Vieillir et alors ? Bâtir une société de la longévité

Hélène Joinet et Caroline Laborde
Hélène Joinet (à gauche) et Caroline Laborde (à droite)
©IPR
Le 3 mars 2025

L’Institut Paris Région et les presses universitaires de France (PUF) viennent de publier l’ouvrage Vieillir et alors ? Bâtir une société de la longévité1. Démographie, emploi, autonomie, urbanisme, logement, mobilité, toutes les thématiques sont abordées pour apporter un regard à 360 degrés sur le vieillissement. Hélène Joinet et Caroline Laborde ont dirigé cet ouvrage comportant de nombreuses contributions d’experts, extrêmement variées. Elles reviennent sur les innovations qu’implique une société de la longévité.

Comment est née l’idée de ce livre ?

Hélène Joinet (H. J.) – Ce livre s’inscrit dans la collection de l’Institut Paris Région qui s’appelle « Les cahiers », une publication annuelle réalisée avec les PUF, depuis quelques années. La région Île-de-France, souvent qualifiée de « région jeune », est confrontée au vieillissement de sa population. C’est le moment d’aborder cette transition démographique ; en tant qu’agence d’urbanisme, cela a du sens de parler des cadres de vie adaptés au vieillissement, aux personnes âgées. C’est à la croisée de nos centres d’intérêt.

Caroline Laborde (C. L.) – La population francilienne vieillit, avec l’âge arrivent davantage de situations de dépendance qui nécessitent une prise en charge à domicile ou en institution. Il s’agit aussi de réduire la dépendance, de préserver la santé et l’autonomie. L’ambition de ce cahier était certes de qualifier et quantifier ce qui se passe en Île-de-France, mais aussi de recueillir des expériences au niveau national et international pour nourrir la réflexion sur les politiques publiques permettant de bâtir cette nouvelle société.

À qui s’adresse-t-il ?

C. L. – Il s’adresse à un grand public spécialisé. On a eu la volonté de réunir des articles scientifiques de géographes, sociologues, démographes, psychologues, épidémiologistes, urbanistes ou philosophes. La consigne qu’ils ont suivie consistait à rendre concrets et accessibles leurs propos pour que tout le monde puisse le lire. Il y a aussi des élus, des représentants de personnes âgées, des soignants, l’Agence nationale des aidants et un défenseur des droits.

La région Île-de-France, souvent qualifiée de « région jeune », est confrontée au vieillissement de sa population.

H. J. – Ce livre regarde la vieillesse sous tous ses prismes. C’est un ouvrage que l’on peut picorer en fonction de ses centres d’intérêt, très illustré où la photographie et le dessin sont très présents. Il n’est pas axé sur une discipline. Les articles, toujours relativement ramassés, comportent de nombreuses références pour les personnes souhaitant aller au-delà, se perfectionner.

Quels ont été vos points d’étonnement ?

H. J. – De nombreux auteurs, indépendamment de leur discipline, de leur profession, ont insisté sur le fait que les personnes âgées d’aujourd’hui vont constituer une nouvelle classe d’âge avec leurs revendications propres. Ils expriment leurs attentes de façon très claire dans de nombreux domaines : l’emploi, la façon d’être considérés dans la société, de s’exprimer, de réfléchir à de nouveaux types d’habitat.

À titre individuel, j’ai été surprise par l’article sur l’arrivée des retraités dans les bourgs ruraux. Ils se rapprochent des services de proximité ou reviennent dans leur territoire d’origine familiale ou choisissent un cadre de vie plus apaisé et dynamisent, nourrissent l’attractivité de ces bourgs ruraux.

C. L. – J’ai découvert l’usage des robots sociaux grâce à une chercheuse qui fait des expériences auprès de personnes âgées en institution. Elle utilise les robots sociaux dans l’éducation thérapeutique, pour faire de l’activité physique et pour favoriser les interactions sociales. Elle monte des protocoles de recherche avant/après pour montrer si le robot apporte quelque chose. Les résultats suggèrent qu’il y a une hausse de l’interaction avec la personne âgée quand le robot est là avec un animateur. Cela fonctionne notamment pour soulager la douleur. Cela peut aussi soulager les aidants dans le transport de charges lourdes comme les draps.

H. J. – J’ai été surprise par le foisonnement d’initiatives dans des domaines très divers, notamment tout ce qui a trait aux maladies neuro-dégénératives ou à la maladie d’Alzheimer. Ce n’est pas vraiment expérimental, mais c’est très peu développé. C’est le cas des groupes de parole visant à soutenir la parole de ces personnes que l’on écoute de moins en moins, réunissant de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou apparentées. Ils sont très concluants, les gens reviennent avec plaisir. Au début, ils parlent de leur maladie puis ils arrivent à parler d’autre chose. Toujours dans le cadre de ces maladies, il y a une expérience très intéressante à Nice. La ville en lien avec l’espace éthique a voulu sensibiliser les agents municipaux, les chauffeurs de bus, les commerçants à la manière de se comporter et de comprendre les personnes atteintes de ces pathologies. Les bailleurs sociaux sont, eux aussi, confrontés au vieillissement de leurs locataires. De nombreuses initiatives visent à entretenir le lien des personnes âgées avec leur environnement proche : qu’ils puissent sortir, avoir accès aux associations, aller manger dans les maisons de retraite, etc. Ce qui est très inspirant aussi c’est tout ce qui concerne l’habitat plus inclusif. On sent qu’il y a une envie d’habiter ailleurs quand on est tout seul chez soi, isolé, que l’appartement n’est plus adapté, que l’on n’est pas encore concerné par l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). C’est une autre forme d’habitat comprenant un logement individuel et des parties communes va sans doute se développer. Enfin, il y a aussi ces EHPAD devenant des tiers-lieux accueillant des jardins, cafés, autres activités et services, qui deviennent des lieux plus ouverts gérés par des structures autonomes.

