Yohann Nédélec : « L’innovation publique ne se décrète pas, elle se vit »

Yohann Nédelec
Yohann Nédélec, le président du CNFPT, a déclaré le 1er octobre 2025 lors de l'ouverture des Assises de l'innovation publique à Nancy que « l'innovation est une exigence », une « condition de survie pour nos organisations publiques ». Il a insisté sur le fait que l'innovation n'est pas l'apanage des start-ups mais qu'elle est quotidienne et « naît de la créativité des agents ».
©Stéphane Arous / CNFPT
Le 7 octobre 2025

À Nancy, les 1er et 2 octobre derniers, plus de 300 personnes ont participé aux premières Assises de l’innovation publique organisées par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT). Pour son président, Yohann Nédélec, que nous avons pu interviewer sur place, sans innovation, le service public territorial court le risque de se figer. Face à la réduction des moyens, à la complexité des transitions et à la solitude des agents sur le terrain, il défend une vision offensive : fédérer, former et connecter les forces vives de la fonction publique pour que l’innovation devienne un réflexe partagé. Entretien avec un président qui veut remettre le mouvement au cœur du service public et qui considère l'innovation publique comme une priorité.

L'innovation est-elle une priorité pour le CNFPT, et pourquoi est-elle si cruciale aujourd'hui ?

Si le service public – et en ce qui me concerne, la territoriale – ne sait pas innover, n'arrive pas à fédérer les énergies de ceux qui produisent, alors nous allons nous déliter. Actuellement, l'heure est à la réduction des services publics. Comme la France est décentralisée avec des pouvoirs locaux (mairies, départements, régions, intercommunalités), nous devons constamment réfléchir et nous adapter au changement. L'innovation est une priorité absolue. Moi, quand j'ai été élu président du CNFPT en 2024, c'était une de mes priorités, tout comme l'intelligence artificielle. Si on reste assis et qu'on regarde les trains passer, on ne saura pas répondre aux besoins des habitants. Pour moi, l'innovation est d'abord au service des usagers et des habitants.

L'enquête menée par le CNFPT a révélé que les innovateurs sur le terrain ressentaient une certaine solitude. Quels enseignements tirez-vous de cette enquête ?

Sur les 1 400 personnes qui ont répondu, il apparaît effectivement une certaine forme de solitude. Chacun fait pour son territoire ou sa collectivité, souvent en silo. Cette enquête révèle de manière très claire un sentiment d'isolement et la nécessité de renforcer la communauté des innovateurs. Le diagnostic montre que les services travaillent chacun de leur côté, que les administrations communiquent peu entre elles, et que les efforts restent dispersés. Le CNFPT intervient justement dans cette fédération des forces et des énergies pour dire : « Vous n'êtes pas seuls ».

Quel rôle précis le CNFPT va-t-il jouer pour soutenir et déployer concrètement cette innovation territoriale ?

Nous avons la force de frappe nécessaire en France pour déployer cette innovation. Nous avons des ressources, des experts, des locaux, des délégations et des antennes locales pour soutenir cette communauté. Comme j’aime le rappeler, nous sommes « la maison des territoriaux » ! Notre objectif est que des personnes d'une commune, comme Lannion en Côtes-d’Armor, puissent échanger sur leurs idées et leurs productions avec des territoires éloignés, comme Luchon en Haute-Garonne, sur des sujets variés (mobilités, culture, transitions). Le CNFPT a cette capacité à faire, et je pense que ça rassure les agents qui ne sont pas seuls dans leur bureau.

Envisagez-vous de nouveaux partenariats pour soutenir l'innovation territoriale ?

Oui, absolument. Nous ne sommes pas seuls, et nous n'avons pas la science infuse. Nous sommes plutôt à ouvrir les portes et les fenêtres pour que d'autres acteurs publics nous apportent leurs expertises. Nous sommes en train de travailler à une plus forte collaboration avec la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP), l'objectif étant de mutualiser les ressources et de renforcer ce travail d’acculturation à l’innovation en partenariat.

En parlant d'accompagnement, comment le CNFPT va-t-il répondre à l'enjeu de la professionnalisation des innovateurs, qui demandent à être mieux reconnus et formés ?

Le CNFPT doit les accompagner. Il faut leur offrir la capacité à monter en compétence. Je ne peux pas être volontariste dans mon discours sans agir. Le CNFPT est en capacité de le faire. En 2026, nous allons enrichir l'offre de formation pour rester en mouvement. Il faut offrir cette capacité à former et à diffuser. L'objectif, c'est d'irriguer tous les territoires.

Yohann Nédelec

Yohann Nédélec, le président du CNFPT, lors de l'ouverture des Assises de l'innovation publique, le 1er octobre 2025, sur la scène de L’Autre Canal à Nancy.

Ces Assises marquent un « commencement ». Est-ce un rendez-vous que vous comptez renouveler ?

Oui. Ce n'est pas qu'un point d'étape. L'innovation va tellement vite et colle tellement à l'actualité qu'on ne peut pas se permettre d'attendre une fois tous les deux ou trois ans. Il faut qu'on tienne ce rythme une fois par an, à Nancy ou ailleurs, parce que c'est un sujet qui est en perpétuel mouvement.

Quelle expérience ou quelle innovation vous a le plus marqué dans votre parcours, à titre professionnel ?

L'innovation qui m'a le plus marqué, c'est suite au Covid : les services publics ont intégré la place de l'habitant dans les politiques publiques. Ce n'est pas uniquement une fois tous les six ans aux élections, c'est comment intégrer l'habitant tout au long d'un nouveau cursus. C'est une innovation dans la démocratie locale, dans la démocratie participative. Par exemple, nous avons associé les habitants dans une démarche citoyenne pour la relation aux usagers. Dès lors qu'il y avait un pic de chaleur ou une crise sanitaire, nous avons intégré la population bénévole, qui sait faire et qui a envie de faire, mais avec une charte et un cadre réglementaire fixé par le conseil municipal. C'est une innovation dans la relation à l'usager au plus proche, car on a embarqué beaucoup de monde.

Avez-vous d'autres exemples d'initiatives locales concrètes qui illustrent cette force du public ?

Oui, nous avons des co-constructions public-privé sur des lieux où on travaille, des espaces de coworking. À Brest, par exemple, dans un lieu appelé La Pam, une ancienne imprimerie, des acteurs privés et le public ont réussi à travailler ensemble pour en faire un tiers-lieu en centre-ville. C'est de l'innovation en cœur de ville, avec une charte d'engagement citoyen pour favoriser le recyclage et l'économie circulaire.

Dans le domaine de la santé aussi, nous avons le dispositif Innoveo sur Brest, où le privé et le public s'associent pour financer des équipements dernier cri pour la lutte contre le cancer. Cela montre que des passerelles entre public et privé peuvent très bien fonctionner. Que ce soit la santé, la culture, l'économie, ou la solidarité, nous savons faire, et ça, c'est aussi de l'innovation publique. On ne reste pas recroquevillé dans un bureau. Le service public peut être à l'initiative de nouveaux projets.

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