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DossierComment Paris s’adapte au changement climatique

Hier quasiment invisibilisée, l’eau devient l’élément structurant des politiques d’aménagement et d’adaptation de la ville et des territoires au changement climatique. Dan Lert, adjoint à la maire de Paris en charge de la transition écologique, du plan climat, de l’eau et de l’énergie, nous explique comment dans la capitale on se prépare aux évolutions climatiques, en combinant des enjeux de santé publique, de confort urbain et de sobriété en eau. Pour que Paris demeure une « ville rafraîchie, conviviale et habitable pour tous ».
Comment se manifestent les effets du changement climatique dans la ville de Paris ?
Les conséquences du changement climatique à Paris en 2050 vont se traduire par l’augmentation de phénomènes météorologiques extrêmes, comme les pluies violentes, les inondations et les vagues de chaleur. L’impact sur la santé des habitantes et des habitants sera réel. On se rappelle tous de la chaleur record de l’été 2022 qui a fait plus de 61 000 morts en Europe, dont près de 5 000 en France.
Il faut savoir que la température à Paris a subi une hausse de 2,3 °C depuis la révolution industrielle, avec une prévision de hausse de 3,4 °C en 2050. Paris se réchauffe plus vite que la France. À cet horizon, Paris aura la température de Séville. Les nuits tropicales (où la température ne descend pas en dessous de 20 °C) devraient tripler et le nombre de jours caniculaires augmenterait de 40 %. Le problème spécifique des villes est l’effet d’îlot de chaleur urbain qui amplifie les conséquences du réchauffement climatique.
Paris se prépare donc à un environnement modifié pouvant dépasser les + 2,5 °C en 2030, + 3 °C à l’horizon 2050, et même + 4 °C d’ici à la fin du siècle. Un pic à 50 °C n’est donc pas exclu dans les prochaines années. Paris est la capitale européenne où les vagues de chaleur pourraient être les plus meurtrières.
Quels sont les changements à anticiper d’ici à 2050 ?
Rafraîchir Paris et adapter nos modes de vie sont des priorités pour protéger les habitants et les infrastructures de ces phénomènes extrêmes. La sensibilisation et la préparation des populations vont aussi être essentielles. Un exercice de crise appelé « Paris à 50 °C » a d’ailleurs été réalisé à cet effet en octobre 2023.
Ces périodes de forte chaleur peuvent également s’accompagner de pluies violentes liées à des orages estivaux. En raison de la perméabilité des zones urbanisées, Paris est fragile. Ce genre de pluie peut mettre en danger les réseaux parisiens (métro, réseaux télécoms et énergétiques).
Paris s’est dotée de plans d’adaptation à 2030 ou 2040 : plan local d’urbanisme bioclimatique, plan climat, plan de sobriété en eau. Quelle est la place de l’eau dans un futur partagé entre hydratation et rafraîchissement urbain ?
La place de l’eau va être fondamentale pour la santé des habitants et pour le rafraîchissement de la ville, tout comme des territoires. Dans le futur, Paris sera soumise à un climat méditerranéen. Avec lui, ce sont de nouvelles pratiques et de nouveaux usages de la ville qui vont émerger. Cela s’observe déjà : le sport en plein air dans la ville, la circulation douce ou le déport d’activités conviviales de l’espace privé vers l’espace public se développent depuis des années. Il va falloir faire preuve de force collective pour que Paris soit une ville rafraîchie, conviviale et habitable pour tous.
Le plan local d’urbanisme bioclimatique de Paris évoque l’enjeu d’une ville du futur « marchable ». Que ce soit pour des raisons de santé publique ou pour créer des espaces publics à la fois lieux de mobilité, de convivialité et de bien-être. La ville du futur sera une ville jardin, massivement végétalisée avec une qualité de l’air améliorée et rafraîchie. Le Plan climat s’inscrit aussi entièrement dans ce contexte de transformation urbaine. L’aménagement des réseaux d’eau et d’énergie sera une clé du succès de cette transformation.
