Revue

Dossier

Quand l’initiative publique favorise la création d’écosystèmes économiques en milieu rural

Le 20 janvier 2020

Jeune communauté de communes composée de soixante communes et née en 2017 de la fusion de trois intercommunalités rurales, Saint-Pourçain, Sioule et Limagne, située dans le sud-ouest du département de l’Allier, a la particularité d’avoir réussi à faire émerger plusieurs écosystèmes économiques locaux.

La fonction manufacturière est bel et bien présente dans les ruralités où la part de l’emploi industriel varie de 1 à 10 ou de 4 % à 40 % ! En fait, le rural et les petites villes mêlent généralement des héritages artisanaux ou industriels, des crises dues à la concurrence internationale, au manque de main-d’œuvre qualifiée ou à l’insuffisante modernisation de l’appareil productif, mais profitent surtout, depuis les années 2010, d’un ré-ancrage des activités et des firmes dont la production répond aux nouvelles attentes des consommateurs, le rural étant ainsi un espace d’innovations intégré aux réseaux à différentes échelles. Dans un récent rapport, le CGET1 a montré la résistance, voire la progression, de l’emploi industriel dans plusieurs zones rurales, notamment de l’Ouest (Bretagne, Cotentin) ou du Centre-Ouest (La Roche-sur-Yon, La Rochelle, Thouars, etc.), de Bourgogne-Franche-Comté ou du Sud-Ouest (Figeac, Villefranche-sur-Rouergue, etc.). Leur dynamisme tient pour partie à la présence majoritaire de PME-TPE dont les stratégies relèvent souvent d’initiatives isolées et nées d’individus volontaristes, mais aussi du soutien des collectivités territoriales et des politiques publiques encourageant la mise en réseau, les clusters et autres systèmes productifs locaux.

Fin juillet 2019, Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales était ainsi au cœur d’un de ces écosystèmes industriels, à Saint-Bonnet-de-Rochefort dans l’Allier, pour recevoir le rapport de la mission Agenda rural contenant 200 propositions pour l’avenir des territoires ruraux. L’occasion de revenir sur la trajectoire industrielle de Saint-Pourçain Sioule Limagne.

Jeune Communauté de communes composée de soixante communes et née en 2017 de la fusion de trois intercommunalités rurales, Saint-Pourçain, Sioule et Limagne est située dans le sud-ouest du département de l’Allier, dans le périmètre d’attraction de la métropole de Clermont-Ferrand et de l’agglomération vichyssoise. Riche de sa diversité environnementale, ce territoire conserve un fort caractère rural avec une densité moyenne de trente-cinq habitants par kilomètres-carré.

Le territoire a réussi à attirer des acteurs industriels, à faciliter leurs implantations et leurs intégrations et à favoriser leurs interactions.

Même si ce territoire est caractérisé par une dominante agricole, les volontés et les initiatives politiques locales ont favorisé au fil des années la création d’écosystèmes économiques caractéristiques et représentatifs du dynamisme des territoires ruraux. Ne pouvant compter que sur ses propres ressources, le territoire a réussi à attirer des acteurs industriels, à faciliter leurs implantations et leurs intégrations et à favoriser leurs interactions permettant ainsi de créer les conditions favorables au développement d’un écosystème économique local vertueux. Un des résultats de ce phénomène se traduit, entre autres, par l’attractivité du territoire, la communauté de communes étant le territoire qui enregistre la plus forte croissance démographique de tout le département de l’Allier.

En qualité de récent directeur de cette communauté de communes, je me suis interrogé sur les particularités du développement de ce territoire. Pourquoi les entreprises choisissent d’investir ici alors que dans un contexte de concurrence territoriale exacerbée et métropolisée, d’autres collectivités proposent des conditions bien plus avantageuses ?

C’est en parcourant au quotidien ce territoire, au contact de ses habitants, de ses élus et de ses entrepreneurs, que m’est venue cette notion d’écosystème économique rural.

En effet, un écosystème se caractérise en biologie par un milieu physique, le biotope, un ensemble d’espèces et un ensemble de processus favorisant un échange d’énergie entre les différents acteurs. La présence combinée de ces trois éléments est nécessaire pour favoriser la création et le développement d’un écosystème. À y regarder de plus près, le territoire de Saint-Pourçain Sioule Limagne remplit ces trois conditions préalables.

