Revue
DossierSanté : quelles actions pour une santé vraiment égalitaire ?
Les hommes et les femmes ont le même droit à la santé… Pourtant, ni leur espérance de vie, ni les pathologies qui les touchent ne sont identiques. Préjugés, discriminations dans l’accès aux soins, manque de recherche, conditions de vie différentes… Zoom sur les raisons de cette inégalité et pistes d’actions à mettre en œuvre.
Les femmes et les hommes ont différents problèmes de santé
Certes, les femmes vivent plus longtemps que les hommes : d’après l’Insee1, en 2024, leur espérance de vie à la naissance était de 85,6 ans, contre 80 ans pour les hommes. Pour autant, si l’on considère la santé comme « un état de complet bien-être physique, mental et social », ainsi que la définit l’Organisation mondiale de la santé2, le tableau est plus contrasté. D’abord parce qu’en matière d’espérance de vie sans incapacité, l’écart se réduit : en 2023, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees)3 relevait que les femmes de 65 ans pouvaient prétendre à vivre 12 ans sans incapacité, contre 10,5 ans pour les hommes. Et les différents baromètres de Santé publique France4 de ces dernières années montrent que, malgré des habitudes de vie globalement meilleures que celles des hommes (moins de tabac, d’alcool, meilleure nutrition), l’écart entre hommes et femmes tend à se resserrer. Les femmes se perçoivent en moins bonne santé que les hommes : 65 % se considèrent en bonne ou très bonne santé, contre 71 % des hommes.
Les hommes et les femmes ont aussi des problèmes de santé différents. Les baromètres de Santé publique France pointent des souffrances psychiques liées au travail deux fois plus importantes pour les femmes que pour les hommes (6 % contre 3 %), ou encore les troubles musculo-squelettiques (TMS) plus présents : 60 % des femmes de 18 à 64 ans déclarent, par exemple, souffrir de TMS du dos, contre 51 % chez les hommes. Elles sont aussi plus touchées par les troubles dépressifs et idées suicidaires : en 2021, ils concernaient 17 % d’entre elles, contre 10 % des hommes. Hommes et femmes meurent aussi de manières différentes. D’après la Dress5, les maladies de l’appareil circulatoire sont la première cause de mortalité chez les femmes (27,2 %), suivie des tumeurs (24,6 %). C’est l’inverse chez les hommes : 33 % de décès pour tumeurs, contre 23 % par maladie de l’appareil circulatoire. D’après un article du Bulletin épidémiologique hebdomadaire6, les hommes sont aussi quatre fois plus susceptibles d’être victimes d’une « mort évitable » (liée à des comportements à risque, des accidents, des chutes ou des suicides). En 2022, ils représentaient effectivement 6 925 des 9 200 suicides recensés par l’Observatoire national du suicide7.
Une combinaison de facteurs à l’origine de l’inégalité
Les spécificités biologiques des hommes et des femmes suffisent elles à expliquer ces différences ? Dans son rapport Prendre en compte le genre pour mieux soigner : un enjeu de santé publique8, le Haut Conseil à l’égalité (HCE) réfute cette hypothèse : « Si des spécificités anatomiques et physiologiques liées au sexe biologique participent de ces différences, elles ne sont pas exclusives. L’influence du genre – qui réfère à la construction sociale des identités et des rapports sociaux entre les sexes – est un facteur d’inégalité entre les femmes et les hommes dans la santé et dans la prise en charge médicale. » Il parle ainsi d’une « interaction entre des facteurs biologiques, socioculturels et politiques », et liste les codes sociaux liés au genre, préjugés chez les personnels de santé, manques de prise en compte du sexe et du genre dans les recherches, conditions de vie qui exposent différemment les hommes et les femmes. « La combinaison de tous ces facteurs conduit à des situations d’inégalité et des discriminations entre les sexes dans l’accès au soin et la prise en charge médicale », estime le HCE.
