Revue
Anticipations publiquesCherche formation pour élu·es (lost in) transition
Faut-il former les élu·es et si oui, à quoi et comment ? Les formations existantes répondent-elles au besoin de réinvention de la fonction d’élu·e local·e, dans un contexte de défiance citoyenne et d’accélération des transitions écologiques, économique, sociales et démocratiques ? Le programme (Dé)formations1, conduit par La 27e Région et l’Institut Paris Région, avec l’appui des agences Partie prenante et Pratico-pratiques, propose de ré-interroger les objectifs, les formats et les contenus de formation pour les élu·es, afin de les aider à renouveler leurs pratiques. Premières idées et pistes d’expérimentations à mener.
« Me former pour prendre de la hauteur ? La transition est déjà à l’œuvre et en tant qu’élue, je ne vais pas passer des années à me demander ce qu’il faut faire... » Si nombre d’élu·es locaux·ales cherchent la bonne porte d’entrée pour s’engager dans les transitions, qu’elles soient écologiques, démocratiques, sociales, économiques, etc., beaucoup témoignent de leurs difficultés à passer à la vitesse supérieure. Ces transformations exigent du temps, des ressources, des convictions partagées, mais aussi une culture de l’innovation et de la coopération. Dans quelle mesure l’offre de formation adressée aux élu·es peut-elle constituer un levier et une aide ?
Premier constat : la formation est rarement pensée comme stratégique par les équipes municipales : s’il existe un droit individuel à la formation des élu·es (facilité, notamment, par la loi dite « Engagement et proximité » 2), le recours à celui-ci reste très limité. Les budgets alloués sont bien inférieurs à ce qui est prévu par la loi et rarement utilisés. Comment expliquer ce paradoxe et formuler une offre mieux adaptée aux défis que rencontrent les élu·es ? C’est le point de départ du programme de recherche-action (Dé)formations.
Se déroulant sur deux années (avril 2020-avril 2022), il propose de ré-interroger les objectifs, les formats et les contenus de formation pour les élu·es, afin de les aider à renouveler leurs pratiques. Il vise particulièrement les élu·es et décideurs publics de collectivités éloignés des grands centres urbains qui, moins encore que d’autres, participent aux formations classiques. Après une première phase d’enquête auprès d’élu·es et professionnel·les de la formation, La 27e Région et l’Institut Paris Région, qui portent le projet avec l’appui des agences Partie prenante et Pratico-pratiques, dessinent de premières idées et pistes d’expérimentations à mener.
Repenser la formation des élu·es, par le menu...
La première phase du projet nous a conduit à la rencontre d’une trentaine d’élu·es pour tenter de cerner, en ce début de mandature, leurs besoins d’apprentissage, leurs expériences et leurs attentes par rapport à leur fonction. Si leur profil a évolué (renouvellement générationnel, féminisation, effritement des structures partisanes, etc.), leur environnement d’exercice et les attentes qui se portent sur leur fonction également : habitant·es revendiquant de nouvelles formes d’implication démocratique, compétences du bloc communal qui s’élargissent, enjeux qui se complexifient et se technicisent, urgences des transitions mais aussi, localement, sentiment d’isolement des élu·es sur ces sujets… Dans ce contexte, si l’offre de formation est foisonnante, elle laisse néanmoins apparaître des décalages entre les propositions et les défis rencontrés et reste, de fait, difficilement mobilisable par les élu·es.
Aider les élu·es à faire un diagnostic de leurs besoins réels, ici et maintenant, est un pré-requis pour favoriser l’entrée en formation, voire pour créer un parcours de formation collectif dans la durée.