Un milieu propice à l’accueil des acteurs économiques

Le territoire de Saint-Pourçain Sioule Limagne se caractérise tout d’abord par un milieu local favorable à l’implantation des entreprises et à l’initiative entrepreneuriale.

Le territoire dispose d’un foncier économique attractif et disponible situé à proximité de plusieurs axes autoroutiers (A719, A71, A89). Le développement de ce foncier économique est à l’initiative de personnalités politiques locales qui ont délibérément fait le choix de l’économie en sachant offrir aux entreprises des conditions d’accueil de qualité.

Deux parties du territoire illustrent cette politique de portage d’un foncier attractif. À Saint-Pourçain-sur-Sioule, Bernard Coulon, maire de la cité vinicole de 1995 à 2019, a œuvré à la création et au développement de nombreuses zones d’activités économiques en périphérie immédiate de la commune. Il a également utilisé le syndicat intercommunal d’aménagement et de développement, précurseur de la communauté de communes en pays saint-pourcinois, pour développer d’autres zones d’activités économiques sur le territoire telle que la plateforme logistique des Écherolles à Saint-Loup. Une autre personnalité politique locale, Anne-Marie Defay, maire de 1995 à 2016 de la commune de Saint-Bonnet-de-Rochefort, a également développé les conditions d’accueil des entreprises en aménageant une zone d’activité dédiée à la nutrition santé et labellisée ISO 14001.

Le trait commun de ces deux personnalités politiques est leur « amour » de l’entreprise, considérant le développement économique comme le substrat indispensable à la construction d’un écosystème harmonieux. L’équation mise en place par les deux élus est très simple : entreprises g emplois g habitants g services g cadre de vie. C’est par leur intérêt porté à l’entreprise, et aux entrepreneurs, et en se montrant à l’écoute de leurs besoins et de leurs demandes que ces deux élus locaux ont créé des écosystèmes typiques d’une dynamique rurale. Ces initiatives sont aujourd’hui reprises par leurs successeurs qui continuent d’enrichir le substrat ainsi obtenu, continuant d’aménager et d’améliorer les zones existantes.

Aujourd’hui, cette petite communauté de communes rurale dispose de onze zones d’activités sous pavillon communautaire, représentant près de 300 hectares de foncier économique, chacune ayant ses spécificités et permettant d’avoir une réponse personnalisée aux demandes des entrepreneurs. Vous souhaitez un emplacement dans une zone intégrée en trame urbaine, à proximité de voies autoroutières, une zone embranchée ferroviaire ou certifiée responsabilité environnementale, une zone dédiée à l’artisanat ou dédiée à l’industrie, etc., le territoire est certainement en capacité de proposer à un entrepreneur un produit répondant à son besoin. Je prends l’exemple, récent, d’une entreprise qui cherchait à disposer de vingt-cinq hectares de foncier embranché fer, desservi par le gaz et avec une alimentation en eau industrielle : Saint-Pourçain Sioule Limagne était en mesure de répondre favorablement à cette demande.

Créer les conditions favorables au lien social avec le développement d’une riche vie culturelle et associative pour un petit territoire rural.

Cette diversité de foncier économique permet ainsi de répondre quasi immédiatement aux besoins d’implantation ou de développement d’une entreprise, avec même le « luxe » de présenter à un entrepreneur deux à trois possibilités d’implantation.

Mais le milieu local ne se limite pas au seul foncier économique disponible et à ses aménagements ou équipements publics. Il est nécessaire que celui-ci soit enrichi d’autres composantes permettant d’obtenir un substrat attractif pour le développement des entreprises.

La deuxième composante d’importance est la présence d’un vivier de recrutement suffisant. En effet, qui dit « entreprises » dit « salariés » et donc habitants. Saint-Pourçain Sioule Limagne dispose intrinsèquement d’une population active de l’ordre de 15 000 personnes et bénéficie également des apports des territoires avoisinants comme l’agglomération de Vichy et le nord du département du Puy-de-Dôme. Malgré son dynamisme économique, le territoire compte plus de 10 % de chômage et permet donc de répondre en partie aux besoins des entreprises locales. Il est à noter que ce territoire compte près de 22 % d’emplois industriels ce qui lui a permis d’être reconnu « Territoire d’industrie » par l’État en 2018.

