Revue
L'actualité vue par...Gérard Blanchard, président de La Rochelle Université
Gérard Blanchard, élu à la présidence en janvier 2025, a un parcours atypique tant pour un chercheur que pour un élu. Ce fervent défenseur de l’interdisciplinarité et de l’ouverture d’esprit a en effet débuté sa carrière dans les domaines de l’écologie marine, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Professeur des universités à La Rochelle depuis 1998, il a créé en 2008 le laboratoire LIttoral Environnement et Sociétés (LIENSs), devenu une référence mondiale dans son domaine. Président de La Rochelle Université de 2008 à 2016, il a mené La Rochelle Université à l’autonomie en 2009 et a présidé le pôle Recherche enseignement supérieur Limousin-Poitou-Charentes.
Depuis 2016, Gérard Blanchard a été vice-président de la région Nouvelle-Aquitaine en charge de l’enseignement supérieur, de la recherche et du transfert de technologie. Il a aussi été conseiller municipal et communautaire de La Rochelle depuis 2020 et vice-président de la communauté d’agglomération de La Rochelle, où il a exercé des responsabilités en matière de transitions écologiques et énergétiques. Il a piloté le projet « La Rochelle territoire zéro carbone », élaboré et suivi le Plan climat-air-énergie territorial (PCAET), et présidé la SEM SÉnRgies, dédiée aux énergies renouvelables.
1 - L’ancrage territorial des universités
La perception de l’université par les différentes collectivités territoriales a radicalement changé depuis les vingt-cinq dernières années. Auparavant, vue comme un centre de dépenses, elle est aujourd’hui vue comme une opportunité de développement pour le territoire. Toutes les grandes collectivités territoriales ont ainsi mis en place un axe « recherche et enseignement supérieur », ce qui illustre bien la montée en puissance du sujet « université » en leur sein. De leur côté, les universités ont également modifié leurs approches et savent désormais travailler avec les collectivités. Cet intérêt mutuel s’explique, d’une part, par le poids économique des universités sur un territoire et, d’autre part, par les activités des universités qui intéressent les collectivités territoriales confrontées, notamment à l’immense défi de la transition écologique.
Prenons l’exemple de l’université de La Rochelle : nous figurons parmi les principaux employeurs du territoire avec un effectif de 1 100 personnes, soit une masse salariale de 85 millions d’euros. Les 8 000 étudiants qui représentent 10 % de la population de la commune de La Rochelle, chiffre qui monte à 15 000 étudiants en considérant tous les établissements d’enseignement supérieur, dépensent plus de 500 euros/mois/personne. Les activités immobilières, de consommations ou encore de loisirs profitent donc largement de cette manne. Par ailleurs, nos différentes disciplines, telles que sciences de l’environnement, sciences de l’ingénieur, sciences humaines et sociales ou encore mathématiques et informatique, et nos activités de recherche réparties en dix laboratoires, tels que Centre d’études biologiques de Chizé (CEBC), Laboratoire Informatique, Image et Interaction (L3i), Laboratoire des Sciences de l’Ingénieur pour l’Environnement (LaSIE) ou encore le laboratoire LIttoral ENvironnement et Sociétés (LIENSs), intéressent beaucoup les collectivités territoriales. Confronté, comme la plupart des territoires littoraux français au fameux recul du trait de côte dont il est tant question, notre territoire fait, par exemple, grand cas des travaux du LIENSs dont les recherches portent tout particulièrement sur le fonctionnement du système littoral, son évolution dans un contexte de changement global et d’urbanisation croissante des côtes, son usage et son exploitation durable. Autre sujet touchant le littoral : nous participons, par exemple, à la relance économique du territoire de Saintonge.
L’université de La Rochelle figure parmi les principaux employeurs du territoire avec un effectif de 1 100 personnes, soit une masse salariale de 85 millions d’euros.
Je tiens également à préciser que 40 % de nos étudiants viennent du département de Charente-Maritime, ce qui permet ensuite d’irriguer en compétences les entreprises réparties sur l’ensemble de ce territoire. Notre pôle universitaire renforce également l’attractivité du territoire auprès de la population d’ingénieurs qui y travaillent ou souhaitent s’y installer, car il est en mesure d’offrir un bon environnement d’études supérieures à leurs enfants. Enfin, je tiens à évoquer l’aspect transfert de technologies entre l’université et les entreprises du territoire. Nous sommes ainsi un acteur important de la technopole de La Rochelle, financé notamment par l’agglomération de La Rochelle et la région Nouvelle-Aquitaine, afin de nous assurer que nous accompagnons au mieux les entreprises innovantes du territoire. Un transfert de technologie qui a, par exemple, eu lieu entre un de nos laboratoires et la startup Valbiotis, spécialisée dans les compléments alimentaires pour la santé.