C. L. – Ce qui est marquant dans ce livre c’est de voir le vieillissement comme une opportunité économique pour plusieurs secteurs de la société. Il existe une infinité d’acteurs de mobilisation différents, d’idées et c’est ce qui étonne les lecteurs, ce côté très vivant.

Quels types d’innovations permettront de bâtir cette société de la longévité ?

C. L. – L’innovation ne porte pas uniquement sur les produits et les services. Elle consiste à repenser nos façons d’habiter, de nous déplacer, à adapter nos cadres de vie pour vieillir à domicile. Quand on fait face à des problèmes fonctionnels, les cadres de vie les plus adaptés sont ceux qui favorisent la marche et la sociabilité. Le fait de pouvoir se rendre à pied dans les commerces permet de ralentir la perte d’autonomie. Les collectivités territoriales doivent réfléchir à aménager ces cadres de vie favorables au vieillissement ; à la région de se pencher sur la question des transports. À l’horizon 2040, la région Île-de-France souhaite que chaque Francilien ait accès à un ensemble de services et d’équipements culturels à moins de vingt minutes de chez lui. Le secteur des aides à domicile est fortement en tension sur la région et le sera plus à l’avenir. Il y aura donc des besoins de formation. Plus structurellement, il faudra valoriser davantage ces métiers, en termes de conditions de travail, de revenus. Un des maîtres mots c’est que ce n’est pas forcément une question d’âge, mais surtout d’autonomie. Les EHPAD s’ouvrent et réfléchissent à la manière de s’implanter davantage dans le quartier, car cela entretient les fonctions cognitives, cela met de la vie dans le quartier, de la cohésion sociale et c’est favorable à l’ensemble de la population. Quand on aménage un trottoir, cela profite aux personnes ayant des poussettes, aux femmes enceintes ou aux enfants.

H. J. – Le cahier comporte quelques articles sur la silver economy, commercialisant des produits destinés aux personnes âgées. Toutefois, il existe aussi des entreprises généralistes pensant aux usagers qui vieilliront et qui conçoivent leurs produits en ce sens. Parmi les innovations, il y a aussi des sursauts de concepts pré-existants, comme les bus mobiles qui se rapprochent des personnes âgées avec des équipements tels que des salles de sport. Ils se rapprochent des quartiers prioritaires de la ville (QPV) et des zones rurales, fréquentés à 90 % par des personnes âgées ayant une ordonnance médicale. Concernant l’habitat, il y a une expérimentation de logements au Japon. Réalisés par un architecte, ils comportent des couleurs vives, des formes géométriques variées, et un sol pas totalement plan pour que l’intérieur soit stimulant et pas aseptisé. Enfin, les innovations concernent aussi la question de la mobilité. Les personnes âgées ont l’habitude de se déplacer en voiture, si l’accès à la voiture est compliqué, elles peuvent devenir prisonnières de chez elle. Une association entre en contact avec elles pour les informer et sensibiliser aux alternatives à la voiture. Travailler avec elles sur leur parcours, les rassurer, mesurer les obstacles, ce travail de détail leur permet de continuer à se déplacer même sans voiture.

Le vieillissement démographique freine-t-il l’innovation ?

H. J. – Les différents articles donnent à voir une diversité de points de vue. Un des auteurs soutient que la part croissante de la population âgée va freiner l’innovation. Ce discours peut être contrebalancé par le fait que le vieillissement de la population suscite un ensemble d’innovations et façons de faire.

C. L. – Il y a certes des messages forts dans ce cahier, mais nous avons tenu à proposer des positions différentes pour nuancer ce qui est dit par l’un ou l’autre. Nous avons fait ce choix de donner la parole à plusieurs points de vue.

H. J. – Nous avons notamment le point de vue de Sibylle Lemaire, avec la création du club Landoy, qui se soucie des seniors en emploi. La prise en compte des seniors en emploi peut être une façon différente de penser les ressources humaines, les compétences des personnes qui se sont occupées de leurs parents, les compétences acquises par les aidants, tout ce qui est transmission des savoirs, un terme récurrent que l’on a du mal à organiser dans les entreprises. Cela peut devenir une opportunité dans le monde de l’entreprise.

Pourquoi le vieillissement est-il l’affaire de tous ?

C. L. – L’article du réseau francophone des villes amies des aînés montre à quel point chaque échelon territorial n’a pas les mêmes compétences : les collectivités territoriales ont des compétences en matière d’urbanisme, le département dans le domaine social et sanitaire, la région, en transports et formation. Pourquoi est-ce l’affaire de tous ? La santé se construit tout au long de la vie, elle est dans toutes les politiques. Vont influencer notre santé et notre capacité à vieillir en bonne santé, nos conditions de vie, de logement, l’habitat dans lequel on vit (marche, sociabilité, bruit), notre niveau de revenu et nos comportements en matière de santé (consommation de tabac et d’alcool, activité physique et alimentation). Ce que l’on voit en santé publique c’est que tous ces niveaux fonctionnent ensemble : l’environnement va soutenir notre capacité à manger sainement (marché, espace vert, etc.). Tout est lié : les politiques sociales d’aménagement, de transports, d’environnement, etc.

  1. Joinet H. et Laborde C. (dir.), Vieillir, et alors ? Bâtir une société de la longévité, 2024, Institut Paris Région-PUF
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