Comment les Hauts-de-France s’emparent de l’interterritorialité pour créer des liens et construire de futurs compromis territoriaux

Interterritorialité
Le 20 mars 2024

L’agence Hauts-de-France 2020-20401 mène un travail de fond pour imaginer les territoires à l’horizon 2040. Parmi ses travaux figurent ceux destinés à encourager et à favoriser la pratique de l’interterritorialité dans le cadre de son exercice de planification. Retour sur cette démarche, ses productions et les perspectives posées.

Dans cette perspective, l’agence a animé en 2023, dans le cadre des ateliers régionaux des acteurs de l’aménagement (ARAA), un cycle de réunions débouchant sur la réalisation d’une fresque de l’interterritorialité et d’un jeu apprenant sur le même sujet, préludes innovants au passage à l’acte.

Force est de constater que l’interterritorialité est loin d’être acquise en pratique, même si, comme le reconnaît Martin Vanier, géographe, consultant à la coopérative de conseil Acadie et professeur à l’École d’urbanisme de Paris, « elle a gagné en connaissance et en légitimité et figure parfois dans certains textes officiels de l’État ». Si beaucoup sont persuadés que la prochaine étape de la décentralisation est en fait une nouvelle étape dans l’organisation des différentes échelles de coopération, dans les Hauts-de-France, comme ailleurs, il s’agit plutôt d’un angle mort de l’action publique, en termes d’aménagement, les dispositifs mis en œuvre s’appuyant majoritairement sur les communes au prix, comme l’exprime Martin Vanier dans son dernier ouvrage, d’un « populisme territorial » décomplexé2.

Faisons le point sur une des formes de concrétisation de l’interterritorialité avec la question de l’inter-schéma de cohérence territoriale (SCoT)3.

Des SCoT à l’inter-SCoT, une nouvelle échelle expérimentale de coordination territoriale

Avec une cinquantaine de SCoT de tailles différentes et au dynamisme variable, le constat de la faiblesse de la dynamique inter-SCoT en Hauts-de-France a poussé la région à l’encourager dans la mise en œuvre de son schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET)4 et de mettre, en accord avec les attentes des territoires, à l’agenda des ARAA5 cette importante question qui doit se nourrir de pratiques de coopération.

En 2010, l’Institut Paris-Région et la Fédération nationale des SCoT recensaient 16 démarches d’inter-SCoT6, dont quatre en projet, sur le territoire français. Seules deux initiatives en Hauts-de-France étaient mentionnées : Scarpe-Artois-Douaisis et vallée de l’Oise, aujourd’hui en sommeil. Depuis aucun décompte ni analyse n’ont été entrepris, malgré l’importance de ces démarches rendues encore plus cruciales à l’heure de l’urgence écologique.

Pourtant, notaient les auteurs, « ces démarches interterritoriales visent la coordination de SCoT dans leur phase d’élaboration ou de mise en œuvre ». Très diverses dans leur mode d’organisation, elles sont presque toutes demeurées dans un cadre informel. Est-ce cela qui a nuit à leur pérennité ? La majeure partie concernait de grandes agglomérations et portait plus ou moins directement des enjeux de structuration métropolitaine. Est-ce que cet objectif est « passé de mode » ?

Ils relevaient également qu’« en dépit des reproches faits à ces démarches en raison de leur côté expérimental et informel, le besoin de coordination ne se dément pas. Les inter-SCoT favorisent d’abord l’entraide entre les techniciens et la mutualisation des moyens. Par la connaissance mutuelle des dynamiques territoriales et des projets, ces démarches créent ensuite les conditions pour que les SCoT soient plus cohérents entre eux ».

L’actualité controversée du zéro artificialisation nette (ZAN) sur des thèmes comme la construction de logements ou la consommation d’espaces naturels et la nécessité de mobiliser du foncier économique pour les enjeux liés à la réindustrialisation devraient pourtant favoriser une mutualisation à des échelles inter-SCoT.

Surtout poursuivaient-ils, « les démarches inter-SCoT permettent de construire une nouvelle échelle de réflexion. Ces dernières se situent entre la simple prise de conscience d’une appartenance au territoire élargi et le projet d’entreprendre une planification en commun. Quand arrive le temps de la mise en œuvre, l’inter-SCoT offre des possibilités inédites pour que les orientations des SCoT soient concrètement traduites dans les projets d’aménagements. Enfin, ces démarches peuvent constituer un outil de mobilisation et de négociation efficace, apprécié des élus locaux ».

