Surmonter les lacunes de l’adaptation en France : s’inspirer d’ailleurs, le cas de Montréal

Montréal
La ville de Montréal a principalement misé sur le verdissement de son territoire urbain en adoptant le plan d'action Canopée. Elaboré en 2012, il se base sur un calcul d'indice canopée, c'est-à-dire un rapport entre la superficie du couvert d'arbres et la superficie totale de l'aire urbaine concernée.
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Le 29 octobre 2021

L’adaptation aux changements climatiques peine encore à se faire une place au sein des politiques urbaines et environnementales françaises. Le système juridique du Québec offre des perspectives encourageantes pour l’intégration de l’adaptation au niveau municipal dont pourrait s’inspirer le système français, comme le montre l’exemple de la ville de Montréal.

Longtemps considérée comme un renoncement vis-à-vis de la recherche de réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’adaptation est aujourd’hui un passage obligé de la lutte contre les changements climatiques. En effet, il devient difficile d’ignorer les conséquences déjà existantes et à venir des changements climatiques. Ce besoin d’adaptation s’illustre entre autres dans les villes, où sont de plus en plus fréquemment relevées des températures records. Le mois de juillet 2021 s’est d’ailleurs vu attribuer le triste titre du mois le plus chaud dans l’histoire de l’humanité, selon l’Agence nationale océanique et atmosphérique américaine (NOAA). Les endroits les plus touchés ont subi durant l’été 2021 une série d’évènements climatiques extrêmes tels que des incendies exceptionnels en Grèce, en Californie ou encore en Sibérie. Ces exemples appellent à une réponse immédiate et forte des territoires devant trouver des solutions face à ces phénomènes d’une gravité nouvelle. L’adaptation s’entend ainsi comme « un ajustement des systèmes naturels et humains en réponse à des stimulus climatiques présents ou futurs ou à leurs effets, afin d’atténuer les effets néfastes ou d’exploiter des opportunités bénéfiques », selon la définition du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).

L’évolution de la prise en compte de l’adaptation par les pouvoirs publics s’illustre par la place qui lui a été accordée au fil des différents rapports du GIEC. Longtemps, l’adaptation restera confinée à un rôle palliatif auquel s’opposera l’atténuation, c’est-à-dire la recherche de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Cette dernière était alors considérée comme seul processus effectif de lutte contre les changements climatiques. Le basculement se fera essentiellement à partir du cinquième rapport du GIEC de 2014 qui consacre une place prépondérante à l’adaptation1.

Ainsi, des besoins équivalents et imbriqués d’adaptation et d’atténuation sont requis. Si un cadre national est nécessaire pour une approche cohérente, l’échelon de réglementation le plus approprié semble être celui de la municipalité ou de l’intercommunalité. Étant donné le caractère contextuel de l’adaptation (les vulnérabilités n’étant pas les mêmes sur l’ensemble d’un pays), ce niveau de collectivité apparaît en effet comme le plus à même pour adopter des mesures en phase avec les réalités territoriales.

En France, l’adaptation peine encore à se faire une place au sein des outils réglementaires et de planification, malgré un cadre contraignant pour les collectivités. Un constat qui interroge sur le potentiel offert par d’autres formes de systèmes juridiques et politiques concernant la question environnementale, comme le montre l’exemple du Québec.