2 - Les relations universités-collectivités territoriales
L’intérêt mutuel des universités et des collectivités territoriales les unes pour les autres se traduit, sur le plan des relations formelles, par une généralisation des conventions, documents stratégiques conclus pour une durée de trois ans et qui portent notamment sur les domaines de recherche à privilégier, les besoins en renouvellement d’équipements des laboratoires, la mobilité internationale des étudiants ou encore le financement des salaires des doctorants. Ces conventions sont les outils privilégiés des collectivités territoriales de proximité. De son côté, la région, chef de file en matière de recherche depuis la loi NOTRe en 20151, soutient, par exemple, les projets collaboratifs entre les entreprises du territoire et les centres de transfert de technologies et de méthodologies et/ou laboratoires publics, les projets d’innovation individuels ou collaboratifs, ou encore les projets d’innovation individuels des entreprises. Ses actions favorisent le mode projet, les réseaux de recherche, la co-construction et visent les acteurs privés et les acteurs publics.
Lorsque j’étais vice-président de la région Nouvelle-Aquitaine en charge de l’enseignement supérieur, de la recherche et du transfert de technologie, j’ai eu à engager un budget de 100 millions d’euros par an selon différentes modalités. Ce sont les montants engagés par la région qui la distinguent également des autres collectivités : les contrats de plan État-région (CPER) sont consacrés, en matière de recherche, à des investissements lourds, par exemple, dans l’immobilier et l’équipement scientifique. Ainsi, pour la région Nouvelle-Aquitaine, le CPER, s’agissant de la recherche, a prévu un budget de 250 millions d’euros sur sept ans.
Puisque j’évoquais un peu plus haut la collaboration entre acteurs publics et privés, le système des thèses en convention industrielle de formation par la recherche (CIFRE) qui permet à un doctorant de préparer sa thèse dans un cadre professionnalisant et de créer une collaboration entre une entreprise et un laboratoire de recherche d’une université auxquels appartient le doctorant n’est pas réservé aux seuls acteurs privés. Certaines collectivités territoriales ont commencé à utiliser ce dispositif, mais pour le moment un tel choix n’est pas encore très répandu2.
Reste que les collectivités territoriales n’hésitent pas à nous poser régulièrement des questions de recherche sur les risques littoraux, l’hydrologie, l’agro-écologie ou encore la dynamique du trait de côte qui constitue des problématiques dans la mise en œuvre de politiques publiques.
3 - La transition écologique : mobilisation de La Rochelle Université
L’ancrage territorial fort des universités a une traduction très concrète dans l’accompagnement des collectivités territoriales lors de transformations majeures. Tel est le cas pour La Rochelle Université qui accompagne le territoire dans différents projets de transformation, nous amenant par là même à revoir notre offre de formation, lesdits projets constituant une opportunité de développement pour l’université.
Il s’agit, tout d’abord, de participer à la transition énergétique. Rappelons que le gouvernement a décidé de favoriser l’éolien en mer dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l’énergie qui prévoit 50 % d’énergies renouvelables dans notre mix énergétique, le principal apport provenant de l’éolien offshore avec une puissance installée de 40 GW. Pour mémoire, le parc nucléaire français comporte actuellement 57 réacteurs de production d’électricité en fonctionnement répartis sur 18 centrales, constituant une puissance installée de 63 GW. S’agissant plus particulièrement de notre territoire maritime, il est prévu d’installer un parc éolien offshore d’une puissance de 1 GW à près de 40 km au large de l’île d’Oléron. Plusieurs consortiums sont en lice, l’État devant encore se prononcer. Il s’agit bien d’un enjeu majeur pour le territoire et l’université, car une nouvelle filière industrielle va se structurer. Le port de La Rochelle, avec lequel nous sommes en relation, va se transformer en base logistique pour la construction puis la maintenance de ce vaste parc éolien en mer. Ce qui va engendrer des besoins en ressources humaines du CAP jusqu’au doctorat dans différents domaines. C’est dans ce contexte que nous avons répondu à un appel d’offres lancé par France 2030 portant sur les compétences et les métiers d’avenir dans le domaine de l’énergie marine renouvelable. Dans cette optique, nous réfléchissons à revoir notre offre de formations à travers différents métiers en train de se mettre en place et avons obtenu un financement. En outre, le développement du parc éolien offshore va générer d’indispensables travaux de recherche dans les domaines des matériaux, de l’électricité ou encore de l’impact du champ éolien sur l’environnement. Mais, au-delà des aspects techniques, le développement de l’éolien offshore entraînera également des conséquences sur le profil sociologique du territoire par l’arrivée de nouveaux métiers et de nouvelles compétences, transformant également la population. À noter que la région s’est également positionnée avec la création en cours d’un campus sur les métiers de la mer.