À cet égard, Martin Vanier synthétisait ainsi une journée nationale consacrée à ces questions en 2010 : « L’inter-SCoT change le champ des objets de la planification, parce que de toute évidence avec l’inter-SCoT on rentre dans un champ de transaction entre ceux qui ont l’eau, ceux qui ont le foncier, ceux qui ont la résidentialité, etc. Et la planification, comme économie de la transaction, de la compensation, c’est quelque chose d’assez enthousiasmant, qui d’une certaine façon redéfinit le concept de solidarité. »

Alors, ce peu d’appétit pour l’interterritorialité est-il lié en partie à l’absence de récit et de vision commune sur cette question laissant la place à une tendance à l’ultra localisme ?

Une fresque pour aller vers une vision commune de l’interterritorialité

« Il y a un besoin de récits aujourd’hui pour aborder avec optimisme l’avenir des territoires, et les fresques du climat viennent participer à cette demande », explique Émilie Descatoire, facilitatrice graphique qui a participé et animé, avec Aurore Hède et Dominica Wecxsteen de l’agence Hauts-de-France 2020-2040, les réunions organisées durant plusieurs mois dans chaque département de la région.

Pour Émilie Descatoire, le point commun avec une fresque du climat, c’est à la fois « l’intention de coconstruire un outil pédagogique en simplifiant l’accès à un sujet complexe et en même temps constitutif d’un outil visuel, point d’ancrage et de repères pour l’action ». Ainsi, un visuel a-t-il été réalisé après chaque atelier produisant ainsi chemin faisant, une co-construction de la fresque avec les participants. Un traitement global avec l’agence a permis de formaliser celle-ci autour d’une définition partagée et la mise en exergue des enseignements, thématiques facilitatrices et modes de faire au regard des interactions entre les participants.

Au dire des animatrices, « le processus vaut autant que le résultat » qui est, par ailleurs, aussi le début d’une démarche qui peut et doit aller encore plus loin. La fresque conduit donc à une vision commune de l’interterritorialité dans les Hauts-de-France, comme un objet miroir et un objet tiers qui permet d’exprimer des perspectives convergentes, mais aussi divergentes en matière de planification territoriale.

Les équipes de SCoT et acteurs de l’aménagement qui ont participé à la démarche y ont particulièrement apprécié la découverte de ce que font les uns et les autres sur un territoire plus large que celui des pratiques quotidiennes de chacun. On n’insistera jamais assez sur cette nécessité de mieux connaître « ce que fait son voisin ».

Cette série de rendez-vous a permis d’agencer des postures différentes avec des expériences et des vécus hétérogènes, y compris en termes de pratiques de la territorialisation de la planification, et de pratiques encore balbutiantes de coopération entre les territoires de SCoT.

La fresque ainsi réalisée devrait permettre de favoriser et de stimuler des projets interterritoriaux et de mieux embarquer les élus, c’est en tout cas le vœu formulé par les participants à la journée de restitution de ces travaux qui s’est tenue le 8 juin 2023 à Amiens.

Un jeu original permet d’entrer concrètement dans les perspectives dressées par cette fresque.

« Osez l’inteterterritorialité » : le jeu pour simuler et stimuler le passage à l’acte

Pour les initiatrices et créatrices du jeu, il s’agit de « sensibiliser au travail en interterritorialité et de mettre en situation les parties prenantes par le biais de trois territoires fictifs avec un défi à relever qu’il convient de mener en coopération ». Les participants, répartis par équipe, élu et technicien, doivent répondre à un défi proposé. Les trois territoires de SCoT aux états d’avancement divers et variés sont confrontés aux évolutions économiques, sociétales et aux mutations environnementales de la période (mobilité, habitat, transition énergétique, etc.), aux nouvelles réglementations dont celles issues de la loi dite « Climat et résilience »7 en réinterrogeant leurs modes de faire.