Par ailleurs, n’oublions pas que la Seine est notre alliée face au changement climatique. Elle est la climatisation à ciel ouvert de la ville. C’est une des raisons pour lesquelles la maire de Paris, Anne Hidalgo, a lancé le grand chantier de la restauration écologique du fleuve, à l’occasion des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024. Les opérations de nettoyage de la Seine sont aussi essentielles afin que la baignade y soit généralisée, pour le bien-être des citoyens, notamment en temps de forte chaleur.
Quels travaux liés à l’eau sont indispensables au bien vivre à Paris ?
Plus d’une centaine de mesures transformeront la ville.
À commencer par la renaturation de la ville. Près de 170 000 arbres auront été plantés pendant ce mandat. La désimperméabilisation des sols est une priorité pour végétaliser l’espace public : 300 rues aux écoles, dont la moitié débitumées, et des centaines de cours oasis dans les écoles viendront concrétiser nos ambitions. L’eau joue ici un rôle primordial puisque la végétation permet de la retenir en été, ce qui rafraîchit la ville.
À propos du rafraîchissement urbain, nous devrons trouver des solutions au problème de l’îlot de chaleur urbain. Et ce, partout où la végétalisation n’est pas possible en raison de l’encombrement du sous-sol parisien.
Nous déploierons plus d’une centaine d’ombrières sur l’espace public. Nous disposons déjà de près de 200 fontaines brumisantes sur les espaces publics, et d’une centaine de brumisateurs dans les parcs et jardins. Nous allons en ajouter des dizaines dans la rue et sur les places parisiennes.
Comment optimisez-vous les infrastructures pour un futur vivable et durable ?
Tout commence par l’adaptation du bâti. Nous ambitionnons de rénover massivement les bâtiments publics, d’abord les écoles et les collèges. La priorité est de les adapter aux canicules et d’y améliorer le confort en été. Chaque année, nous rénovons également plus de 5 000 logements sociaux. En posant des volets, stores et cool roof, nos bâtiments ne sont plus des fours en été. Des piscines ont déjà été rénovées et consomment jusqu’à 30 % d’eau en moins. On installe aussi des boutons-poussoirs sur les fontaines d’eau à boire.
Nous travaillons aussi au triplement du réseau de froid d’ici à 2050. Face à l’augmentation des vagues de chaleur, le recours aux climatisations individuelles explose. Voilà qui est l’exemple même de la mal-adaptation. Cette pseudo solution émet des gaz à effet de serre (GES) puissants et consomme beaucoup d’énergie. La ville a choisi de développer un réseau de froid destiné à rafraîchir durablement des bâtiments collectifs, comme les hôpitaux, les écoles, les crèches et les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).
L’adaptation passe aussi par l’évolution de l’accès à l’eau pour les citoyens…
Il y a l’enjeu de rendre l’eau gratuite partout. Pour compléter notre réseau de 1 300 fontaines à boire, nous avons lancé l’opération « Ici, je choisis l’eau de Paris » autour de 1 200 commerçants. Ce dispositif permet aux habitants, mais également aux personnes de passage, de remplir leur gourde gratuitement en été comme en hiver. Enfin, la baignade naturelle, du moins celle qui ne nécessite pas d’infrastructures lourdes, devrait être ouverte sur la Seine lors de l’année 2025. Nous visons dans un premier temps des lieux comme le Canal Saint Martin, le Bras Marie, le Bras Grenelle ou encore Bercy.
L’alimentation en eau de Paris dépendant des territoires extérieurs qui l’approvisionnent en eau, comment la ville intègre-t-elle les besoins en eau de ces fournisseurs principaux ?
Eau de Paris prélève des eaux de rivière (Seine, Marne) et des eaux souterraines en Île-de-France, mais aussi jusqu’en Bourgogne ou en Normandie pour l’alimentation de la capitale. Afin d’éviter de mettre ces territoires en tension hydrique lors d’épisodes de sécheresse, nous restituons de l’eau dans le milieu naturel dans le but de maintenir le niveau des rivières. À Paris, nous limitons les pertes en eau dans les réseaux : 3 000 capteurs acoustiques ont été posés dans les réseaux en 2022 pour détecter et pré-localiser les fuites. Ces aménagements nous permettent d’avoir un des meilleurs taux de rendement de France.
