Revue
L'actualité vue par...Emmanuel Clavaud, ancien directeur du SDMIS Lyon-Rhône
Emmanuel Clavaud a été le directeur du service départemental-métropolitain d’incendie et de secours (SDMIS) de Lyon et du Rhône. À ce titre, il a témoigné de ce que le SDMIS a mis en place pour tenter de s’adapter aux aléas climatiques, toujours plus prégnants dans le cadre d’une journée organisée par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) durant laquelle nous l’avons rencontré. Il revient également sur son expérience comme chef du 3e détachement au Canada, dans le cadre de feux de forêt hors normes. Il a depuis été nommé à la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC)1.
1 – L’adaptation des pompiers rhodaniens aux enjeux climatiques
Comment le SDMIS s’adapte-t-il à l’évolution des risques liés au changement climatique ?
Le SDMIS, répond à une intervention toutes les 4 minutes 30, c’est une machine qui ne s’arrête jamais. Nous avons intégré ces grands défis dans notre schéma d’analyse et de couverture des risques qui fixe la trajectoire des évolutions auxquelles nous devons nous préparer : c’est notre contrat opérationnel. Ce document oriente ensuite tous les plans d’action.
Quelles nouvelles technologies intégrez-vous pour mieux répondre à ces situations ?
Nous anticipons des besoins en robotique, en imagerie et en drone. Il s’agit de mécaniser la capacité d’extinction et d’acquisition d’informations. Nous travaillons aussi sur les feux souterrains, les bâtiments en bois et les propagations en façade. Ce ne sont pas des problèmes, mais des réalités nouvelles. Les villages verticaux, les immeubles mixtes avec de la végétalisation en hauteur, tout cela change la donne. On peut se retrouver à devoir éteindre un feu de végétation à 40 mètres de haut.
Le changement climatique a-t-il aussi un impact sur les risques sanitaires ?
Tout à fait. Le vrai sujet, c’est que les niches écologiques changent. Les barrières naturelles entre l’homme et certains virus s’amenuisent. Des virus aujourd’hui inoffensifs pour l’homme pourraient devenir dangereux demain. Cela change notre façon d’appréhender les épidémies et les maladies.
Comment impliquez-vous les équipes, notamment les plus jeunes, dans cette transformation ?
Nos plus belles réussites viennent souvent des jeunes pompiers. Ces sujets sérieux, importants, ne sont pas réservés qu’à la direction. Ce sont aussi des initiatives portées ou suggérées par des jeunes qui nous accompagnent. Au fil de nos discussions et de nos réflexions, nous travaillons sur les filières courtes, le recyclage, la réduction de notre empreinte. Nous questionnons réellement nos besoins et les durées de vie de nos équipements.
Vous semblez insister sur une approche collective de la transition écologique et opérationnelle. Pourquoi ?
Parce que cela ne peut pas reposer sur une seule personne. Il faut des communautés d’acteurs et une massification de la réflexion du quotidien. Les bonnes idées sont partout. À nous d’être agiles, à l’écoute, et de faire confiance aux équipes. Pour nous adapter aux bouleversements climatiques, nous regardons ce qui se passe ailleurs, sans jamais prétendre tout savoir. Nos équipes s’inspirent des autres, repèrent les bonnes idées, écoutent des scientifiques ou des sociologues. C’est une posture d’ouverture pour rester connecté avec l’écosystème dans lequel nous évoluons.
Par exemple, dans le cadre du schéma d’analyse et de couverture des risques, plus de 1 000 personnes ont été rencontrées. Une équipe projet a travaillé pendant plus d’un an en s’associant à des urbanistes et à de nombreuses personnes qui, au départ, ne connaissaient rien aux secours. Et pourtant, elles nous ont ouvert les yeux sur les transformations des territoires, les évolutions sociologiques, sur de nombreux enjeux majeurs. Puis, nous dialoguons entre nous pour choisir les initiatives que nous pourrions nous approprier.
2 – La technologie pour accompagner la décision humaine, pas pour la remplacer
Comment intégrez-vous l’intelligence artificielle (IA) dans vos pratiques ?
La révolution numérique, soit on l’attend et on la subit, soit on essaie de la comprendre et de l’utiliser. L’échelle d’un service départemental d’incendie et de secours (SDIS) est toutefois trop petite pour développer seule des outils pertinents d’IA. Même le SDMIS ne suffit pas. Nous avons donc créé une association avec plusieurs SDIS intéressés par le sujet. Notre but est de ne pas être dépendants d’opérateurs privés qui nous vendraient nos propres données. Nous avons donc lancé un data lab, mis en place des dispositifs pour tester, expérimenter et créer des outils de prévision opérationnelle. Demain, nous serons probablement capables de dire, à une heure donnée, qu’un engin doit être prépositionné à tel endroit, car il y a une forte probabilité qu’il doive intervenir dans l’heure suivante, par exemple pour éviter un arrêt cardiaque. Cela fait partie des trajectoires stratégiques que nous sommes en train de dessiner.
Quels sont les autres usages de la technologie sur lesquels vous travaillez actuellement ?