La présence de ces salariés est un atout et il est important pour le territoire de les fixer et d’en faire des habitants. Les politiques publiques menées par les collectivités sont axées sur cette préservation et l’amélioration du cadre de vie, autre composante essentielle de cet écosystème.

Ainsi, Saint-Pourçain Sioule Limagne bénéficie d’un environnement préservé et de qualité. Rythmé par la plaine d’Allier, le vignoble, le val de Sioule, la Limagne et la moyenne montagne, le territoire jouit de paysages diversifiés, marqués par sa géologie. Saint-Pourçain Sioule Limagne est structurée autour de deux pôles comptant plus de 5 000 habitants, de quatre pôles de proximité de plus de 1 000 habitants et d’une multitude de communes disposant encore de services du quotidien. Cette armature territoriale équilibrée est un facteur d’attractivité, permettant aux habitants de disposer de nombreux services à moins de dix minutes de leur domicile.

Mais la particularité du territoire est d’avoir su créer les conditions favorables au lien social avec le développement d’une riche vie culturelle et associative pour un petit territoire rural. La communauté de communes soutient de nombreuses manifestations locales d’importance comme le festival des Cultures du monde ou le festival Viticole et gourmand, sans oublier toutes les autres manifestations locales ou d’intérêt communautaire, qui contribuent à une vraie politique d’émulation de la vie sociale. La communauté de communes développe en complément une saison culturelle, pilote différents événements et a mis en place une politique de prêts de matériels aux associations. Les communes du territoire participent également très largement au développement de ce lien social en soutenant leur tissu associatif. Ce sont ainsi toutes ces initiatives qui agglomérées entre elles façonnent ce ciment social, composante essentielle du cadre de vie.

La mobilisation des acteurs locaux autour du développement économique

La deuxième composante de l’écosystème est la présence d’espèces vivantes que sont les entreprises. Ces entreprises peuvent être issues d’un entrepreneuriat local ou d’implantations extérieures. Quoi qu’il en soit, le facteur humain apparaît souvent comme un élément déclencheur prépondérant d’une collaboration réciproque et fructueuse entre les personnes publiques locales et les entreprises au bénéfice du territoire.

Pour étayer ces propos, je reprendrais les deux exemples cités auparavant :

  • Anne-Marie Defay, maire de Saint-Bonnet-de-Rochefort, petite commune d’environ 700 habitants, cherchait à développer sa localité. Un jeune pharmacien, Philippe L., souhaitait entreprendre dans le domaine de la nutrition santé. La rencontre entre ces deux personnes va donner naissance à une belle histoire entrepreneuriale et matérialisée par la construction d’une zone d’activités dénommée « le Naturopôle ». Vingt ans plus tard, la petite commune de Saint-Bonnet-de-Rochefort accueille sur son parc Naturopôle », devenu communautaire en 2019, un des fleurons nationaux du complément alimentaire et de la nutrition santé, à savoir le groupe Pileje mais également d’autres pépites industrielles comme Herbal T ou Eskiss. Ce sont désormais près de deux cents quarante salariés qui travaillent quotidiennement sur le site. Saint-Bonnet-de-Rochefort illustre à merveille cet exemple de l’écosystème économique rural inséré dans son environnement territorial et où tous les acteurs, élus, entrepreneurs, salariés, habitants, s’inscrivent dans un cercle vertueux et qui se traduit par le développement des services et une amélioration notable du cadre de vie. Cet exemple d’écosystème économique rural était le cadre idéal en juillet 2019 pour que la ministre Jacqueline Gourault présente son agenda rural destiné à redonner toute sa place aux zones rurales, fertiles de talents et de dynamisme ;
  • la vitalité économique de la commune de Saint-Pourçain-sur-Sioule est également liée à ce facteur humain. L’implantation d’une entreprise de renommée internationale – la société Louis Vuitton – sur la commune au début des années quatre-vingt-dix illustre la naissance de l’écosystème saint-pourcinois. À l’origine, des salariés d’une entreprise de chaussures qui fermait, sollicitent l’aide d’un élu local, Bernard Coulon, pour les aider à trouver un repreneur et installer une nouvelle activité. Cet élu local, avec l’appui du directeur du comité d’expansion économique, arrive à rentrer en contact avec une entreprise du secteur du luxe dans le domaine de la maroquinerie. La rencontre entre cet élu local et le responsable de l’entreprise se traduit par une confiance réciproque et l’envie de partager un projet commun. Le projet se concrétise rapidement par l’implantation d’une première unité de production. La commune a joué un vrai rôle de facilitateur dans cette implantation, allant jusqu’à immobiliser sa salle des fêtes et en la mettant à disposition de l’entreprise pour lancer la production d’articles de maroquinerie le plus rapidement possible. Cette entreprise comptera bientôt 1 000 salariés sur la commune avec un troisième site de production en cours de construction.

