Frédéric Dabi : « Les maires sont largement plus appréciés que les élus nationaux »

Frédéric Dabi
Le 21 mai 2025

Dans son dernier ouvrage, « Parlons-nous tous la même langue ? » (Ed. de l’Aube) coécrit avec Brice Soccol, spécialiste du développement territorial, le directeur de l’IFOP, Frédéric Dabi, travaille sur les opinions des Français dans la perspective de répondre à une question essentielle : notre pays est-il aussi déchiré qu’on le pense ? Des deux extrêmes en passant par les milieux sur l’échelle politique, la perception de l’insécurité, l’école, les services publics, etc., s’opère-t-elle sur la base de dissensus, avec des points de vue très opposés ? Le pays se déchire-t-il sur des sujets clivants ? Et bien… non, semblent dire les deux auteurs dans « Parlons-nous tous la même langue ? », paru aux éditions de l’Aube. Entretien avec Frédéric Dabi.

Une des singularités défendue par votre ouvrage consiste à dire que les Français sont plus pragmatiques et moins politiques qu’on ne le croit. Est-ce à dire qu’ils se retrouvent sur beaucoup de sujets ?

Je n’opposerai pas le pragmatisme et le politique. Les Français adorent la politique, oui, c’est une évidence, et depuis longtemps. Il suffit de se rappeler les taux de participation aux dernières élections européennes et législatives qui ont atteint des sommets. Or, dans le même temps, les Français traversent un moment que je qualifie d’éclipse politique. Ils ont le sentiment, c’est en tout cas ce que disent les sondages, qu’il ne se passe plus rien, que les politiques ne proposent plus de projets mobilisateurs. Avec Brice Soccol, nous avons travaillé sur le qualitatif, à travers des échanges individuels ou dans le cadre de groupes très restreints. Lorsque l’on interroge ces personnes sur les évènements qui les ont marqués sur les derniers mois, ils évoquent les jeux olympiques, la dissolution, le procès Pélicot, les tensions internationales, le vote du budget. Mais l’idée même que le politique puisse changer leur vie n'apparait pas.

Face à la crise des partis dits de transformation, de gauche comme de droite, ils font en effet preuve d’un pragmatisme dont profitent d’ailleurs au passage les élus locaux, identifiés comme des élus qui ont des leviers pour agir.

Cette dissolution a en effet été critiquée. Mais ne présente-t-elle pas l’avantage d’avoir montré le vrai état des lieux du paysage politique français ?

L’acte de dissoudre n’a pas été compris. Je crois que jamais, à l’IFOP, nous avons atteint un tel état d’incompréhension face à une décision politique. Emmanuel Macron est ainsi passé d’un homme d’Etat insupportable à celui d’un chef d’Etat insaisissable. Certes, la réalité politique française apparaît sous sa réelle diversité, mais elle ne procure rien en termes de puissance de décision, le gouvernement actuel comme le précédent est plus empêché qu’en capacité d’agir. Quand on interroge les Français sur l’action de Michel Barnier et de François Bayrou, le même constat revient : il ne se passe rien. Face à cette réalité, ils se réfugient auprès de ceux qui semblent disposer d’une plus grande capacité de manœuvre : c’est le cas du maire, des élus locaux, mais aussi du chef d’entreprise, ce qui est assez nouveau aujourd’hui dans les analyses que nous menons. Je me souviens d’un Jean-Pierre Raffarin se présentant en 2002 à l’université du Medef et s’écroulant derrière dans les sondages.

L’entreprise n’est plus caricaturée, elle est vécue pour certaines d’entre elles comme l’endroit où des valeurs sociétales peuvent être déployées pour leurs salariés. Certains jeunes, débarquant sur le marché de l’emploi, en font même un critère de sélection. On attend désormais du monde de l’entreprise qu’il ait des avis sur la santé, la laïcité, les discriminations sous toutes leurs formes. Elle est sommée, c’est le sens de l’histoire, de donner du sens au vivre ensemble.

Pourquoi est-il si important de se retrouver tous autour d’un discours commun ?

C’est une manière de se rassurer. Le commun crée les conditions d’un avenir désirable. L’élection présidentielle est le moment où ce choix se forme. Or, autant le reconnaître, l’élection de 2022 a privé les Français de ce débat là. De plus, la crise sanitaire, ajoutée à la guerre en Ukraine, ont compliqué l’équation. Le mot qui revient souvent dans la bouche des Français est celui de « choc » : terrorisme, gilets jaunes, guerre, Covid, etc. Beaucoup de nos compatriotes estiment que nous sommes au bord d’une guerre civile. Or, ce discours commun est là, concret, authentique. Mais les élus ont tendance à maintenir des clivages que les Français ne ressentent pas autant qu’on peut le croire. Il y a bien entendu des différences de perception du monde entre un électeur RN et un électeur LFI. Mais elles ne sont pas aussi marquées.

Vous dites de la figure du maire qu’elle reste consensuelle, qu’elle échappe à la critique. Pourquoi ?

Il incarne l’acteur de confiance, celui sur lequel on peut compter, que l’on peut croiser, avec lequel on peut discuter. Il est présent sur le terrain. Il est à l’écoute physiquement de ce qu’on lui dit, il essaie de trouver des solutions concrètes. Il est certes exposé et certains subissent injustement les colères de leurs citoyens mais il garde cette capacité de pouvoir changer la vie.

Nous avons un instrument de mesure de satisfaction du maire dans son rôle à l’IFOP : cette confiance se situe autour de 70 %, toutes les tailles de communes confondues. D’ailleurs, il est très rare de sortir les sortants lors des renouvellements municipaux. Je pense que le scénario se reproduira en 2026.

Même en 2014, quand la gauche était vraiment mal en point, 70 % des maires avaient été reconduits !

Quels sont les thèmes sur lesquels les Français convergent ?

Les constats que nous faisons sont parfois assez déroutants, autant le dire. On peut même en déduire que la crise du politique relève avant tout d’un défaut de l’écoute. Nous avons en effet une classe politique qui surréagit sur un clivage gauche-droite, dont les Français ne reconnaissent plus la pertinence. Et ce sur les sujets les plus sensibles et les plus potentiellement clivants : immigration, services publics, insécurité, etc. Les Français sont attachés aux services publics. Quand un service public quitte un territoire, les habitants de ce dernier le vivent mal, ils ressentent comme un sentiment d’abandon. D’une certaine manière, nous sommes loin de la RGPP telle que la droite l’avait mise en œuvre. Les analyses sur l’immigration montrent aussi que les Français ne sont pas si opposés qu’on l’imagine sur ce sujet ; par exemple, trois quarts des personnes se situant à gauche considèrent qu’il n’est pas scandaleux d’expulser des immigrés illégaux délinquants une fois leur peine subie ; 60 % des personnes à la sensibilité de droite trouvent normal que les illégaux travaillant en France depuis plusieurs années doivent être naturalisés. On se rend compte finalement que les élus nationaux ont tendance à s’écharper sur des sujets qui font plus consensus qu’ils l’imaginent.

Quelles conclusions en tirez-vous ?

Je crois qu’il est clair que les Français opèrent une séparation assez étanche entre la sphère nationale, qu’ils jugent sévèrement parce qu’ils considèrent que les élus nationaux ne sont pas en mesure d’améliorer leur quotidien, et une sphère locale, très largement préférée, parce qu’ils voient les projets avancer, se déployer, etc.

×

A lire aussi