Quand un agent public partage ses « expériences d’intérêt général »

Le 18 mars 2024

Silvère Mercier, chargé de mission en recherche et développement (R&D) et engagé dans les expérimentations publiques à la Métropole européenne de Lille (MEL), fait un pas de côté chaque mois avec une infolettre tonique pour « construire de belles expériences d’intérêt général ». Rencontre.

Des initiatives réjouissantes, des cartons rouges de l’action publique, des articles de réflexion ou d’actualité inspirants, un mot stimulant, etc. : c’est la ligne éditoriale sans chichi et sans blabla qu’a choisi d’explorer cet esprit curieux pour partager ses coups de cœur, de gueule et ses découvertes pour faire avancer la cause des services publics, et explorer de manière décalée la transformation publique.

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je m’appelle Silvère Mercier, je suis agent public depuis une vingtaine d’années. Mon parcours est placé sous l’angle de l’exploration ! J’ai d’abord exploré les fascinantes possibilités du numérique pour la diffusion des savoirs dans le monde des bibliothèques, j’ai poursuivi avec la frontière entre les communs et l’action publique. J’ai bifurqué en 2018 dans le monde de la transformation publique où le terrain de jeu est là aussi très vaste et stimulant ! Je travaille aujourd’hui au sein de la direction R&D de la MEL. Ce petit projet d’infolettre est pour moi un « projet à côté », c’est-à-dire à la fois relié aux thématiques de mon activité professionnelle, mais mené à côté de celle-ci, en mon nom propre.

Quelle est votre vision de « l’innovation publique » ?

Pour moi, l’« innovation publique » est une expression galvaudée que je n’emploie presque plus. Elle fait naître un fantasme de « nouveau à tout prix », voire un solutionnisme technologique ou méthodologique qui est décalé par rapport aux urgences des transitions écologiques et sociales. Ma vision est qu’il nous faut prendre soin des expériences que nous proposons aux vraies gens. Pour cela, il est urgent de prendre soin des agents publics à tous les niveaux ! À l’heure du dépassement des limites planétaires, on ne peut plus se permettre de séparer la « transformation publique » (expression que je préfère à « innovation ») des transitions écologiques et sociales.

Comment est née l’idée de votre newsletter « expériences d’intérêt général » ?

L’expression vient de l’approche « centrée utilisateur », si nous l’appliquons telle quel au service public, nous inventons la plus belle des applications pour… contourner la carte scolaire ! Voilà qui est centré utilisateur mais détruit la mixité sociale. Nous voyons bien qu’il faut équilibrer entre une nécessaire attention aux usages et des enjeux d’intérêt général à travers une expérience vécue ! Ce mot « expérience », je l’aime particulièrement parce qu’il exprime à la fois le fait d’expérimenter, de tester, et tâtonner pour trouver et « ce qui est vécu » à partir du premier contact avec des agents publics. Expérience d’intérêt général se lit en écho à John Dewey1 qui ne perçoit l’intérêt général que sous l’angle de ce qui est produit par un public, nous sommes à mille lieues d’une définition hors sol, identique pour toute une société. Dans cette approche les élus ne sont pas les détenteurs de l’intérêt général exprimé une fois pour toute, mais ils sont négociateurs d’espaces géographiques et mentaux pour développer des expériences d’intérêt général. C’est un rôle crucial ! Ma conviction c’est qu’il faut que les agents publics arrivent à passer d’un statut de « rouages de la machine » ou d’experts à des organisateurs d’expériences d’intérêt général. Au fond, je me dis qu’ils contribuent à des parcours qui visent à maintenir ou développer l’habitabilité du monde, rien de moins ! Ils organisent ou soutiennent des expériences d’intérêt général. Celles-ci se déploient dans des temps délimités pour prendre soin de leurs réalités avec ceux qui les vivent. Elles doivent être racontées pour être ouvertement transmises, ce qui est encore bien trop rare. Dans cette approche, l’expression « prendre soin » est fondamentale parce que c’est à partir de là qu’on organise des dispositifs qui transforment le monde dans une perspective de transition écologique et sociale, évidemment.

À l’heure du dépassement des limites planétaires, on ne peut plus se permettre de séparer la « transformation publique » des transitions écologiques et sociales.

Pouvez-vous présenter la ligne éditoriale, le positionnement et la valeur ajoutée de votre infolettre ?

Ma ligne est très simple, je collecte et j’expose des ingrédients pour contribuer à construire de belles expériences d’intérêt général. Chaque semaine, le cocktail se compose d’un mot ou d’une notion inspirante souvent liée à une posture ou un état d’esprit qui me fascine. J’ajoute une dose composée d’un article inspirant, souvent dans l’idée de favoriser une prise de recul sur des évidences médiatiques puis une pincée d’initiative réjouissante pour illustrer la créativité des agents publics qui se réinventent en permanence. Enfin une louche de carton rouge, parce que c’est souvent très utile de savoir avec quoi en finir pour mieux avancer : voilà mon infolettre. Pas de grand blabla : quatre liens, quatre images, quatre citations et quatre explications de pourquoi je les ai choisis. Parfois je propose des hors-séries, histoire de changer un peu. J’essaie d’être didactique, d’éviter le jargon et une pointe d’humour aussi ! Jusqu’à maintenant les gens me suivent, je reçois de nouveaux abonnés tous les jours, 1 275 en dix-huit mois à l’heure où j’écris ces lignes [NLDR : chiffre à jour au 5 mars 2024], c’est un vrai plaisir, et il est partagé selon les retours de mon enquête en ligne en fin d’année 2023, alors je continue !

Pour aller plus loin

Pour s’abonner : https://silvae.substack.com/

Les deux articles les plus lus : « 24 livres recommandés pour dynamiter les idées reçues sur les politiques publiques en 2024 » et « L’action publique dans les séries ».

  1. John Dewey est un psychologue et philosophe américain majeur du courant pragmatiste.
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