L’adaptation en France : une timide prise en compte

En France, le cadre national pour l’adaptation se concrétise au travers du second plan national pour l’adaptation au changement climatique pour la période 2018-2022. Si ce plan marque une volonté de réglementer à l’échelle gouvernementale la question de l’adaptation, ses effets restent limités. Sa portée n’est en effet pas contraignante pour les documents de planification territoriaux. Le document se limite principalement en un guide de lecture pour les collectivités territoriales, au travers d’orientations générales et non prescriptives. La place de l’adaptation prend en réalité tout son sens à l’échelon infra-étatique, au travers les régions et les intercommunalités, qui sont au fait des vulnérabilités et donc des besoins d’adaptation spécifiques de leur territoire. Les régions sont ainsi responsables de l’élaboration d’un schéma régional d’aménagement et de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) dont un des volets doit identifier les vulnérabilités du territoire, en atténuer les effets et s’y adapter2. Ce document s’impose ensuite par un rapport de hiérarchie aux plans climat air énergie territoriaux (PCAET), obligatoires pour les intercommunalités de plus de 20 000 habitants, et facultatifs pour toutes les autres. Il constitue le document d’urbanisme le plus intégré pour l’adaptation, élevant les intercommunalités au rang d’échelon privilégié pour l’élaboration d’objectifs de réduction des émissions et d’adaptation aux vulnérabilités. Pourtant, dans les faits, le volet « adaptation » des PCAET demeure marginal par rapport à l’atténuation et sa prise en compte reste très inégale selon les collectivités. De plus, le diagnostic territorial de vulnérabilités dont fait l’objet le PCAET n’est pas nécessairement suivi d’objectifs chiffrés et d’un programme d’action détaillé.

L’adaptation ne fait donc pas encore l’objet d’un portage politique ambitieux. Ainsi, si les collectivités territoriales françaises, et en particulier les municipalités, doivent répondre à de strictes obligations juridiques en termes de planification relative à l’adaptation, les résultats ne sont pas à la hauteur du défi climatique auquel sont et seront confrontées les villes. Heureusement, la réglementation peut s’inspirer d’autres systèmes pour évoluer. Le système juridique et politique du Québec offre des perspectives comparatives intéressantes, misant moins sur l’enfermement strict par des obligations de planification que sur une plus grande libéralité décisionnelle de l’échelon local.

Vue d’ailleurs : le cas du Québec illustré par Montréal

Le territoire de Montréal se caractérise par une complexité des échelons de gouvernance. À l’échelon supra local, la communauté métropolitaine de Montréal édicte des orientations d’urbanisme auxquelles se conforment les plans adoptés par l’agglomération montréalaise. Cette dernière se compose de la ville de Montréal3 et d’autres municipalités adjacentes. À l’échelon de la communauté métropolitaine et de l’agglomération, sont fixées les grandes orientations et affectations du territoire. Il revient ensuite à la ville de Montréal d’adopter un plan d’urbanisme mettant concrètement en application ces orientations. Si l’échelon municipal doit se conformer aux objectifs supra locaux, les pouvoirs habilitants des municipalités québécoises demeurent plus étendus que ceux des municipalités françaises, leur offrant une souplesse plus importante.

Le législateur québécois a ainsi exprimé son souhait de ne pas faire une interprétation littérale ou restrictive du pouvoir municipal. Cette volonté est elle-même confirmée par la jurisprudence qui rappelle régulièrement que l’interprétation des règlements municipaux doit se faire de manière large et bienveillante4. Ainsi, quand bien même une compétence expresse ne serait pas attribuée par la loi, les tribunaux doivent se montrer enclins à une interprétation indulgente du texte. Cette tendance se confirme en matière environnementale, puisque les municipalités disposent d’une compétence générale environnementale leur permettant d’adopter des règlements. Elles bénéficient également de prérogatives plus extraordinaires comme le pouvoir résiduaire de réglementation qui leur permet d’adopter des règlements « pour assurer la paix, l’ordre, le bon gouvernement et le bien-être général de sa population » 5. Ce pouvoir constitue une sorte de « plan de secours » pour régir un aspect particulier de leur compétence en l’absence de délégation provinciale. Cet article constitue une ressource inégalée à disposition de l’échelon local.

La légitimité et les prérogatives particulières attribuées à l’échelon local ouvrent des perspectives pour l’adaptation aux changements climatiques [...] cela se traduit concrètement à Montréal par des actions prometteuses en termes d’adaptation.

La légitimité et les prérogatives particulières attribuées à l’échelon local ouvrent des perspectives pour l’adaptation aux changements climatiques dans la mesure où l’impulsion donnée par la communauté métropolitaine et l’agglomération trouverait à s’exprimer aisément au niveau municipal. Et cela se traduit concrètement à Montréal par des actions prometteuses en termes d’adaptation.