L’installation d'un parc éolien offshore d’une puissance de 1 GW à près de 40 km au large de l’île d’Oléron est un enjeu majeur pour le territoire et l’université, car une nouvelle filière industrielle va se structurer.
La seconde orientation stratégique que nous développons porte sur le secteur ferroviaire, une autre industrie verte. À Saintes, nous disposons d’un ferro-campus en partenariat avec tous les grands groupes de ce secteur. Initialement basés sur un lycée professionnel, des diplômes universitaires bac +3 et bac +5 sont en cours de création, car nous possédons des compétences en matériaux, en numérique, en signalétique et en énergie.
Enfin, nous nous sommes engagés dans le consortium rochelais aux côtés de la communauté d’agglomération de la ville de La Rochelle, d’Altantech et de Port Atlantique, dans le cadre du vaste projet « La Rochelle territoire zéro carbone », lauréat en 2019 du projet national « Territoires d’innovation ». Le consortium rochelais a pour objectif de réduire de 30 % l’empreinte carbone du territoire d’ici 2030 et d’aboutir à une compensation carbone complète à l’horizon 2040 devenant le 1er territoire urbain du littoral français à afficher un tel bilan. La Rochelle Université, membre du comité de pilotage du projet, prouve ainsi sa capacité à se mobiliser. Nos travaux de recherche en lien avec ce projet fédérateur pour le territoire s’effectuent dans trois domaines. Tout d’abord, la capacité de séquestration carbone des zones humides : grâce à la compétence développée par l’un de nos laboratoires, nous savons désormais mesurer annuellement le nombre de tonnes piégées. Des recherches qui ont donné lieu à sept thèses pluridisciplinaires. Ensuite, les sciences politiques : notre chaire de recherche sur la démocratie participative nous permet d’observer la participation citoyenne dans le projet « Territoire zéro carbone » à travers le fonctionnement du comité citoyen. Enfin, en matière de numérique, toutes les actions menées dans le projet donnent lieu à la production de données regroupées dans une plateforme de données territoriales que nous avons développée ainsi qu’un système d’aide à la décision publique en cours de développement.
4 - L’autonomie des universités : de l’espoir à la frustration
Je suis très favorable à l’autonomie des universités et trouve approprié de leur confier la responsabilité de leur gestion, car elles sont les mieux placées au quotidien tant en termes de besoins pédagogiques, et notamment les recrutements, que de besoins techniques pour savoir ce qui leur convient. Mais l’essentiel de nos ressources provient de l’État : une autonomie avec des moyens limités et contrôlés génère inévitablement de la frustration. Un sentiment que l’on peut d’ailleurs retrouver dans un autre univers qui m’est familier, à savoir celui des collectivités territoriales. La décentralisation a certes octroyé bon nombre de nouvelles compétences aux pouvoirs locaux, mais s’agissant de l’autonomie fiscale, qui offre des moyens pérennes d’agir, l’État est revenu sur certains dispositifs et resserre plutôt son verrou en la matière ainsi que le montrent les travaux de Patrick Le Lidec3, chercheur en science politique à Sciences Po.