Les choix de formation des élu·es se portent souvent en premier lieu vers des propositions à dimension technique, pour mieux maîtriser la complexité de l’action publique locale et des cadres réglementaires, par exemple, nombreuses sont les offres qui visent à mieux appréhender le pilotage d’une collectivité, le budget local, ou les fondamentaux du droit de l’urbanisme notamment. Développer leur expertise technique est évidemment nécessaire pour mieux porter les sujets dont ils·elles ont la charge, mais également pour renforcer leur sentiment de légitimité vis-à-vis de leur administration, des services déconcentrés ou de l’opposition. Mais cela contribue-t-il réellement à construire leur rôle et leur positionnement d’élu·e ? Poser les orientations politiques qui définissent les choix techniques sur le territoire, se faire l’animateur de leur mise en vie locale, mobiliser habitant·es et acteurs locaux, etc., relève d’autres types de propositions : il s’agit, par exemple, de trouver les moyens de prendre de la hauteur tout en restant bien implanté dans son territoire, de s’outiller pour faire émerger un récit commun, de mettre en musique la diversité des initiatives, etc.
La formation est par ailleurs pensée comme un droit individuel des élu·es, et s’adresse ainsi à chacun pris isolément : c’est à chaque adjoint·e municipal·e ou élu·e communautaire de faire la démarche, de repérer une formation, de s’y inscrire et d’obtenir son financement par la collectivité. Pourtant, l’élu·e n’agit pas de manière autonome et s’inscrit dans une gouvernance plus large : équipe municipale avec sa majorité et son opposition, délégations thématiques, administration de sa collectivité, habitant·es et acteurs locaux, etc. Notre enquête fait ressortir l’importance, pour les élu·es, d’embarquer largement ces parties prenantes, de faire des transitions un sujet collectif, de prendre acte des interdépendances, de dessiner de nouvelles coopérations. La formation peut-elle, alors être pensée et investie collectivement ? Elle pourrait notamment être mobilisée pour aider les élu·es à créer, localement, une dynamique et à embarquer l’ensemble de l’équipe municipale, les services, l’action locale et/ou les habitant·es. Il s’agit, par exemple, de dessiner des espaces pour construire une approche collective, de partager modes de faire, réussites et échecs dans un cadre protégé, ou d’accompagner les changements de postures nécessaires dans leur exercice du pouvoir. En termes de format, les dynamiques de pair à pair sont ainsi plébiscitées par les élu·es ; si la mise en réseau fait partie des externalités positives de toute formation, comment mieux outiller et appuyer cette dimension ? Les structures de formation ont sans doute un rôle à jouer pour faire émerger et structurer des groupes de pairs, en fonction des problématiques rencontrées par les élu·es.
La formation des élu·es, comme l’ensemble de la formation professionnelle, est enfin d’abord structurée par l’offre. Pourtant, le rôle des élu·es est, lui, très dépendant du contexte dans lequel il s’exerce : entre celui qui œuvre dans une commune disposant de peu d’ingénierie et celle qui exerce sa fonction dans une métropole, une commune péri-urbaine en développement, une commune rurale ou agricole, un territoire avec un tissu d’initiatives dynamiques ou encore un territoire qui n’en est qu’aux prémices d’une trajectoire de transition, les rôles sont bien différents. Notre enquête souligne la grande diversité des besoins, qui sont en fonction des contextes territoriaux, des parcours d’élu·es, du temps de la mandature, etc. Aider les élu·es à faire un diagnostic de leurs besoins réels, ici et maintenant, est un pré-requis pour favoriser l’entrée en formation, voire pour créer un parcours de formation collectif dans la durée... Avec néanmoins des contraintes de temps : dans la course de fond que sont souvent les mandats, plus encore lorsque les élu·es doivent concilier leur engagement avec leur vie professionnelle et familiale, le temps à consacrer à la formation est restreint. L’offre doit alors être pensée en modules du type « goutte à goutte » et s’appuyer sur des temps de rebond, plutôt qu’en cycles de journées complètes et d’emblée planifiées sur plusieurs mois.
