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Accompagner et encourager l’innovation dans les territoires : le cas d’el capitan et de la coop des territoires

S’il est un lieu d’échange, El Capitan est aussi un modèle : il donne à voir l’influence du tiers-lieu sur la manière d’interagir et d’expérimenter en écosystème.
©Crédit : DR.
Le 2 janvier 2025

El Capitan est une auberge participative autogérée située au cœur du Bocage Ornais, lancée par la Coop des territoires. Entre porte d’entrée, passerelle et espace d’atterrissage, elle invite à interroger la manière dont les néo-ruraux et habitants historiques, au-delà de ces deux catégories, peuvent faire ensemble.

Avec sa façade en pierres de granit, son toit en pente et son grand jardin verdoyant, la maison du 45, le vieux lavoir aux Tourailles est typique des bâtisses familiales du Bocage ornais. Mais elle accueille depuis 2019 un projet singulier : une auberge participative autogérée, El Capitan, mise à disposition par l’association du même nom.

Jusqu’à deux semaines par mois, la trentaine de bénévoles de l’association se relaient pour faciliter le séjour des personnes venues télétravailler, randonner, rencontrer du monde ou se détendre. Le reste du temps, la maison est privatisée pour des séminaires d’équipe, utilisée comme espace de travail par les personnes habitant à proximité et sert de lieu de réunion et de fête aux bénévoles d’El Capitan.

C’est dans cet espace convivial que se fabriquent des projets impliquant un jeu d’acteurs complexe, dont des élus locaux, des ingénieurs, des agriculteurs et des parents, et se tiennent leurs réunions. S’il est un lieu d’échange, El Capitan est aussi un modèle : il donne à voir l’influence du tiers-lieu sur la manière d’interagir et d’expérimenter en écosystème.

Du besoin au projet : itinéraire d’une transformation

Quand il s’installe dans l’Orne en 2017, Igor Louboff a quitté son poste de chargé de l’aide publique au développement multilatéral au sein du ministère des Affaires étrangères et fait le bilan d’un mouvement citoyen (#MaVoix) auquel il avait contribué à l’occasion des élections législatives. Il souhaite alors mettre ses compétences en ingénierie de projet et innovation sociale au service de projets combinant ancrage local, portage collectif et imbrication de leviers.

Igor Louboff rédige un livre blanc aux allures de manifeste – Territoires en commun – pour se rapprocher des habitants du Pays du Bocage. Car là est son besoin : disposer d’une interface pour rencontrer les acteurs publics et associatifs et construire avec eux des projets de territoire. De cette démarche naît un lieu, El Capitan.

« Au-delà d’un simple espace passerelle ville-campagne, nous souhaitions monter un lieu de diversité et de rencontre. Nous l’utilisons pour réunir des habitants, des élus, des agriculteurs à l’occasion de soirées ou favoriser la discussion et comprendre les aspirations et les besoins », souligne le porteur de projet. C’est d’ailleurs à l’occasion d’une soirée mensuelle que des parents d’élèves ont exprimé le besoin de faire évoluer les cantines scolaires pour que leurs enfants y mangent mieux.

El Capitan n’est pas qu’un espace de déploiement. C’est aussi un lieu d’atterrissage pour les projets historiques du Bocage ornais.

Au fil des rencontres émerge l’idée d’un projet de structuration d’une filière de production bio et locale à destination de la restauration collective. Intitulé « Qu’est-ce qu’on mange dans le Bocage ? » (QQMDB), le projet est aujourd’hui porté par deux salariées à temps plein et soutenu par trois partenaires. Il mobilise une quarantaine de producteurs locaux et une trentaine de restaurations collectives (principalement des cantines scolaires).

Entre espaces informels et réponses systémiques

La Coop des territoires, la société coopérative et participative (SCOP) que co-fonde Igor Louboff en 2019 avec trois autres jeunes ingénieurs l’ayant rejoint, accompagne des projets avec une méthodologie similaire : « Nous partons de besoins que nous avons observé ou qui sont exprimés par des acteurs locaux sur le territoire. À partir de là, nous mobilisons des parties prenantes qui vont définir ensemble un projet par rapport aux besoins qu’ils ont identifiés ou exprimés. Et ensuite, avec la Coop, nous allons chercher des fonds d’amorçage, nous recrutons et nous gérons le projet. »

S’il est un lieu d’échange, El Capitan est aussi un modèle : il donne à voir l’influence du tiers-lieu sur la manière d’interagir et d’expérimenter en écosystème.

Le succès et la régularité des rencontres à El Capitan mettent en lumière un besoin structurel de rencontre chez certains acteurs. Le manque d’interactions pèse, par exemple, sur le secteur de l’agriculture. Pour y répondre, la Coop des territoires lance en 2022 le projet Alterfixe : « Il faut le voir comme un gros Tinder de l’installation agricole, plaisante Igor. Il y a, d’un côté, des porteurs de projets qui cherchent une ferme, et de l’autre, des agriculteurs qui ont des exploitations à céder dans les prochaines années. »

Signe de son dynamisme et étape clé de sa pérennisation, Alterfixe est devenu, en 2024, une association. Si le dispositif d’accompagnement déployé par la Coop des territoires n’est plus central dans la vie du projet, El Capitan reste, pour sa part, une structure essentielle à sa réalisation.

Vers un réseau de projets coopératifs

El Capitan n’est pas qu’un espace de déploiement. C’est aussi un lieu d’atterrissage pour les projets historiques du Bocage Ornais. Le territoire regorge en effet d’initiatives de longue date liées à la mobilisation citoyenne, aux communs et à la transition écologique.

Les six projets – dont certains ont une quinzaine d’années – que rassemble le Pôle territorial de coopération économique (PTCE), monté en 2022 par la Coop des territoires, trouvent en El Capitan une plateforme de coopération importante. Les acteurs de Rhizome, une coopérative d’activité et d’emploi agricole, Bocage zéro carbone, un réseau d’habitants, de collectivités et d’entreprises qui œuvrent autour de la décarbonation du territoire ou encore Bois Bocage énergie, une SCIC qui valorise le bois pour entretenir durablement les haies bocagères, s’y retrouvent ainsi de plus en plus fréquemment.

Le pôle territorial de coopération économique (PTCE) compte plusieurs cellules dédiées à la mutualisation ou à la co-construction de politiques publiques et permet aussi d’analyser les hybridations et mutations de l’écosystème économique et social du Pays du Bocage : « Observer et documenter l’ensemble, raconte Tom Guadagnin, son coordinateur, c’est l’un des enjeux du pôle de coopération qu’on identifie aujourd’hui comme une espèce de faire-tiers-lieu de territoire », c’est-à-dire une fabrique de la transformation qui s’appuie sur les manières de faire tiers-lieu pour relier « le triptyque individu, territoire et société ».

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