À Montréal, des actions volontaires au service de l’adaptation

La démarche a notamment été enclenchée par l’adoption d’un plan d’adaptation aux changements climatiques de l’agglomération de Montréal pour la période 2015-2020. Ce document est une démarche individuelle et volontaire. Elle marque un souhait pour Montréal d’engager une stratégie d’adaptation par la mise en avant de propositions concrètes à destination des municipalités. Sont ainsi présentées des solutions pour lutter contre les îlots de chaleur, comme l’aménagement de lieux pour se rafraîchir, la protection de la biodiversité, le développement de mesures d’urgence en cas de vagues de chaleur, etc. Des moyens techniques sont aussi mis en avant pour les phases de conception de projet ou de réaménagement jouant sur la morphologie et l’implantation des bâtiments et des voies de circulation, ou encore la limitation des surfaces imperméabilisées.

Cette impulsion se retrouve subséquemment au niveau de la ville de Montréal. Celle-ci a principalement misé sur le verdissement de son territoire urbain au travers l’adoption du plan d’action Canopée. Élaboré en 2012, il se base sur un calcul d’indice canopée, c’est-à-dire un rapport entre la superficie du couvert d’arbres et la superficie totale de l’aire urbaine concernée. Il constitue un plan de végétalisation particulièrement abouti dans la mesure où sont fixés des objectifs chiffrés précis en termes de plantation, des adaptations par quartier et un calendrier prévisionnel d’action sur plusieurs dizaines d’années. À cela s’ajoute une étroite association de l’ensemble des acteurs (autant publics que privés), en faisant un plan opérationnel pour une démarche cohérente et transversale de végétalisation en ville. Ces plantations programmées sur l’ensemble du territoire de l’agglomération s’accompagnent également de projets plus spécifiques à l’échelle du quartier, comme celui des corridors verts montréalais. Ceux-ci, distribués sur l’ensemble de la communauté métropolitaine de Montréal, consistent en une arborisation d’un espace conséquent regroupant et reliant plusieurs lieux de vie tels que les parcs, rives, commerces, lieux de travail et d’habitation.

Ce sont également des outils innovants qui sont mis en avant par la ville de Montréal. Celle-ci a approuvé, en 2020, son premier plan Climat pour la période 2020-2030, comprenant de nombreuses mesures d’adaptation. On peut y trouver, entre autres, l’introduction d’un test climat à l’ensemble des décisions de la ville. Ce mécanisme d’aide à la décision permet d’identifier comment un nouveau projet, une politique ou une décision limite les impacts en termes d’émissions de gaz à effet de serre et maximise ceux en lien avec l’adaptation aux changements climatiques.

Un cadre juridique moins contraignant laisserait ainsi une marge de manœuvre aux villes pour réglementer au gré des réalités géographiques mais aussi sociales, culturelles et économiques, à condition de bénéficier d’une véritable stratégie nationale d’adaptation.

C’est enfin au volet participation que la démarche se démarque. La ville a récemment mis en place son premier budget participatif entièrement consacré à la transition écologique et sociale de Montréal. Dix millions de dollars ont ainsi été alloués pour réaliser des projets proposés et choisis par la population. Ce sont plus de 600 projets qui avaient été soumis à l’automne 2020, parmi lesquels sept ont été retenus après un vote à l’été 2021. Le premier lauréat est représentatif du besoin d’adaptation aux îlots de chaleur par les habitants puisqu’il consiste en la création de sept mini-forêts protégées et aménagées. Des projets de promotion de l’agriculture urbaine et de conservation des corridors de biodiversité ont aussi été mis à l’honneur à l’issue de ce vote populaire. Ces dispositifs peuvent être considérés comme des mesures adaptatives « implicites », puisqu’elles présentent des co-bénéfices pour la biodiversité mais aussi au travers des avantages offerts par la végétalisation sur le climat.

L’adaptation aux changements climatiques prend donc petit à petit place au sein des politiques publiques et de la conscience collective.

Pourquoi ça marche ?