Quels sont les atouts, et les faiblesses de ces territoires de SCoT ? En quoi travailler ensemble peut-il permettre de répondre aux défis posés ? Quels outils peuvent être utilisés, et quels acteurs associer ? Autant de questions auxquelles les élus et techniciens de ces territoires doivent répondre.

Expérimenté le 8 juin 2023, et de l’avis des participants, ce jeu apporte un « plus » dans la compréhension des perspectives offertes par la coopération entre SCoT. Les initiatives comme celles présentées ici trop rapidement sont à multiplier et à encourager, tant le besoin est grand de construire les compromis territoriaux rendus nécessaires par l’urgence de la transition et de l’adaptation au changement climatique. À titre d’exemple, les récurrentes inondations dans le Pas-de-Calais ne trouveront de solutions durables que dans la recherche d’une transformation politique et technique de l’État et de ses agences, des pouvoirs territoriaux et singulièrement du « bloc local » porteuse d’une profonde modification des leurs coopérations.

Les ARAA en Hauts-de-France : un dispositif d’animation
et de transformation collective des pratiques professionnelles

Mis en place par l’agence Hauts-de-France 2020-2040, ils ont pour ambition d’impulser de nouvelles pratiques en matière d’aménagement et d’accompagner les territoires dans la mise en œuvre des orientations régionales issues du SRADDET adopté en 2021. Ils s’adressent aux équipes d’ingénieries en charge de la planification des territoires, et en priorité aux SCoT, dans la perspective de leur apporter à travers une démarche collective et participative des éléments pédagogiques et d’aide à la prise de décision. Ils mobilisent sous l’impulsion du service aménagement régional de l’agence, des partenariats avec la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), les agences d’urbanismes, l’Union régionale (UR) de conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE) et le centre ressource du développement durable (CERDD).

Les ARAA mobilisent différents types de ressources :

  • élaboration de guides méthodologiques ;
  • réalisation de cahiers techniques ;
  • organisation de rencontres ;
  • interventions d’experts.

Au programme des ARAA pour la période à venir : le 25 mars 2024, un webinaire sur les voies et moyens de traiter la vacance de logements (229 000 logements soit 7,8 % du parc et 3,4 % de hausse par an entre 2009 et 2020 en Hauts-de-France) en partenariat avec le Cerema et la direction générale de l’aménagement du logement et de la nature (DGALN).

Cette année 2024 verra, entre autres, la parution d’un référentiel d’exemples et de bonnes pratiques d’aménagement économique, la réalisation de rencontres autour de retours d’expériences en matière de stratégies foncières, un travail sur la question des foncières ainsi que sur les densités et la création d’une plateforme d’échanges et de bonnes pratiques via Géo2France (plateforme partenariale d’informations géographique). Le ZAN sera, par ailleurs, au cœur des réflexions avec des travaux envisagés autour de la notion de renaturation.

  1. https://2040.hautsdefrance.fr/
  2. Vanier M., Le temps des liens. Essai sur l’anti-fracture, 2024, Éditions de l’Aube, Monde en cours.
  3. « Les inter-SCoT sont des démarches interterritoriales qui visent la coordination de SCoT dans leur phase d’élaboration comme de mise en œuvre. La plupart des inter-SCoT concerne de grandes agglomérations et permettent de mettre de la cohérence dans le pilotage complexe des métropoles » (IAU Île-de-France, Les démarches inter-SCoT : des expériences qui se multiplient, note, 2010).
  4. « Le SRADDET est un document de planification qui, à l’échelle régionale, précise la stratégie, les objectifs et les règles fixées par la région dans plusieurs domaines de l’aménagement du territoire » (https://outil2amenagement.cerema.fr/outils/schema-regional-damenagement-developpement-durable-et-degalite-des-territoires-sraddet).
  5. « Les ateliers régionaux des acteurs de l’aménagement (ARAA), mis en place par l’agence Hauts-de-France 2020-2040, ont pour ambition d’impulser de nouvelles pratiques en matière d’aménagement et d’accompagner les territoires dans la mise en œuvre des orientations régionales issues du SRADDET » (https://2040.hautsdefrance.fr/araa/).
  6. IAU, Les démarches inter-SCoT en France. État des lieux en 2009 et perspectives, rapport, 2010.
  7. L. no 2021-1104, 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.
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