Stéréotypes et préjugés : l’exemple des maladies cardio-vasculaires
« Les codes sociaux liés au genre féminin et masculin influencent l’expression des symptômes, le rapport au corps, le recours au soin de la part des malades. Chez les médecins et personnels soignants, les préjugés liés au genre sont susceptibles d’influencer l’interprétation des signes cliniques et la prise en charge des pathologies », poursuit le rapport. Pour illustrer l’influence de ces facteurs, un exemple est souvent cité : les maladies cardio-vasculaires (MCV). Elles entraînent une mortalité supérieure chez les femmes, et le HCE y voit d’abord « un exemple typique de la façon dont les représentations sociales du féminin et du masculin influencent les pratiques médicales et l’attitude des patient·e·s ». Guillaume Bailly, cardiologue et ambassadeur de l’association Agir pour le cœur des femmes, dédiée à la santé cardio-vasculaire des femmes, le confirme : « La manifestation connue des MCV, ce sont des douleurs au niveau du thorax, qui rayonnent au niveau de la mâchoire, du dos, de l’épaule. Mais l’on s’est rendu compte qu’elles pouvaient se manifester de manière différente chez les femmes [comme avec des maux de ventre]. Et cette méconnaissance des symptômes des femmes favorise l’errance diagnostique, qui est plus fréquente chez elles, raconte le cardiologue, qui souligne : On parle souvent de manifestation “atypique” […] Mais ce mot est faux : c’est simplement que c’est différent. » De son côté, Maud Nivet, ancienne infirmière et déléguée nationale du collectif Femmes de santé, qui rassemble des femmes travaillant dans la santé, raconte la manière dont les préjugés influencent la prise en charge : « Quand un homme arrive aux urgences et se plaint d’une douleur thoracique, on fait un électrocardiogramme et on prend en charge une éventuelle crise cardiaque. Si c’est une femme, on va lui demander – et je l’ai observé – “Vous êtes stressée en ce moment ?” La douleur des femmes est plus souvent attribuée à de l’anxiété… Et cela retarde le traitement. » Résultat : 56 % des femmes meurent de MCV, contre 46 % des hommes. Et c’est la première cause de mortalité de ces dernières.
Des femmes aux conditions de vie plus difficiles
Autre facteur qui influe sur la santé, les conditions de vie des femmes – qui ne sont pas les mêmes que celles des hommes. Elles sont d’abord plus nombreuses à être précaires : d’après le rapport du HCE, La santé et l’accès aux soins : une urgence pour les femmes en situation de précarité9, elles représentent 53 % des personnes pauvres, 57 % des bénéficiaires du revenu social d’activité, 70 % des travailleurs pauvres, 85 % des chefs de familles monoparentales, etc. Et cette précarité dégrade leur santé : elles sont de plus en plus touchées par les maladies professionnelles et les accidents du travail – qui augmentent en particulier dans les secteurs de la santé, du nettoyage et du travail temporaire, avec un port de charges lourdes et une exposition à des produits – ; elles sont aussi plus exposées que les hommes aux troubles psychologiques (41,7 % de troubles anxiodépressifs chez les femmes, contre 34,4 % chez les hommes) ; elles ont un moins bon suivi gynécologique et elles meurent plus de MCV. En outre, le baromètre de Femmes de santé10, paru en mars 2024, montre un effet de la « charge mentale » que portent les femmes : « Elles font passer la santé de leurs proches avant la leur : celle de leurs enfants, de leurs parents, de leurs conjoints. » 11 8 % d’entre elles disent ainsi manquer de temps pour s’occuper de leurs problèmes de santé, et 75 % estiment qu’il est toujours difficile de concilier maternité et vie professionnelle.
Des recherches insuffisantes
Pour le HCE, un autre facteur est impactant : le manque de prise en compte du sexe et du genre dans les expérimentations et les applications médicales. Car s’il constate des progrès dans la participation des femmes aux recherches – elle est passée de 35 % en 1995 à 58 % en 2018 –, elles se focalisent encore parfois sur le sexe et non sur le genre. Et il y a aussi du retard à rattraper : « Les études scientifiques, les données, les essais cliniques, les posologies sont basées sur des critères de morphologie masculine standard. C’est de moins en moins le cas, mais on a 40-50 ans de retard… On manque de données », estime Maud Nivet. Et ce retard concerne aussi des maladies qui ont été tout bonnement ignorées pendant des années, à l’image de l’endométriose, décrite dès 1860 par un médecin autrichien mais qui n’a refait surface qu’au milieu des années 1990, et dont les femmes ont dû attendre 2019 pour un plan d’action national – alors qu’il est généralement estimé qu’une femme menstruée sur 10 en souffre.