La ville de Paris s’est dotée pour 2030 d’un plan de sobriété en eau qui engage tous les acteurs publics et privés. Depuis 1990, les consommations d’eau potable ont baissé de 100 millions de m3, soit 40 % de baisse, et celles d’eau non potable ont chuté de 62 millions de m3, soit 44 % de baisse. Nous souhaitons poursuivre cette trajectoire en accompagnant les économies d’eau des usagers.
Dans son Plan eau, le Gouvernement vise une baisse de 10 % du prélèvement de l’eau sur le territoire national. À Paris, nous avons fixé un objectif plus ambitieux qui est de 15 % à 2030 (par rapport à 2019) : environ 10 % d’eau potable et 20 % d’eau non potable.
Comment concilier le développement des usages de l’eau, nécessaire à l’adaptation de la ville, et la sobriété en eau que la ville souhaite engager ?
La spécificité de Paris est qu’elle dispose d’un réseau d’eau destiné aux usages urbains (lavage des rues, nettoyage des égouts, arrosage des jardins, alimentation des cascades des bois de Vincennes et de Boulogne) depuis le xixe siècle. Les fontaines publiques, les piscines, les réservoirs de chasse dans les égouts ainsi que le réseau d’eau non potable seront optimisés. Des mesures d’économie d’eau sont imaginées aussi pour l’arrosage.
Il ne s’agit pas seulement de réduire mais aussi d’imaginer de nouvelles eaux pour de nouveaux usages urbains comme la végétalisation. Pour cela, nous misons sur une ville qui récupère mieux les eaux pluviales ou les eaux d’exhaure de son sous-sol. Pour la valorisation des eaux grises, nous lançons une expérimentation de récupération dans les dix-sept bains-douches de la ville. Pour les eaux pluviales, nous testerons leur réinjection dans le réseau d’eau non potable. L’idée est que Paris soit une véritable « ville-éponge » et que les eaux de pluie récupérées gagnent en utilité dans les actions de la ville.
Quelles actions sont menées pour les populations démunies, en situation précaire ou envers les personnes âgées ?
Les plans d’adaptation de la ville au changement climatique, qu’il s’agisse du plan local d’urbanisme bioclimatique ou du Plan climat, sont centrés sur les enjeux de justice sociale de la transition. Les populations fragiles sont au cœur de nos préoccupations. Pour lutter contre les inégalités climatiques, la ville de Paris s’est engagée à consacrer 25 % de l’investissement de la collectivité aux quartiers populaires. Une partie des projets qui en découlent concernent la rénovation des établissements scolaires. Le but est de les protéger le plus possible des aléas climatiques. Que ce soit les périodes de grand froid en hiver ou les chaleurs de plus en plus étouffantes en été.
À destination des populations âgées vulnérables, nous insérons des salles rafraîchies dans certains EHPAD de la ville, dans les mairies d’arrondissement et dans les clubs séniors. Le fait qu’elles restent ouvertes en accès libre permet de protéger nos citoyens les plus fragiles. Pour les personnes à la rue, les heures d’ouverture des dix-sept bains-douches de la ville seront étendues. Un dispositif sera mis en place pour les périodes de canicule, en partenariat avec l’État. En cas de chaleur extrême, des lieux d’accueil seront mobilisés dans les 24 heures suivant la déclaration d’une potentielle canicule pour permettre aux personnes à la rue de s’y réfugier. Les accès à l’eau vont se démultiplier dans l’espace public, les zones de fraîcheur aussi. Ces espaces bénéficieront à toutes les Parisiennes et tous les Parisiens, quelle que soit leur situation sociale.
Très touristique, la ville de Paris est dans un contexte de tension sur la ressource en eau. Envisage-t-elle des mesures particulières pour inclure les touristes dans l’effort de sobriété hydrique ?
Les hôteliers sont sollicités pour réaliser des efforts afin de s’équiper en matériel économe en eau et de sensibiliser les touristes. Nos équipements d’eau potable en libre-service visent à inciter les touristes à boire l’eau du robinet. Nous évitons ainsi l’utilisation d’un grand nombre de bouteilles en plastique. D’ailleurs, les touristes équipés de gourdes sont les premiers à saluer le dense réseau de fontaine parisien.