Pour revenir à l’université, notre capacité pédagogique est très contrôlée par l’État et, en comparaison de ce qui se pratique à l’échelle européenne, la France se situe tout en bas. Je tiens à préciser que la subvention pour charge de service public, qui représente 70 % de nos recettes, que nous octroie l’État pour faire fonctionner notre activité de base, à savoir l’enseignement, augmente peu, voire pas du tout. Dans notre budget qui s’élève à 135 millions d’euros par an, les droits d’inscription représentent à peine 1 % ! Or, un étudiant coûte de l’ordre de 10 000 à 11 000 euros par an. Certes, nous disposons de ressources propres qui proviennent de partenariats avec des entreprises, des collectivités territoriales ou encore l’Union européenne, mais elles sont destinées à des projets précis commandés par ces entités et non au fonctionnement général de l’université. Des ressources propres qui d’ailleurs progressent, mais dont la hausse ne contribue peu ou pas du tout à la stagnation ou à la baisse de la subvention de l’État.
Au-delà du cas de La Rochelle Université, c’est un véritable sujet de société dont il est question : que veut-on pour la France en matière d’enseignement supérieur et de recherche ? L’Union européenne souhaitait que les États membres consacrent 3 % de leur PIB à l’enseignement supérieur et à la recherche. La France en est aujourd’hui à 1,2 % pour la partie publique… Notre pays décroche, ainsi que le montrent depuis longtemps de nombreux indicateurs. Il existe en France un problème de compréhension générale vis-à-vis de la recherche fondamentale. Par ailleurs, l’autonomie des universités ne prendra tout son sens qu’avec une révision du système de leur financement.
Enfin, en matière de recherche, je pense qu’il faudrait procéder à des choix stratégiques clairs car on ne peut pas tout faire. Puisque les dépenses militaires vont augmenter, il me semble que les recherches dans les technologies duales devraient être privilégiées, par exemple, en matière nucléaire, du numérique ou encore dans le domaine des matériaux.
5 - Des chercheurs américains dans les universités françaises ?
J’observe évidemment avec attention l’actualité à propos des mouvements qui secouent la recherche aux États-Unis. Cela étant, je pense qu’il faut raison garder quant à cet effet d’aubaine qui nous permettrait de capter des chercheurs américains. Dans les hautes technologies, il est peu probable que les États-Unis laissent partir leurs chercheurs. Dans des domaines tels que l’environnement, le climat, la transition écologique ou énergétique, c’est effectivement envisageable. Mais se pose alors une autre question liée à la rémunération des chercheurs outre-Atlantique. Aujourd’hui un jeune chercheur aux États-Unis gagne, en moyenne, quasiment le même salaire qu’un enseignant-chercheur en fin de carrière en France. À part quelques grandes universités françaises, nous n’avons donc pas les moyens, et c’est le cas pour La Rochelle Université, d’offrir aux chercheurs américains le niveau de salaire auquel ils sont habitués mais qui correspond au coût de la vie aux États-Unis ! En France, la santé, le logement ou l’alimentation sont bien moins chers et ces paramètres devraient être pris en compte par les éventuels candidats à la venue en France. Ce qui supposerait une action de communication ainsi qu’à l’échelle de l’Union européenne un certain degré de coordination. En outre, accorder aux éventuels chercheurs américains qui viendraient en France un niveau de salaire équivalent à celui qu’ils ont chez eux ne manquerait pas de provoquer de vives réactions chez nos chercheurs, ce qui serait compréhensible ! Donc, je pense que cet effet d’aubaine ne va pas être massif et ne pourra en aucun cas être comparé à l’exode des chercheurs européens vers les États-Unis dans les années 1930.
Dans les hautes technologies, il est peu probable que les États-Unis laissent partir leurs chercheurs.
Ou alors, l’État et les collectivités territoriales nous apportent les moyens durables, la recherche étant synonyme de temps long, d’attirer des chercheurs américains…
Je pense néanmoins que nous devons plutôt faire porter notre attention sur les jeunes chercheurs français partis aux États-Unis qui verraient leurs financements coupés à la suite des récentes décisions du gouvernement fédéral. À cet effet, j’ai demandé que l’on établisse une liste de jeunes chercheurs de La Rochelle Université partis outre-Atlantique. Pour le moment, nous en sommes donc au stade des réflexions sur ce sujet.
- L. no 2015-991, 7 août 2015, portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite « loi NOTRe ».
- Jeunes chercheurs : un autre regard sur les enjeux des territoires, Horizons publics hors-série été 2018, réalisé en partenariat avec HESAM Université.
- Le Lidec P., « Entre desserrement et resserrement du verrou de l’État. Les collectivités françaises entre autonomie et régulations étatiques », RFSP 2020/1, vol. 70, p. 75-100.