Des collectifs et associations qui pallient sur le terrain…
Pour pallier toutes ces inégalités, des associations et collectifs se mobilisent. C’est le cas d’Agir pour le cœur des femmes : « Le cœur de l’association, c’est la prévention : pour pallier le manque de temps, nous avons un bus de dépistage [le bus Cœur des femmes] qui fait le tour des territoires, notamment ceux concernés par les problématiques d’accès aux soins. L’idée est d’aller à la rencontre de femmes qui ne seraient pas rentrées dans un parcours de soins… Sauf en cas d’un infarctus ou d’AVC », décrit Guillaume Bailly. Autre moyen d’action chez le collectif Femmes de santé, le soutien d’initiatives de femmes tournées vers la santé : dépistage, sensibilisation, accompagnement, lutte contre les violences sexistes et sexuelles, projets de recherche, utilisation de l’IA, etc.
L'influence du genre est un facteur d'inégalité entre les femmes et les hommes dans la santé et dans la prise en charge médicale.
…mais qui appellent surtout à une vraie politique publique de la santé des femmes !
Au niveau national, Guillaume Bailly et Maud Nivet appellent tous les deux à une meilleure formation du personnel de santé sur ces questions, une meilleure parité dans les postes à responsabilité dans le domaine de la santé – pour le moment très loin d’être atteinte. Ils militent aussi pour le développement de la recherche : « Hommes ou femmes, nous sommes tous remplis de biais et de préjugés. C’est la communication et l’information qui pourront déjouer ces automatismes. Et pour expliquer les choses, il faut des données, des preuves scientifiques », estime Maud Nivet. En 2022, le collectif a aussi publié une lettre ouverte pour réclamer une stratégie nationale « Santé de la femme », demandant notamment la mise en place d’un parcours de Santé de la femme piloté par un Institut national de la santé de la femme, et assortie de 30 propositions concrètes : « Cela bénéficierait aux femmes, aux hommes, mais aussi à l’économie française », estime la déléguée. De son côté, le rapport du HCE précité comporte lui aussi 40 recommandations visant à sensibiliser les soignants à prendre en compte le sexe et le genre, mieux les former et travailler sur la parité dans les postes à responsabilité, prendre en compte les conditions de vie et l’environnement, soutenir les recherches sur le sexe et le genre dans la santé, etc. Et proposant lui aussi la création d’un Institut français genre et santé. Ainsi, si le sujet est complexe, les solutions existent et Maud Nivet reste optimiste : « Le droit à l’avortement est entré dans la Constitution. La ménopause et l’endométriose sont mieux prises en compte… Des choses avancent. »
- https://www.insee.fr/fr/outil-interactif/6794598/EVDA/FRANCE
- Voir la Constitution de l’OMS (https://www.who.int/fr/about/governance/constitution).
- Dress, « L’espérance de vie sans incapacité à 65 ans est de 12 ans pour les femmes et de 10,5 ans pour les hommes en 2023 », Études et résultats déc. 2024, no 1323.
- Santé publique France, « Des inégalités de santé persistantes entre les femmes et les hommes », 8 mars 2025.
- Dress, L’état de santé de la population en France, rapp., 2017, « 5. Principales causes de décès et de morbidité », p. 96 et s.
- Péquignot F., Le Toullec A., Bovet M. et Jougla E., « La mortalité « évitable » liée aux comportements à risque, une priorité de santé publique en France », Bulletin épidémiologique hebdomadaire 2003, no 30-31, p. 139-141.
- Dress-Observatoire national du suicide, Suicide : mal-être croissant des jeunes femmes et fin de vie. Penser les conduites suicidaires aux prismes de l’âge et du genre, rapp., févr. 2025.
- HEC, Prendre en compte le sexe et le genre pour mieux soigner : un enjeu de santé publique, rapp. no 2020-11-04 Santé 45, 4 nov. 2020.
- HCE, La santé et l’accès aux soins : une urgence pour les femmes en situation de précarité, rapp. no 2017-05-29-SAN-O27, 29 mai 2017.
- Femmes de santé, Baromètre « Perception des Femmes sur leur santé », 2024.
- Ibid., p. 4.