Revue
DossierVers de nouveaux modèles d’aménagement : le nécessaire changement de trajectoire des territoires
Face à des modèles d’aménagement du territoire remis en cause par les défis des transitions, comment permettre aux élus du bloc local de faire face aux changements de trajectoires à amorcer dans les territoires ?
Résumé
Les indicateurs du dérèglement climatique nous montrent que tout va plus vite que prévu dans les scénarios les plus pessimistes des scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), avec une trajectoire à +4°, alors que l’Accord de Paris devait organiser les conditions d’un maintien à +1,5°.
Avec la loi Climat et résilience1, les élus du bloc local ont, dans le même temps, l’obligation légale de revoir tous les documents d’aménagement (schéma de cohérence territoriale [SCoT]) en 2027 et d’urbanisme (plan local d’urbanisme [PLU] et intercommunal [PLUi]/cartes communales) en 2028. En responsabilité, les acteurs des territoires savent que les décisions doivent se prendre et se mettre en œuvre, maintenant.
Dans ce contexte, l’objet de cet article est d’identifier les nouveaux modèles d’aménagement susceptibles de répondre aux enjeux de la transformation écologique.
Pour ceux qui espéraient qu’un nouveau texte législatif leur permettrait de ne pas intégrer les enjeux de sobriété foncière et de désartificialisation, ils ont dû comprendre que le contexte parlementaire national va figer, pour quelque temps, les évolutions du cadre d’intervention des collectivités. Mais surtout, les travaux menés, ces dernières années, par la Fédération des SCoT, avec une trentaine de partenaires, montrent que la mutation de l’aménagement du territoire est stratégique pour l’avenir, avec ou sans texte de loi pour nous contraindre à avancer.
La mutation de l’aménagement du territoire est stratégique pour l’avenir.
La modernisation des SCoT2, issue de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ELAN)3 de 2018 et de ses ordonnances de 2021, a pour objectif de remettre le projet politique territorial en première ligne, afin d’avoir une stratégie territoriale très claire pour l’avenir des territoires, à grande échelle, qui soit intégratrice des objectifs nationaux et régionaux et qui détermine le projet local à vingt ans.
Les lois qui ont suivi les ordonnances de la loi ELAN demandent, en plus de la modernisation des stratégies territoriales pour 2027, qu’elles prennent mieux en compte la vulnérabilité des territoires au dérèglement climatique, pour limiter le réchauffement, travaillent leur adaptation, favorisent la reconquête de la biodiversité, renforcent les puits de carbone, diminuent la pression sur la ressource en eau et limitent l’accélération des risques naturels. Tout en décarbonant les activités économiques, les mobilités et l’aménagement, avec un objectif de sobriété foncière ambitieux, en répondant aux besoins des habitants et des acteurs.
Ces attentes donnent le vertige tant les défis à relever sont colossaux dans un calendrier très contraint. Face à des modèles d’aménagement du territoire remis en cause par les défis des transitions, comment permettre aux élus du bloc local de faire face aux changements de trajectoires à amorcer dans les territoires ?
Élaborer une stratégie territoriale
Ils peuvent commencer par construire une vision politique des nouvelles trajectoires et des nouveaux modèles d’aménagement dans le cadre de l’élaboration de la stratégie territoriale du SCoT modernisé. Le projet d’aménagement stratégique (PAS) du SCoT, est désormais constitué de trois piliers obligatoires : l’économie en transversalité, avec l’artisanat, l’industrie, mais également l’aménagement commercial, l’agriculture au sens de l’alimentation et la forêt ; le deuxième pilier obligatoire concerne les besoins de la population, l’habitat, les équipements et les services, la mobilité ; et le troisième pilier obligatoire, c’est celui des transitions. La transition énergétique, la transition écologique, l’adaptation au changement climatique, la biodiversité, les paysages et l’eau. Et en transversalité de ces piliers, les trajectoires de gestion économe du foncier et la lutte contre l’artificialisation permettent la mise en œuvre des objectifs de la loi Climat et résilience.
