Revue

Dossier

Regards croisés sur la transfo à la MEL

Le 31 mars 2020

La Métropole européenne de Lille (MEL) s’est lancée en mars 2018 dans le programme de la Transfo1 en partenariat avec La 27Région. Au gré des quatorze sessions, les vingt agents volontaires issus de diverses directions, ont expérimenté de nouvelles manières de concevoir l’action publique au travers de cas pratiques dans une démarche de formation-action. Ils ont ainsi testé ce que serait la future fonction « innovation » de leur collectivité. Ces agents-ambassadeurs sont également les relais de diffusion de la démarche auprès de leurs collègues. Premiers retours d’expérience de la direction Habitat suite à la Transfo.

Quelques mois après la fin du programme, comment se traduisent les effets de ces pratiques de design et d’innovation publique ? Retours d’expérience de Céline Deremy-Savary (chargée de mission construction neuve au service plan local pour l’habitat [PLH]) – impliquée en tant qu’ambassadrice, de Claire Bruhat (directrice de l’Habitat), de Claire Obré (chargée de mission développement économique et emploi) – toutes deux impliquées au travers de cas pratiques –, et de Louise Guillot (cheffe de projets à La 27Région) résidente pendant la Transfo.

Diffusion d’une culture d’innovation : d’un changement de posture à l’infusion progressive d’approches orientées usagers

Le premier cas pratique s’est déroulé en lien avec la direction de l’Habitat autour d’AMELIO, un dispositif de soutien à la rénovation énergétique qui peine à rencontrer son public cible. Dans le cadre de la Transfo, les ambassadeurs ont produit cinq scénarios d’amélioration ; deux ont été choisis par la direction pour faire l’objet d’expérimentations : le brico-concierge, relais de proximité assurant des petites réparations et une première information sur AMELIO, dont l’expérimentation sera menée avec trois partenaires (un centre d’action sociale, une entreprise de l’ESS et la Fabrique de l’emploi dans le cadre du dispositif « Territoires zéro chômeur longue durée ») ; le carnet de santé du logement, offrant un état des lieux de l’habitat développé avec le soutien d’une agence de design et expérimenté dans plusieurs réseaux (espace info énergie, réseau des notaires, etc.). Chacune de ces expérimentations est valorisée comme projet proof of concept (POC) dans le cadre de la Capitale mondiale du design.

Claire Bruhat a depuis intégré de façon déterminée le design dans le projet de sa direction. « Construire est de moins en moins accepté par les habitants. Il faut que l’on travaille l’angle utilisateurs, on ne peut plus fonctionner dans nos politiques publiques comme hier. » Au-delà des suites du cas pratique, le service plan local de l’habitat (PLH) a aujourd’hui intégré une approche par le design à la refonte d’un document structurant comme le PLH ou à la transformation des dispositifs pour l’accession abordable.

En tant qu’ambassadrice, Céline Deremy-Savary témoigne du rôle de la Transfo pour valider ses intuitions et mieux comprendre le design. « Il faut que l’on ait plus d’humilité en se disant que l’on est peut-être expert, mais que l’expertise est aussi ailleurs. Lorsque je vais à une réunion sur une étude d’aménagement, ce sont les experts qui se parlent. Je milite pour le point de vue des usagers, c’est devenu mon cheval de bataille ! »

Pour autant, peut-on parler d’une transformation culturelle ? « Aujourd’hui tout le monde n’est pas convaincu. Il faut que chacun puisse passer par ces méthodes, à toutes les échelles et pas uniquement chez les cadres. Mais, nous devons rester ouverts à d’autres approches de transformation publique, comme celle des communs, par exemple. »

Transformation des modes de faire : d’une interrogation en chambre à l’activation d’un réseau de partenaires sur le territoire

Dans le cadre du brico-concierge, le service PLH a activé des partenariats inédits avec des relais de proximité, qui jalonnent une démarche originale : « On est parti de la sous-utilisation des aides AMELIO, on a parcouru des chemins de traverse qui nous ont permis de trouver des solutions décalées et d’arriver à ces partenariats avec des acteurs qui n’étaient pas dans notre ADN initial. » Reste que ce processus sur mesure est loin d’avoir été simple : « Pour la brico-conciergerie, on a été contraint d’abandonner un territoire candidat, faute d’avoir trouvé l’association relais à la bonne échelle. »

L’essai-erreur et l’expérimentation comme approche stratégique

Avec Claire Obré, nous revenons sur un autre cas pratique de la Transfo. Il a consisté à proposer un exemple concret d’un parcours utilisateur pour occuper transitoirement un bien dont la Métropole européenne de Lille (MEL) est propriétaire, en se greffant sur un groupe de travail technique transversal dédié à l’occupation temporaire. En mobilisant de nouveaux services et en apportant « la preuve de l’intérêt d’aller plus loin », la Transfo n’est pas étrangère aux expérimentations qui verront le jour sur le sujet : plus qu’un simple test, il s’agit pour Claire Obré d’apporter des preuves tangibles aux futurs élus de l’intérêt d’un tel service : « L’enjeu de l’urbanisme transitoire est partagé par un grand nombre de services thématiques, nous devons donc investir opérationnellement le sujet. »

Co-création du labo : portage interne au service et appui externe pour ancrer ces nouvelles approches dans une direction

En ouvrant la voie à la formalisation d’expérimentations concrètes sur le territoire, les cas pratiques ont permis de préciser le rôle du futur labo : « Il ne s’agissait pas de créer une agence de design interne, mais plutôt d’accompagner les directions dans les phases “critiques” d’un projet mobilisant du design : la formulation du problème, le calibrage d’une commande, l’appropriation des résultats, et l’expérimentations à échelle réelle », souligne ainsi Louise Guillot.

Une posture d’interface entre prestataires externes et directions métiers, encore peu à l’aise avec ces méthodes : « Ce sont des méthodologies complexes et on a besoin du cadre offert par le labo, pour nous aider à les déployer », explique Céline Deremy-Savary.

L’objectif du labo soulève aussi des enjeux de formation des agents. Un portage politique est indispensable. « On travaille avec la direction générale sur la formation car il faudrait qu’au moins une personne de chaque service soit formée à ces pratiques. »

Reste qu’il convient de faire preuve d’humilité sur les effets de ces démarches au risque de nier les réalités socio-économiques qui touchent les services publics. Claire Obré souligne ainsi la présence de « techniciens saturés de boulot ne disposant pas de temps pour sortir de leurs lignes, expérimenter ». « Le design ne se suffit pas à lui-même, il faut s’adjoindre d’une pluralité d’approches », conclut Céline Deremy-Savary.

  1. La Transfo est un programme expérimental et inter-administrations initiées en 2011 par La 27Région. Il vise à accompagner des administrations dans la préfiguration de leur propre fonction « innovation » ou « labo ». À cette fin, une équipe pluridisciplinaire est embarquée au sein de chaque administration partenaire durant un à deux ans. Elle travaille main dans la main avec un groupe d’agents « ambassadeurs » afin de tester « en situation réelle » la future fonction innovation, ses projets, ses méthodes, son équipe, sa gouvernance, etc., http://www.la27eregion.fr/transfo/
×

A lire aussi