Quelques recettes à tester pour faire avancer notre chantier
Cette exploration, dont nous partageons ici quelques-uns des enseignements les plus saillants, nous a permis de formuler une série d’idées et de modules à tester – certains sont déjà en cours d’expérimentation sur le terrain, par l’Institut Paris Région et les autres partenaires du projet. Ils s’adressent à tous ceux et celles qui, de près ou de loin, s’intéressent à la formations des élu·es : organismes de formation bien sûr, mais aussi collectivités, acteurs publics ou para-publics désireux d’expérimenter d’autres manières de les embarquer, élu·es soucieux de tisser de nouvelles coopérations au sein de leurs territoire, réseaux, etc.
En guise d’avant-goût, voici trois extraits de ce cahier d’idées :
- pour faciliter l’accès des élu·es à la formation et permettre de dépasser les freins structurels (manque de temps, de portage collectif, crainte de perte de légitimité, besoin d’apparaître sur le terrain, etc.), un outil d’auto-diagnostic individuel et collectif est en cours d’élaboration. Son but : explorer avec un ou des élu·es les formes que peut prendre la formation à la transition, prioriser leurs besoins et convaincre ceux qui se sentent les plus éloignés de la transition qu’ils ont souvent, en fait, déjà un pied dedans… Il s’agit ici de faire de la formation un sujet porté collectivement et, plutôt qu’un aveu de faiblesse, un signal que l’équipe municipale entre, elle-même, en transition ;
- les enjeux de transition viennent percuter les modes de fonctionnement en silos, interroger le partage des rôles avec les acteurs locaux et les modes de gouvernance, etc. Ils supposent que les élu·es adoptent un rôle de facilitateur plutôt que de super décideur, acceptent le temps de l’expérimentation plutôt que d’être soumis à l’urgence du résultat, fassent des aller-retours entre enjeux macro et échelle d’action locale, adoptent des visions plus systémiques. Nous testons ainsi plusieurs dispositifs d’élu·es enquêteurs, qui devront les aider à faire des pas de côté, à changer de rôle, à glaner l’expérience à sa source, etc. Il s’agit ici d’imaginer la formation moins comme le lieu d’une montée en compétences et en savoirs techniques, que comme celui de l’expérimentation de nouvelles postures et de fonctionnement plus ouverts et coopératifs ;
- nombreux sont les élu·es qui témoignent de leur sentiment d’isolement et des injonctions contradictoires qui pèsent sur leur rôle face aux défis de transition. Pour y remédier, nous avons dessiné diverses modalités de pair à pair, dont un test inspiré des groupes d’entraide mutuelles qui mettent l’accent sur l’auto-formation, l’horizontalité, le principe de pair-aidance, afin de créer un cadre protégé et leur permettre de partager et d’avancer sur un problème commun.
Vous pourrez retrouver les onze pistes de test, ainsi
que d’autres inspirations, dans le cahier d’idées du programme. Toutes sont conçues pour être testées, ré-interprétées, améliorées, combinées avec d’autres : l’objectif est que chacun se saisisse des propositions qui l’intéressent pour se les approprier, les améliorer, les transformer. La dizaine d’expérimentations menées dans le cadre du programme seront évaluées afin de venir enrichir une production collective finale. Nous espérons qu’elles viendront nourrir vos propres démarches, créer de nouveaux échanges et faire de ce projet un commun.
- (Dé)formations est un programme expérimental de vingt-quatre mois conduit par l’Institut Paris Région et La 27e Région, avec l’appui de Partie prenante et du designer Norent Saray-Delabar de l’agence de design Pratico-pratiques.
- L. no 2019-1461, 27 déc. 2019, relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique.
Pour aller plus loin
- Vous pouvez retrouver le cahier d’idées et l’ensemble des étapes du projet sur le blog du projet : https://deformations.la27eregion.fr/
- (Dé)formations est soutenu par la Banque des territoires et s’inscrit dans le programme Construire au futur, habiter le futur, porté par la région Île-de-France : https://construire-au-futur-habiter-le-futur.assoconnect.com/page/1383849-accueil