Par les politiques publiques qu’ils initient, les élus locaux ont la possibilité de construire les outils qui permettront d’attirer les entreprises ou de favoriser leur développement. Ainsi, la collectivité a initié et porté avec ses partenaires des dispositifs mobilisables à l’échelle du territoire pour accompagner les entreprises. Il peut s’agir d’aides économiques comme les dispositifs d’aides à l’immobilier des entreprises que le département de l’Allier a pu déployer et conserver malgré la loi NOTRe, mais également des services proposés localement par différents opérateurs dont naturellement l’ancien comité d’expansion économique de l’Allier, devenu depuis l’Agence de développement économique régionale. Ces dispositifs viennent compléter la boîte à outils de l’élu local.

Par ces exemples, je souhaite démontrer que l’initiative publique est une composante essentielle du développement d’un écosystème économique rural en jouant ce rôle de facilitateur. L’élu local, par son réseau et sa connaissance très fine du territoire, a un rôle essentiel à jouer pour lancer cette dynamique et favoriser l’ensemencement économique du substrat territorial. Il suffit d’une rencontre et d’une volonté partagée pour donner naissance à une histoire économique pérenne et prospère.

L’initiative publique et la mise en réseau de tous les acteurs

Le rôle de l’initiative publique ne se limite pas à créer les conditions favorables de l’accueil des acteurs économique. Elle doit également jouer ce rôle de facilitateur au quotidien dans les relations entre les entreprises et l’administration et ainsi favoriser l’émergence des projets économiques. Sa réelle plus-value est de pouvoir mettre en relation les bons interlocuteurs avec les entrepreneurs. Combien de chefs d’entreprise se sentent isolés ou écrasés par le poids de l’administration dans le développement de leurs activités ? En mobilisant son réseau, l’élu local peut jouer ce rôle de facilitateur et lever les freins pour libérer les énergies de son territoire.

Étant donné sa vision, l’élu local a également une carte à jouer pour favoriser la rencontre des acteurs locaux et des entreprises. La communauté de communes Saint-Pourçain Sioule Limagne a ainsi lancé des cycles de rencontres à destination des chefs d’entreprise afin de favoriser entre eux les affaires mais également en les faisant rencontrer d’autres acteurs du territoire qui peuvent les aider à lever des freins dans le développement de leurs projets.

Ces moments d’échanges sont importants pour créer une identité collective et favoriser le « business » entre acteurs. La prochaine étape sera de mobiliser les acteurs autour de salons professionnels thématiques ou de bourses d’emploi territorial et ainsi chasser en meute sous pavillon communautaire.

En conclusion, la force de ce territoire rural est d’avoir su impulser une dynamique collective en préparant et offrant toutes les conditions nécessaires à l’accueil des entreprises. Dans un deuxième temps, les élus des collectivités locales ont favorisé les relations entre entreprises afin qu’elles libèrent leurs énergies et participent à la création d’une chaîne de valeur commune. De plus, ces relations favorisent leur mise en réseau et développent une solidarité entrepreneuriale. Enfin, pour consolider cet écosystème, les collectivités ont porté leurs efforts sur l’amélioration du cadre de vie pour fixer les habitants sur le territoire. C’est cette alchimie fragile et subtile reposant sur des initiatives locales qui a permis l’émergence de plusieurs écosystèmes économiques locaux et qui demain ne formeront qu’un à l’échelle du territoire.

  1. CGET, « L’industrie dans les territoires français : après l’érosion, quel rebond ? », 2018, fiche d’analyse de l’Observatoire des territoires.
×

A lire aussi