Il est désormais possible d’adosser un plan d’action à la stratégie, dans le SCoT pour expliquer comment passer de la stratégie à l’action concrètement et quels acteurs se mobiliseront autour des orientations et des objectifs à mettre en œuvre, avec quels projets. Parallèlement, la loi Climat et résilience fixe une priorité de massification du renouvellement urbain, la mise en place d’objectifs ambitieux de sobriété foncière avec le zéro artificialisation nette (ZAN) en 2050 et la construction d’une stratégie de renaturation pour compenser l’artificialisation.
En France, l’artificialisation a diminué de près de 30 % dans la dernière décennie, passant d’un peu plus de 31 000 hectares par an en 2011 à 21 000 hectares par an en 2021, selon les chiffres du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema). La loi prévoit une baisse nationale de 50 % par rapport à cette trajectoire déjà baissière, territorialisée par les régions, au sein de leurs documents régionaux, entre les différents SCoT.
Les défis des transitions appellent au renforcement de la gouvernance au sein du bloc local.
Les défis des transitions, les objectifs de la loi Climat et résilience et plus globalement la révolution des politiques d’aménagement du territoire en cours, appellent au renforcement de la gouvernance au sein du bloc local. Pour changer la trajectoire des territoires, il est nécessaire que la stratégie du SCoT, le plan d’action qui en découle, la mise en œuvre des politiques sectorielles locales, les projets et la contractualisation soient mieux coordonnés, que la chaîne de commandement soit resserrée au sein du bloc local, et que ce qu’on décide à l’échelle du SCoT, de l’intercommunalité et des communes soit bien coordonné pour permettre ce fameux changement de trajectoire.
Choisir pour ne pas subir
La trajectoire foncière de la loi Climat et résilience va impacter le cadre et la mise en œuvre de toutes les politiques sectorielles. Les trajectoires ZAN et zéro émission nette (ZEN) ont pu susciter incompréhension et parfois rejet, laissant une impression d’injonction contradictoire aux élus. Ceux de la Fédération des SCoT ont souhaité faire de ces défis une opportunité, et d’en appeler à la responsabilité des élus du bloc local avec un mot d’ordre : « Choisir pour ne pas subir. » En complément d’une prise de conscience sur les incidences concrètes du dérèglement climatique dans les territoires, ils ont mesuré l’enjeu d’organiser une politique de reconquête de biodiversité, de souveraineté alimentaire, énergétique, de travailler sur la réindustrialisation, la mutation du commerce, l’adaptation des territoires au vieillissement de la population, ou encore de lutter contre l’accélération des risques naturels et d’adapter le projet territorial à la disponibilité des ressources naturelles, notamment en eau.
Vers de nouveaux modèles d’aménagement des territoires
Forts de ces constats et du contexte, les élus ont mesuré qu’il n’était plus possible d’aménager les territoires, comme cela a été fait ces soixante dernières années. Une étude a été engagée avec une trentaine de partenaires pour identifier des pistes de nouveaux modèles d’aménagement des territoires à adapter aux spécificités locales4.
Cinq axes de travail ont été identifiés pour travailler sur ces nouveaux modèles.
Élargir la manière d’identifier les besoins d’un territoire
En ouvrant, par exemple, les questions de mobilités, souvent concentrées sur les déplacements pendulaires, à la part de la population qui sera moins mobile dans le cadre du vieillissement de la population, en s’interrogeant sur la localisation des services et des équipements en lien avec cette évolution des mobilités et le vieillissement, ou encore en abordant la question des besoins d’accès à la nature des populations, parfaitement mise en visibilité par le covid-19 et de ses conséquences sur les formes d’habitat : accès extérieurs partagés, création de logements avec balcons ou terrasse, etc. En complément d’une approche des besoins plus ciblée sur la réalité de la population présente, l’étude propose une approche plus sensible ou sentimentale des territoires : la sobriété foncière impose des formes plus denses, une réflexion peut s’engager pour qu’elles s’inscrivent mieux dans l’ADN architectural des territoires, permettant de voir ce qui est négociable ou non avec les élus et la population, dans le changement de trajectoire. Il est également proposé d’approcher les besoins par d’autres politiques comme la santé, ou encore les paysages, par exemple.
