintenant de rendre ces véhicules économiquement attractifs. Actuellement, ils sont un peu trop chers, notamment parce qu’il n’y a aucune aide publique à l’achat pour ces véhicules, contrairement à l’automobile, et la fiscalité n’est pas encore adaptée.

Pour passer à l’échelle, dans cette deuxième étape, nous allons d’abord cibler les marchés les plus intéressés, comme les collectivités, les flottes et la logistique. Le marché des particuliers viendra ensuite, car il est plus difficile en termes de chronologie. Aujourd’hui, le succès de la Citroën Ami ou des quadricycles de constructeurs historiques comme Aixam ou Ligier représente environ 30 000 à 40 000 véhicules neufs vendus en 2023.

Notre objectif à dix ans est ambitieux mais crédible et souhaitable : viser un parc de 3,5 millions de vélis avec des ventes annuelles de 400 000 à 500 000 unités. Un tel volume correspond aux besoins identifiés : plus de 2 millions de véhicules dans les flottes sont à verdir, 3,8 millions de voitures ont des vignettes Crit’Air 4 ou 5, et près de 2 millions de voitures appartiennent aux 10 % des Français les plus modestes.

Pour réaliser cet objectif, nous devons mettre en place des mesures concrètes. Cela passe par un peu d’aide à l’achat et une fiscalité plus avantageuse. Par exemple, si nous rendons les véhicules intermédiaires éligibles aux objectifs de verdissement des flottes définis par la loi LOM, cela intéressera beaucoup les gestionnaires de flotte car ces véhicules sont moins chers. Cela générera des volumes et, par conséquent, fera baisser les prix.

Les vélis offrent des bénéfices multiples : une réduction significative des externalités négatives grâce à leur performance environnementale et leur réparabilité, des externalités positives sur la santé pour les vélis actifs équipés d’un pédalier, et une optimisation de l’espace public urbain avec des coûts d’entretien réduits pour les voiries. Ils sont aussi très économiques à l’usage, environ 1 €/100 km, et facilement réparables. De plus, la France bénéficie d’une souveraineté quasi totale sur la fabrication de leurs composants, à l’exception des cellules de batteries. Un parc de 3,5 millions de vélis générerait des gains énergétiques de 25 TWh, soit plus d’un quart de l’objectif de réduction fixé par le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) pour la souveraineté énergétique, et permettrait un gain de 5 MtCO2/an.

L’objectif est en effet de réduire progressivement l’activité de l’ADEME concernant l’XD Mobilité. Nous continuerons éventuellement à accompagner des projets au stade industriel et à lancer des sujets réglementaires si nécessaire.

Comment voyez-vous l’eXtrême Défi dans 5 ou 10 ans ? L’idée est-elle de rendre ce programme autonome, facile à s’approprier sans l’intervention constante de l’ADEME ?

L’objectif est en effet de réduire progressivement l’activité de l’ADEME concernant l’XD Mobilité. Nous continuerons éventuellement à accompagner des projets au stade industriel et à lancer des sujets réglementaires si nécessaire, mais à terme, ce sont aux acteurs économiques et aux institutions en place de développer les véhicules intermédiaires.

Parallèlement, nous souhaitons répliquer la méthode eXtrême Défi à d’autres problématiques complexes. Actuellement, deux autres programmes sont déjà en cours, en phase d’idéation : l’eXtrême Défi Logistique et l’eXtrême Défi Bioéconomie. Un troisième est en préparation sur les textiles et peut-être un sur le numérique. L’objectif est de voir les points communs entre ces programmes pour définir une méthode générique de résolution de problèmes complexes, qui impliquent à la fois l’offre et la demande, le rationnel et le sensible. Cela représente un nouveau mode d’intervention pour les politiques publiques, avec la possibilité de mentorat entre les porteurs de projets.

La méthode BetaGouv3 est-elle une source d’inspiration pour votre approche agile, entrepreneuriale, basée sur le « test and learn » ?

Oui, nous retrouvons de nombreuses similitudes avec la méthode BetaGouv. Cependant, il y a une différence fondamentale. Pour moi, BetaGouv vise principalement à résoudre des problèmes de politique publique portés par des administrations, avec des acteurs publics au centre. L’eXtrême Défi, lui, cherche plutôt à résoudre des problèmes de marché, comme le développement d’une offre de véhicules qui n’existait pas pour des usages nouveaux, ou l’accompagnement d’acteurs économiques. C’est un sujet qui n’implique pas uniquement des acteurs publics, mais aussi et surtout des acteurs privés qui sont au centre de la démarche. C’est peut-être là la principale distinction.

En conclusion, diriez-vous que cette méthode est facilement duplicable par d’autres acteurs publics ?

Oui, absolument. La méthode est duplicable. Il est très bénéfique d’avoir une méthode structurée, accompagnée de formations et de guides pour faciliter sa mise en œuvre et aider à choisir les problèmes à résoudre en fonction des ressources disponibles.

  1. Jublin A., « #RESET, prendre le temps d’anticiper », horizonspublics.fr 22 août 2019.
  2. L. no 2019-1428, 24 déc. 2019, d’orientation des mobilités, dite « loi LOM ».
  3. Nessi J., « L’approche start-up d’État imprègne la feuille de route de la DINUM », horizonspublics.fr 3 sept. 2024.
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