Nous développons aussi l’analyse des appels de secours, par exemple en décryptant le bruit ambiant ou certains mots-clés, pour aider à prioriser et faciliter la prise en charge. Un autre projet majeur concerne le passage aux drones autonomes. Aujourd’hui, tout le monde a des drones. Notre objectif est de les faire voler automatiquement, sans télépilote, dès le déclenchement d’un appel de secours pour observer immédiatement un point d’intérêt signalé. Nous allons très bientôt entrer en phase d’expérimentation.
Comment assurez-vous l’équilibre entre innovation technologique et capacités humaines de décision ? L’homme restera encore longtemps le seul décisionnaire. En revanche, nous développons des technologies pour accompagner cette décision, pour mieux faire face à l’évolution des missions et à un environnement de plus en plus complexe. Et, en parallèle, nous n’oublions pas de maintenir les fondamentaux : travailler la rusticité lors de certains entraînements ou formations en utilisant des bivouacs et des rations, en se confrontant le plus souvent possible à la rudesse du terrain. Car, en situation de défaillance ultime, ce sera toujours la pertinence de la réponse humaine qui comptera. L’IA ne sauvera pas tout.
3 – Questionner ses besoins et réduire son impact environnemental
Comment le SDMIS intègre-t-il la question du changement climatique dans son fonctionnement global ?
Très concrètement, nous estimons que le SDMIS coûte chaque année environ 12 kg de CO2 par habitant du Rhône. Cela représente moins de 4 % des émissions attribuées au secteur des administrations publiques et de défense (dont font partie les SDIS). C’est une manière de présenter la réalité de notre impact. Ce chiffre est principalement lié à nos achats. Cela signifie que, pour agir efficacement, il faut d’abord travailler sur la filière achat.
Quels sont les objectifs que vous vous êtes fixés en matière de réduction d’émissions ?
Notre plan d’action est très précis : nous visons une réduction de 30 % de nos émissions de CO2 d’ici 2027, soit en cinq ans car il a débuté en 2022. Nous observons d’ailleurs déjà une décroissance. Cela passe par plusieurs leviers : le choix d’énergies décarbonées, la sobriété énergétique de nos bâtiments, mais aussi les véhicules, qui ont un impact important. Nous avons besoin de moins d’engins, mais d’engins plus polyvalents. Et moins d’engins à fabriquer, c’est moins de déchets produits.
Le SDMIS répond à une intervention toutes les 4 minutes 30, c’est une machine qui ne s’arrête jamais. Nous avons intégré ces grands défis dans notre schéma d’analyse et de couverture des risques.
En quoi les bâtiments jouent-ils un rôle dans cette démarche environnementale ?
Concernant les casernes, de grosses réflexions sont en cours, avec une analyse très fine des filières biosourcées, de la performance énergétique des bâtiments et de leur raccordement aux réseaux de chaleur. Dans les zones urbaines, c’est plus facile d’avoir accès à ces grands réseaux, qui sont souvent alimentés par des sources de combustible alternatives. Toutes ces actions mises bout à bout permettent de réduire progressivement notre empreinte carbone. Ce sont les travaux que nous réalisons actuellement dans les projets en cours.
Comment alliez-vous les activités que vous menez avec le besoin de sobriété dans la consommation des ressources ?
Nous sommes sur une baisse de près de 10 % de l’activité opérationnelle en trois ans, sans rien céder en termes de service public. Cela a nécessité de nombreuses négociations. Nous avons fait appel à l’intelligence collective pour repenser nos besoins réels. C’est cette capacité à s’interroger sur nos besoins et nos résultats qui nous permet de transformer nos organisations en profondeur : se demander comment est fabriqué le produit, quelle est son empreinte carbone, à quoi il sert, combien il coûte, et comment on le détruit. On s’assure ainsi d’un achat au juste coût, qui répond véritablement à l’usage dont nous avons besoin.
Concrètement, comment cela se traduit-il dans vos choix d’équipements ?
Plutôt que la technologie à outrance, je préfère des engins simples, électromécaniques, fiables et réparables facilement. Quand j’étais directeur adjoint dans les Deux-Sèvres, début 2000, on m’a appelé pour me signaler une « erreur » dans le prix d’un camion-citerne rural : nous étions largement en dessous du prix moyen national. Mais non, c’était le bon prix. Nous avions simplement supprimé les équipements électroniques superflus. Le constat était simple : les engins sophistiqués tombaient plus souvent en panne et les utilisateurs avaient du mal à les maîtriser. Aujourd’hui, en région Auvergne-Rhône-Alpes, nous réévaluons régulièrement les cahiers des charges des ambulances (véhicules de secours et d’assistance aux victimes – VSAV) par exemple. Cela nous amène à supprimer certaines fonctionnalités qui alourdissent et complexifient inutilement les véhicules. Revenir à l’essentiel, sortir des habitudes, c’est fondamental. Cela coûte finalement moins cher et a aussi un impact carbone moins élevé.
- Au sein du ministère de l’Intérieur, la DGSCGC est chargée de coordonner les moyens voués à assurer les missions de sécurité civile à l’échelle nationale et dans le cadre de coopérations internationales.