La sobriété foncière impose des formes plus denses, une réflexion peut s’engager pour qu’elles s’inscrivent mieux dans l’ADN architectural des territoires.
Élargir aussi les valeurs du territoire
En ne limitant pas la valeur seulement à l’attractivité économique, mais également aux paysages, au cadre de vie, à la souveraineté alimentaire et énergétique, à la reconquête de la biodiversité, à la disponibilité de la ressource en eau. Autant de sujets importants pour le maintien d’activités dans les territoires et qui participe à l’attractivité pour attirer des salariés. En matière d’économie, la sobriété foncière interroge la capacité à créer de nouvelles zones économiques dédiées dans les prochaines années, au moment où les enjeux de réindustrialisation sont importants et où 85 % des emplois qui sont créés en France relèvent du tertiaire et qu’ils n’ont pas forcément besoin d’être en zone dédiée. Cela appelle à optimiser les zones économiques existantes, et à en sortir toutes les activités qui n’ont pas vocation à y être, pour favoriser l’implantation d’industrie et profiter de la relocalisation des activités compatibles avec des zones d’habitat et de services, pour revitaliser les centralités. La densification des zones économiques peut aussi passer par l’apport de création de valeurs et de systèmes mutualisés, par exemple, des réseaux de chaleur, en s’appuyant sur les potentiels d’entreprises produisant de la chaleur fatale, par exemple. Enfin, il faut repenser l’urbanisme des zones économiques en construisant plus en hauteur, en mutualisant les bâtiments et en se demandant s’il est nécessaire que chaque entreprise ait son espace vert souvent tondu à raz, en limitant l’intérêt écologique. Les entreprises ne pourraient-elles pas participer à une continuité écologique commune, qui traverseraient la zone, permettant de rafraichir l’espace par l’ombrage, d’infiltrer les eaux pluviales, pouvant servir d’itinéraire de déplacement des salariés et d’espace de reconquête de biodiversité ? L’articulation avec la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) des entreprises pourrait également être réfléchie.
Nous proposons de construireun urbanisme de contrepartie. La densification ne concerne pas seulement la densification l’espace bâti. Il est possible aussi de densifier les usages.
Faire des espaces non bâtis, l’épicentre des transitions
La loi Climat et résilience nous a montré que le territoire français est artificialisé à hauteur de 10 %, qu’en aménagement et en urbanisme, le regard est souvent concentré sur ces 10 %. L’enjeu est aujourd’hui de construire un projet politique pour les espaces non bâtis, 90 % du territoire national, qu’ils soient des jardins privés, des espaces publics, agricoles, forestiers, ou naturels. L’objectif est d’accompagner leur adaptation au changement climatique, de travailler sur l’amélioration du grand cycle de l’eau pour limiter la pression sur la ressource, d’évaluer leur contribution aux enjeux de souveraineté énergétique, à la transition alimentaire, au rafraichissement et à la lutte contre les ilots de chaleur, à la renaturation et la végétalisation des territoires, au renforcement de l’infiltration, de la biodiversité, des puits de carbone. L’enjeu est de verdir même les espaces qui sont déjà verts. Il s’agit de construire une stratégie écologique territoriale qui s’appuie sur des solutions fondées sur la nature et sur les qualités écosystémiques des sols pour nous aider à lutter contre le dérèglement climatique, l’érosion de la biodiversité et assurer l’habitabilité des territoires, aussi bien dans l’enveloppe urbaine qu’en dehors.