Montréal s’insère dans un contexte normatif propice à une adaptation plus « à la carte », flexible vis-à-vis des enjeux propres à ce territoire exposé particulièrement aux îlots de chaleur et aux inondations. Un cadre juridique moins contraignant laisserait ainsi une marge de manœuvre aux villes pour réglementer au gré des réalités géographiques mais aussi sociales, culturelles et économiques, à condition de bénéficier d’une véritable stratégie nationale d’adaptation.

Il faut également souligner le recours important de la ville de Montréal aux partenariats privés pour ses projets d’aménagement urbain. Le verdissement de l’agglomération est caractérisé par une forte présence d’acteurs privés. C’est le cas de la société de verdissement du Montréal métropolitain (SOVERDI) qui coordonne l’ensemble des actions sur le domaine privé dans le cadre du plan d’action Canopée de Montréal. Cette tendance se confirme dans les différents documents d’urbanisme de l’agglomération ou de la ville qui mettent en avant l’importance des collaborations public-privé.

Les défis de l’adaptation

Pour autant, si Montréal fait figure de bon élève au Québec, la démarche d’adaptation n’est pas uniformément enclenchée sur le territoire de la province. Selon une enquête, en 2016, l’Office québécois pour l’adaptation aux changements climatiques (OQACC), très peu de municipalités disposent ce jour d’un plan d’action complet pour l’adaptation, bien que l’absence de plan n’empêche pas l’adoption de mesures d’adaptation de manière moins « formelles ». De même, peu d’entre elles ont un budget consacré à l’adaptation.

L’adaptation est également soumise à des contraintes freinant une application cohérente et efficiente. La complexité et la diversité des formes qu’elle peut adopter entrave l’établissement d’un indicateur fiable pour évaluer l’efficacité des progrès réalisés : autrement dit, il est difficile de « mesurer » le niveau d’adaptation d’une ville, bien que des pistes d’indicateur soient aujourd’hui proposées. De la même manière, le caractère essentiellement contextuel de l’adaptation ne permet pas d’avoir un « guide de bonnes pratiques » applicables à l’ensemble des territoires. Chaque ville ou ensemble urbain doit in fine « aménager l’adaptation ». Ce constat appelle plus que jamais à une adoption à l’échelon gouvernemental d’une stratégie transversale pour aiguiller la planification urbaine des municipalités.

Plus encore, l’enjeu adaptatif doit faire l’objet d’une prise en compte spécifique par les services municipaux. C’est ce qu’ont déjà enclenché certaines municipalités comme c’est le cas à Miami, où a été nommée la première chief heat officer (traduisez « administratrice en chef de l’enjeu chaleur »), suivi plus récemment de la ville d’Athènes. Des initiatives illustrant la technicité de l’adaptation aux changements climatiques et qui appellent à une priorisation de cet enjeu dans l’agenda politique des villes.

  1. Simonet G., « Une brève histoire de l’adaptation  : l’évolution conceptuelle au fil des rapports du GIEC (1990-2014) », Natures Sciences Societes 6 juill. 2015 : « Les notions de vulnérabilité, de résilience et d’adaptation aux changements climatiques sont devenues centrales en même temps que sont de plus en plus étudiées les influences de leurs interprétations dans les prises de décision. La compréhension de l’adaptation évolue et un glissement d’une vision ajustement vers une perception transformationnelle s’observe. L’article analyse les avancées conceptuelles de l’adaptation dans les cinq rapports du groupe intergouvernemental des experts sur l’évolution du climat de 1990 à 2014. Sa place prépondérante dans le dernier rapport (2014) reflète la difficulté d’en penser le concept, répond au besoin de faciliter son opérationnalisation et confirme sa pertinence pour appréhender la complexité sous-jacente à la problématique climatique. La poursuite de la réflexion sémantique contribue à la consolidation d’un champ de recherche prometteur et décloisonné. »
  2. C. envir., art. L. 222-1.
  3. Ici, la « ville » de Montréal est entendue comme un type de municipalité particulière régie par la loi sur les cités et les villes.
  4. En ce sens, l’arrêt n114957, Canada Ltée (Spraytech, Société d’arrosage) c/ Hudson (Ville), 28 juin 2001.
  5. L. C-47.1, sur les compétences municipales, art. 85.
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