Créer une nouvelle équation pour la densité
La densité est le sujet le plus compliqué pour les élus et les habitants. Comment la renforcer dans un moment de lutte contre les ilots de chaleur et de travail sur l’acceptabilité sociale de la densité avec les populations ? Nous proposons de construire un urbanisme de contrepartie. La densification ne concerne pas seulement la densification l’espace bâti. Il est possible aussi de densifier les usages. Dans un nouveau bâtiment, est-il possible de laisser le rez-de-chaussée libre pour ajouter un nouveau service pour la population qui est déjà là ? Peut-on densifier la nature en ville pour que le cadre de vie des habitants du quartier change positivement ? Il ne s’agit plus de travailler seulement au projet lui-même, mais de réfléchir à l’évolution d’un quartier et des contreparties apportées aux habitants déjà installés. Quels aménagements pour organiser des raccourcis et faire gagner du temps aux autres habitants ? Lors de la création de venelles, de raccourcis, l’ombrage peut être travaillé, dans le cadre de vie des familles amélioré. La densité peut aussi se traiter par l’usage des bâtiments dans le temps et dans l’espace. Par exemple, la temporalité des usages. Prenons l’exemple d’une école qui ferme à 16 h 30 et des maisons des associations qui sont utilisées à partir de 18 h 30. Peut-on s’organiser autrement et optimiser les mètres carrés construits, et gérer leur utilisation notamment avec le numérique ? Cette question concerne aussi les bâtiments économiques. Quand les entreprises sont en 3 x 8, en général, elles optimisent l’utilisation de leurs bâtiments. Quand ce n’est pas le cas, peut-on mutualiser les usages des bâtiments ?
Favoriser la qualité des aménagements et du dialogue
Travailler la qualité des aménagements passe par le renforcement du dialogue avec les acteurs du territoire, publics comme privés : les promoteurs, les aménageurs, les acteurs économiques, commerciaux, agricoles et associatifs. Chacun des acteurs est concerné par les transitions, qu’elles soient climatiques, foncières ou de décarbonation. Les collectivités peuvent s’appuyer sur la créativité de chacun pour identifier des solutions et de nouveaux modèles d’aménagement. Cet écosystème d’acteur local élargi peut être associé aux réflexions d’élaboration des stratégies territoriale de SCoT pour échanger en amont sur les enjeux et d’identifier les pistes d’actions pour amorcer le changement de trajectoire du territoire. Bien entendu ce dialogue doit également concerner les habitants dont les modes de vie vont être bouleversés par les défis des transitions.
Travailler la qualité des aménagements passe par le renforcement du dialogue avec les acteurs du territoire, publics comme privés.
Ces nouveaux modèles d’aménagement des territoires réorientent la gouvernance dans les territoires pour favoriser la solidarité territoriale et la coordination à l’intérieur du bloc local : établissement public porteur du SCoT – intercommunalités– communes. Ils appellent également à sortir d’une mise en œuvre en silos des politiques publiques, d’adosser l’action à une véritable stratégie territoriale transversale qui s’assure de la mise en cohérence des politiques publiques, répond aux défis des transitions, et accélère le changement de trajectoire des territoires, ce que permet le SCoT modernisé. Ces nouveaux modèles d’aménagement des territoires invitent à revisiter à revoir la place des acteurs privés, parce que chacun a un bout de la solution et qu’il faut accélérer les transitions, il faut mettre en synergie toutes les énergies dans les territoires.
- L. no 2021-1104, 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.
- Créés par la loi Solidarité et renouvellement urbain (L. no 2000-1208, 13 déc. 2000, relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite « loi SRU ») de 2000, les schémas de cohérence territoriale (SCoT) sont des documents de planification stratégique à long terme. Structurés autour de l’élaboration d’un projet de territoire, ils servent de cadre de référence pour le déploiement de différentes politiques sectorielles d’aménagement (urbanisme, environnement, habitat, mobilités, déploiement commercial, etc.).
- L. no 2018-1021, 23 nov. 2018, portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique.
- Fédération nationale des SCoT, S’engager dans de nouveaux modèles d’aménagement, étude, juin 2022, ().